Le calendrier des plans de dissection de Satoko Hôjô était quasiment arrêté désormais.

Je ne voulais pas faire de la peine à Satoshi.

Et puis, j'avais de la compassion pour cette gamine. Elle n'avait pas eu une vie facile.

... Mais j'étais le chef de cet institut, je ne devais pas faire de sentiment. Je devais prendre mes responsabilités. Tous ces sentiments se mélangeaient et se récriminaient dans ma tête, et commençaient à me pourrir la vie…

Rika

— ... ... Irie ?

Irie

— Hein ?

Oh, ah, désolé, j'avais la tête ailleurs.

Que se passe-t-il, Rika ?

Rika

— ... Ma meilleure amie est à l'hôpital chez vous depuis longtemps maintenant. Ce n'est pas à cause du syndrome de Hinamizawa ?

Irie

— Je peux savoir qui est-ce qui t'a dit ça ?

Rika

— Personne, j'ai un cerveau et je sais réfléchir.

Alors, Irie, qu'en est-il ?

Satoko souffre du syndrome de Hinamizawa, n'est-ce pas ?

Rika était l'une des nôtres, pour ainsi dire.

Je n'avais rien à lui cacher.

D'ailleurs, c'était même le contraire, j'avais une obligation morale de ne rien lui cacher, c'était la moindre des choses.

Irie

— ... ... Oui, en effet.

Elle avait des problèmes avec ses parents, et puis il y a eu cet accident, et ils sont morts.

C'était trop pour elle, trop en une seule fois.

Je pense que c'est ça qui a déclenché la maladie.

Rika

— ... Et que disent ses analyses ?

Irie

— N5. Elle est en phase terminale.

Irie

C'est assez perturbant, parce qu'en apparence, elle a l'air très calme. Mais dans sa tête, ça doit être un chaos inimaginable.

Irie

J'ai dû prendre la décision d'interdire à Satoshi de venir lui rendre visite.

Rika

— ... Satoshi m'a dit que Satoko n'arrivait pas à retrouver le moral, que les blessures faites à son âme ne voulaient pas guérir.

Rika

Il avait l'air de se faire beaucoup de souci.

Rika

... Irie.

Rika

Qu'est-ce qu'il va lui arriver, à Satoko ?

Irie

— ... ... ... ...

Satoko était la meilleure amie de Rika.

Je ne pouvais pas lui avouer que nous avions déjà commencé à préparer un calendrier des opérations à faire après sa dissection...

Mais au bout du compte, si je ne disais rien, je ne ferais que renforcer l'idée que sa situation était extrêmement grave.

Rika

— ... Irie, quand vous m'avez observée, vous avez pu découvrir des tas de choses, non ?

Irie

— Oui, bien sûr, Rika.

Nous avons d'ailleurs plusieurs sérums en préparation, dont nous espérons qu'ils pourront atténuer les symptômes en cas de crise.

Rika

— ... Et vous ne pouvez pas les essayer sur Satoko ?

Irie

— Je dois avouer que j'y ai pensé.

Irie

Mais tu sais, c'est très dangereux.

Irie

Nous préférons attendre un patient moins fragile physiquement avant de faire des essais, histoire de pouvoir amasser des données.

Irie

Satoko est au bout du rouleau, ça ne servirait à rien de les lui injecter.

Rika

— ... Alors en ce cas, Irie,

tu peux me dire ce que vous avez de prévu dans les cartons ? Puisqu'apparemment, vous n'avez pas envie de la sauver, elle va devenir quoi ?

À sa façon de parler, j'eus la ferme impression qu'elle savait pertinemment que nous allions la disséquer vivante.

... Et après tout, peut-être était-elle au courant.

Je lui ai expliqué quasiment tout ce que nous avons fait jusqu'à présent.

Elle est plus adulte qu'elle ne le laisse transparaître. En réfléchissant un peu, elle a peut-être compris pour la dissection...

Rika

— ... Si jamais il y a la plus infime chance de la sauver, alors j'estime qu'il faut absolument la tenter.

Irie

— C'est un pari très risqué, Rika.

Elle pourrait perdre la raison, essayer de se donner la mort, ou bien faire une attaque cérébrale et passer le reste de sa vie avec le regard dans le vague.

Irie

... Tu seras d'accord pour dire que ce ne sont pas des futurs très enviables.

Rika

— Et tu préfères quoi, la mettre sous anésthésie générale et débrancher les appareils, pour la faire mourir sans souffrance ?

Irie

— ... ... ...

Rika

— Irie,

Rika

je sais qu'en médecine, on ne peut jamais être sûr à 100%, Takano me le répète assez souvent.

Rika

Mais si on ne fait rien, pour le coup, Satoko a 100% de chances de mourir, c'est clair, net et précis.

Rika

Alors quitte à choisir entre “mourir” et “avoir de grandes chances de mourir”, eh bien, je trouve que la question ne se pose même pas.

Irie

— ... Oui, vu comme ça, effectivement, tu n'as pas tort.

Non, vraiment, tu as raison.

Sauf que justement, en tant que directeur de cet établissement, j'étais le mieux placé pour savoir ce qu'il en était.

Je savais que notre sérum C103 n'était qu'à un stade expérimental et que personne ne savait s'il aurait un quelconque effet sur un patient.

Il n'avait qu'une infime probabilité d'améliorer la santé de Satoko, certainement moins d'un pour cent.

Et puis surtout, nous n'avions aucune idée de ce qu'il pourrait se passer si jamais son corps faisait une réaction de rejet.

C'est pourquoi…

j'avais naïvement pensé qu'il valait mieux lui accorder quelques petites choses, la gâter un peu pendant quelques jours,

puis l'endormir jusqu'à un stade de coma artificiel, et la disséquer dans cet état, quand elle ne sentirait plus rien...

... Ça me faisait enrager d'avoir à le reconnaître, mais Mme Takano avait eu raison.

J'étais encore et toujours un éternel indécis.

C'était pour ça que les sérums que je faisais ne pouvaient pas être efficaces.

C'était parce que je ne savais pas où j'allais que leur efficacité n'atteignait même pas le dixième de pour cent...

Rika

— ... Irie, j'ai confiance en toi.

Tu sais ce que tu fais. Si tu choisis toi-même la composition du sérum, alors il marchera.

Je relevai brusquement la tête en l'entendant parler ; c'était comme si elle avait lu dans mes pensées et qu'elle essayait de me redonner confiance en moi. Lorsque je croisai son regard, je fus très surpris. Elle avait l'air très sérieuse et très sûre d'elle. Cela la rendait bien plus adulte qu'elle ne pouvait l'être.

Rika

— Ton travail peut décider de la vie ou de la mort d'autres personnes, et tu te bats tous les jours avec cette énorme pression sur les épaules, Irie.

Rika

Un homme n'a normalement pas son mot à dire sur la vie et la mort des autres.

Rika

Ce genre de responsabilité ne peut être appréhendée que par ceux qui ont à en supporter le poids.

Elle avait la même voix que d'habitude, mais j'avais l'impression qu'elle se moquait de moi.

Et aussi, elle parlait comme si elle avait déjà eu la responsabilité de la vie ou de la mort de quelqu'un d'autre.

Rika

— Le poids de cette responsabilité dépend de la culpabilité que tu ressens, ainsi que des remords que tu éprouves.

C'est bien pour ces raisons que tu n'oses pas faire d'essais dangereux sur Satoko,

n'est-ce pas ?

Irie

— ... ... ...

Mme Takano m'avait fait le même reproche un jour.

Et aujourd'hui, j'en prenais encore une fois pour mon grade à cause de cela...

Rika

— Mais

c'est aussi exactement pour cela que je peux te confier la vie de Satoko.

Irie

— ... Comment ?

Rika

— La vie d'un être humain est précieuse.

Rika

Et c'est parce que tu veux la préserver que tu supportes la pression sur tes épaules.

Rika

Et sans cette attitude qui t'honore, comment veux-tu donc pouvoir sauver une vie humaine ?

Rika

Qui aurait le courage d'essayer volontairement un médicament préparé par une personne qui méprise le genre humain, une personne qui ne voit en un être vivant qu'un potentiel spécimen de laboratoire, comme Takano ?

Rika

Hein ? Hmpf.

Irie

— ... Ahaha... hahahaha...

Ce n'était vraiment pas drôle, et ce n'était pas très poli de rire.

Mais je ne sais pas pourquoi, j'ai vraiment eu l'impression que j'avais intérêt à rire à cet instant-là.

Rika

— Si toi et Takano deviez vous présenter devant moi avec chacun un médicament dans les mains,

Rika

je choisirais le tien sans l'ombre d'une hésitation.

Rika

Parce qu'un médicament ne peut naître que par une volonté sincère de sauver un patient, une rage impuissante qui te subjugue et te laisse en larmes.

Rika

Ce n'est qu'à ce prix qu'un médicament peut soigner les patients.

Irie

— ... Ce n'est pas tout à fait comme ça que ça marche,

mais d'un autre côté, tu n'as pas vraiment tort non plus...

Rika

— J'ai soumis mon corps à vos bistouris justement dans l'espoir de sauver Satoko.

Rika

Tout ce que vous avez extrait de mon corps, vous pourriez l'injecter à Satoko pour la soigner.

Rika

Si les gouttes de mon sang et de mon cerveau t'ont inspiré la formule d'un médicament,

Rika

alors ce médicament sera forcément efficace sur elle. Car toi et moi savons le prix et le poids d'une vie humaine.

Si les prêtresses shintoïstes doivent savoir être à l'écoute des problèmes des gens et les absoudre de leurs péchés, alors cette petite fille, à cet âge si tendre, était certainement une prêtresse aguerrie...

Irie

— ... On en revient au point de départ.

C'est un pari très risqué.

Nous ne savons pas si Satoko va accepter le sérum...

Rika

— Nous n'avons pas besoin de le lui expliquer.

Apprendre la vérité sur le syndrome de Hinamizawa et sur son état de santé ne ferait que réouvrir les profondes blessures de son esprit.

Des semaines plus tard, je réaliserais qu'elle avait vu juste.

Cette petite fille avait un sens de l'observation et une connaissance de la nature humaine proprement extraordinaires...

Irie

— ... Très bien, nous allons annuler nos plans actuels.

Nous allons faire des tests d'inoculation avec le C103.

La probabilité de succès est infime, mais autant tenter notre chance.

Rika

— Ne t'inquiète pas, Irie.

Je peux t'assurer que ça va marcher.

Irie

— Ahahahaha !

Merci, mais il vaut mieux ne pas être aussi optimiste, ce ne sera pas si facile.

Rika

— Irie, ne t'inquiète pas. Ton médicament marchera,

c'est déjà écrit.

Rika

C'est... la prophétie rassurante de la jeune prêtresse Furude.

Rika

Allez, courage !

Te laisse pas abattre

☆!