... C'était la première fois que j'avais perdu connaissance.
C'est pourquoi c'était aussi la première fois que je me réveillais sur un lit inconnu.
— Ah, vous êtes réveillé ?
Tout va bien ?
Un jeune médecin avait remarqué que j'avais repris connaissance.
Il ne me semblait pas lui avoir parlé, mais je suppose qu'il l'avait deviné à certains gestes.
Ma tête était couverte de bandages.
Quelqu'un avait mis du désinfectant sur toutes mes égratignures.
Je fus alors assailli par la douleur, sur tout le corps.
— Ne bougez pas, restez allongé.
Vous êtes sérieusement blessé à la tête.
J'aimerais vous garder en observation aux urgences pendant 24h.
— ... Où suis-je ?
— Vous êtes dans ma clinique.
Je suis le docteur Irie. Enchanté.
Aaaah, oui, c'était le jeune médecin que nous avions croisé tout à l'heure...
— ... Il n'y a
personne ?
Je sais pas, Ôishi, par exemple ?
— Oh, je peux l'appeler, si vous voulez.
Il est interdit de fumer dans la clinique, il doit être sur le parking.
Il sortit de la pièce pour aller l'appeler.
Le paysage au dehors était d'un rouge ocre.
Il avait cessé de pleuvoir, et je pouvais à nouveau entendre le chant mélodieux des cigales du soir.
C'était quand même très agréable à écouter...
Après plusieurs moments, je pus distinguer le pas lourd de l'inspecteur.
Il me rappelait tout doucement à la réalité...
Que s'était-il passé ?
Et le gamin, alors ?
Et les hommes de la DST de Tôkyô ?
La porte s'ouvrit violemment, laissant entrer le docteur Irie et l'inspecteur Ôishi.
— Ben alors, il risque pas de mourir ?
— Je ne peux pas vous le promettre.
Sa blessure au front pourrait se révéler plus grave qu'il n'y paraît.
— Oui, d'accord, j'ai compris.
Je veux juste lui parler un peu. Ça vous dérangerait de nous laisser seuls ?
— ... Je vous en prie. S'il y a quoi que ce soit, appelez-moi.
L'inspecteur fit sortir le médecin de la pièce, en l'aidant un peu, puis il ferma bien fort la porte.
— Alors, comment allez-vous ?
— ... ... ... J'ai pas trop l'habitude de me prendre des balles, alors je dois dire que je suis assez mal en point...
— Ahhahahahaha !
L'inspecteur alla chercher une chaise dépliable et s'installa à côté du lit.
— Vous les avez arrêtés ?
— Non, malheureusement.
Ils sont sûrement bien loin maintenant. Ou alors ils se terrent au village et les habitants les couvrent.
Après tout, quelle importance !
Éhhéhhéhhé !
— Et le gamin ?
— Il est au commissariat, sous haute protection.
Mais vos copains de la DST nous ont interdit toute enquête supplémentaire.
Il paraît que Shige a failli s'étouffer dans sa bave. Éhhéhhéhhéhhé !
Oui, c'était ce que j'avais supposé. L'enquête était secret défense, le reste aussi...
Désormais, mes supérieurs allaient devoir imaginer une manière de faire tomber l'incident dans l'oubli le plus total.
Tant que tout cela ne fera pas de vagues dans la vie politique publique, nous pourrons considérer cette mission comme un succès.
Même si j'étais certain que le ministre avait cédé au chantage des ravisseurs.
Mais bon, ce n'était plus de mon ressort.
Mon travail était terminé.
— Je m'excuse.
Vous ne tenez certainement pas les services de la DST en haute estime après cela...
— Mais si, voyons !
Ne vous inquiétez pas, je sais ce que c'est. Nous servons le drapeau, vous comme moi, et c'est lui qui nous paye nos salaires, alors ne vous en faites pas, je sais comment ça marche.
Il éclata de rire.
Je l'avais détesté au début, mais finalement, ce type m'était très sympathique.
— Vous savez, ça nous aiderait beaucoup si la DST faisait tout un foin dans les journeaux avec cette affaire.
Ça nous permettrait de remettre les Sonozaki à leur place, pour une fois.
Mais bon, de toutes manières, ils ont le bras long, donc notre enquête ne servirait à rien, d'une manière ou d'une autre...
… Quel bourbier.
— Vous comptez leur faire face après ça ?
— Non mais ça va la tête ?
Les rumeurs sur eux vont bon train, et je suis pas innocent à ce sujet, mais je ne vais pas en faire non plus une affaire personnelle.
Et puis, quand le prince est en danger, il vaut mieux se faire discret, si vous voyez ce que je veux dire.
Éhhéhhéhhé !
J'esquissais un vague sourire, amusé de le voir rire même de cela.
— Aaah oui au fait !
Le central de la police nous a appelés.
Vos collègues sont à Nagoya, enfin, ils sont en route pour ici maintenant.
Comme vous avez été blessé en action, vous serez rapatrié avec les honneurs !
Vous avez fait du bon boulot.
Et donc voilà, votre travail ici est officiellement terminé.
Je rentrais à Tôkyô ?
Un soupir de soulagement s'échappa de moi.
— ... Merci pour votre coopération, inspecteur.
Je vous ai payé cher, mais vous ne vous êtes pas foutu de ma gueule, j'en ai eu pour mon argent.
— Ahahahahahaha !
Vous savez, je voulais juste vous faire une blague, ce jour-là.
L'inspecteur sortit plusieurs billets de sa poche intérieure et les remit dans ma poche.
— Je ne vous les rends pas, ne vous méprenez pas, hein ?
Je vous donne un peu d'argent de poche.
Le saké est très bon par ici.
Vous devriez en ramener une bouteille ou deux comme souvenir de vacances.
Ôishi souriait de bon cœur.
— Si vos blessures ne sont pas trop graves, faites-moi signe avant de rentrer à Tôkyô.
Le vieux et Satô m'ont dit avoir hâte de rejouer avec vous !
— Tssss... Ouais, ok, je vois...
— Vous en faites pas, nous ne tricherons pas, la prochaine fois.
Ce sera juste pour le plaisir !
— Ouais, ouais, on dit ça, hein.
Je vous jure, un policier qui triche comme au salaud au mah jong, non mais où va le monde ?
— Ahahahahahahahahahaha !
Vous savez, je rencontre rarement des bons joueurs comme vous,
vous allez vraiment me manquer.
Oui, j'en ai fini ici, je vais renter à la maison.
Yukie va bientôt accoucher.
Je serais peut-être rentré à temps, qui sait ?
Vivement que je rentre... j'ai tellement envie de la voir...
— Vous pourriez faire du chiqué et rester un peu ici,
je peux vous faire entrer dans pleins d'endroits super, avec de la boisson, des filles, tout ce qu'il faut !
Bien sûr, je paierai mes propres consommations, ne vous en faites pas !
Ahahahahahahahahahaha !
— Désolé,
mais ma femme va bientôt accoucher,
je veux être rentré à temps, je dois dire.
— Quoi quoi QUOI ?
Mais il faut le dire, voyons !
Mais qu'est-ce que vous foutez encore ici ?
Rentrez le plus vite possible !
Pendant encore un bon moment, nous parlâmes de ma femme, et l'inspecteur m'en fit voir de toutes les couleurs...
— Bon.
Comment vous sentez-vous maintenant ?
Vous pouvez vous lever ?
— Oui, je pense.
Je devrais tenir debout sans problème.
Je me levai et fis quelques pas. L'inspecteur m'observa en rigolant.
— Oh, je pensais juste à vous, vous n'êtes certainement pas tranquille ici.
Le docteur Irie veut vous garder en observation,
mais nous n'avons pas attrapé les malfaiteurs.
Ce village, c'est un territoire ennemi pour vous.
— Vous croyez que je ne suis pas en sécurité ici ?
— Éhhéhhéhhé !
Nooon, le docteur est respecté, les gens lui font confiance.
Je ne pense pas qu'il vous arrive quelque chose ici, mais reste à savoir si vous, vous allez vous plaire dans cet hôpital.
Il avait raison sur toute la ligne.
J'étais encore et toujours en territoire ennemi, je l'avais oublié !
Bon, ensuite, il était très peu probable de me faire attaquer désormais, puisque j'étais destiné à partir pour de bon.
Mais cela ne voulait pas dire que j'étais en sécurité.
— ... Hmmm, après tout,
ici ou à l'hôtel, tant que je reste allongé, la différence n'est pas bien grande.
— Vous voyez ? Je vous l'avais bien dit !
Moi aussi, je crois que c'est la meilleure solution.
Je vis alors la pendule derrière l'inspecteur.
Il était tard dans l'après-midi.
Dans quelques minutes, je ne pourrais plus appeler Yukie au téléphone.
Je devais absolument lui dire que j'allais rentrer plus vite que prévu.
— Ah, d'abord, j'appelle ma femme.
Il y a un téléphone public dans l'entrée, je suppose ?
— Ahhahahahaha !
Ah, les jeunes mariés, réglés comme des horloges, hein ?
Oui, je crois qu'il y en a un juste après le bureau de caisse.
Je vous attends, allez-y !
Il se pencha au dehors en rigolant doucement, envieux. Il sortit alors un paquet de cigarette.
Sortant de la pièce, je me mis en tête de trouver ce téléphone, le plus vite possible.
Juste après le couloir, je vis le hall d'entrée.
C'était un hôpital beaucoup trop sophistiqué pour un village si paumé, vraiment, mais il n'était rien en comparaison de l'hôpital dans lequel se trouvait ma femme.
Je savais qu'il était interdit de courir dans les couloirs, mais je n'avais pas envie d'être en retard pour appeler ma femme.
Il n'y avait personne dans le hall d'entrée.
Et comme il était déjà presque le soir, il n'y avait plus personne non plus à la caisse.
J'avais de la chance.
Dans ces conditions, je pourrais lui parler sans avoir peur des oreilles indiscrètes.
Je promenai le regard dans la pièce et trouvai le téléphone.
Fouillant dans mes poches, je trouvai des pièces de 100 Yens.
Hmmm, j'appelle Tôkyô, je ne pourrais pas lui parler longtemps avec si peu...
Je décrochai le combiné, mis 100 Yens, puis composai le numéro de téléphone de l'hôpital de ma femme -- je le connaissais par cœur...
Le cadran tourna,
encore
et encore.
Le numéro attribué comportait beaucoup de 8 et de 9, aussi le téléphone mettait toujours très longtemps à joindre la ligne.
Parfois, il fallait refaire le numéro, ce qui d'habitude n'était pas un problème, mais là, j'étais pressé...
Pourtant, quelque chose ne tournait pas rond, cette impression m'avait déjà saisie quand j'avais composé le numéro.
Comment dire... La ligne était trop calme.
Il n'y avait pas la tonalité habituelle.
— ... ... ?
Le téléphone ne réagissait pas. Je raccrochai, prêt à recommencer.
Ma pièce de 100 Yens ressortit.
Je la pris et la réinserrai, puis levai le combiné. Toujours aucune tonalité.
— Mais ?
La ligne est coupée, ou quoi ?
J'ai pas de temps à perdre,
il ne me reste que quelques minutes pour appeler Yukie !
— Euh, excusez-moi ? Y a quelqu'un ?
Je tentai d'appeler quelqu'un près de la fenêtre.
J'entendis une réponse, et bientôt un jeune pharmacien se tint devant moi.
— Oui, que se passe-t-il ?
— Je m'excuse,
mais le téléphone est un peu bizarre, j'ai l'impression qu'il est cassé.
Vous pouvez faire quelque chose ?
L'homme vint vers moi et se mit à essayer plusieurs choses avec le combiné.
... Suis-je bête. C'est un pharmacien, pas un technicien.
Il n'est pas plus avancé que moi pour réparer ce téléphone.
— ... Tiens ?
Mais qu'est-ce que ça veut dire... ?
L'homme prit le fil qui se perdait dans le mur et me le montra.
Il était sectionné bien net.
— Aïe...
On va pas aller loin avec ça…
Il va falloir appeler un technicien pour réparer, je suis désolé.
Si vous voulez téléphoner, nous avons encore un combiné dans l'un des bureaux.
Sauf que moi, je voulais pouvoir parler tranquillement...
— Ah, mais il y a peut-être une cabine téléphonique dans le coin ?
— Hmmm... Si vous allez tout droit, vous tomberez sur une rue commerçante.
Dans un des coins de rue, il y a des distributeurs de cigarettes, et juste à côté, il y a un téléphone public.
Bah, vous verrez, c'est trouvable facilement.
J'étais en pyjama d'hôpital.
J'avais des sandales au pied, et des bandages sur la tête.
N'importe qui verrait du premier coup d'œil que j'étais un patient de la clinique.
N'importe qui saurait que je n'avais rien à faire dehors. Mais je m'en moquais --
c'était l'apanage de ma jeunesse.
Je préférais discuter le plus longtemps possible avec ma femme, aussi je sortis précipitamment au dehors, à la recherche d'une cabine téléphonique.
Si je suivais le chemin, je tomberais sur une rue commerçante.
Je trouverais tout de suite.
Muni de ces précieuses indications, je quittai la clinique à la hâte.
Le village était situé entre deux collines, la nuit y tombait rapidement.
La lumière de l'éclairage public avait déjà créé des nuées de moustiques et de papillons.
Les cigales, sentant la fin de leur chant arriver, redoublaient d'efforts pour se faire entendre une dernière fois avant de mourir...
Ce fut beaucoup plus difficile à trouver que ne me l'avait indiqué l'employé de l'hôpital.
Je n'arrivai pas à savoir si j'avais déjà passé l'endroit, ou si je devais encore marcher plus loin.
Alors que l'angoisse commençait vraiment à me tenir, je vis enfin une pancarte indiquant des distributeurs de cigarettes.
J'y allai, le pas léger.
Comme il me l'avait dit, il y avait un téléphone juste au coin, près de la fenêtre.
Je n'avais pas ma montre au poignet, mais je savais qu'il me restait peu de temps pour appeler.
Mais cela suffisait largement.
Je dirais simplement à ma femme que j'en avais fini ici et que je rentrais à la maison.
Je m'emparai du combiné et introduisis une pièce de 100 Yens.
Le même doute m'assaillit.
Le téléphone ne réagissait plus.
— ... ... ...
Je reposai le combiné et remis une pièce.
Toujours rien.
Ce téléphone était hors-service.
Ne me dites pas que...
Je tirai sur le combiné, puis sur le cordon.
Je tirai sur une longueur, puis une autre, puis me retrouvait avec une extrémité sectionnée dans les mains.
Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel...
Deux fois de suite ? C'est pas possible... C'est pas normal...
L'extrémité a été sectionnée avec un objet tranchant très aiguisé.
Ce n'était pas dû à l'âge de l'appareil ou à une utilisation régulière.
— Euh, excusez-moi ?
Excusez-moi, madame ?
Je cherchai quelqu'un dans le magasin.
Après plusieurs instant, j'entendis des pas lents dans les escaliers.
Une vieille dame apparut alors devant moi. Ses pas lents me rendaient dingue.
— C'est pour des cigarettes ?
Je ne sais pas comment ouvrir l'appareil, attendez mon mari...
— Non, ce n'est pas ça,
c'est le téléphone, vous...
Avant même de terminer ma phrase, je me rendis compte qu'elle ne risquait pas d'avoir de quoi le réparer, aussi je me tus.
— Votre téléphone a l'air en panne, vous pourriez m'indiquer où est la prochaine cabine publique ?
Je dus lui répéter bien une trentaine de fois ma phrase, lentement, en articulant très distinctement.
— Comment ça, il est cassé le téléphone ?
Oh ben là, on va pas être aidés...
Faut aller à une autre cabine, alors.
Elle m'indiqua une autre cabine, située assez loin d'ici.
Elle prit son temps pour bien m'expliquer où c'était, et cela me mit vraiment mal à l'aise.
Dans la pénombre du magasin, je remarquai une horloge.
Il était presque l'heure.
Même si j'avais pu téléphoner tout de suite, il ne me restait qu'à peine le temps de lui dire bonne nuit.
En plus, la prochaine cabine est très loin...
N'importe qui aurait abandonné, c'était la décision logique qui s'imposait.
Mais sur le coup, je dois dire que j'en faisais une question de principe.
Je me suis fait avoir avec le téléphone de l'hôpital, je me suis démené pour arriver ici et là encore, pas de téléphone.
Désormais, je mettais un point d'honneur à réussir à joindre l'hôpital par téléphone, ce soir.
— Eh bien, merci beaucoup, madame.
Je vais chercher cette cabine, alors.
La vieille dame se proposa pour dessiner une carte mais je refusais. Je partis immédiatement.
La vieille dame m'avait expliqué que la cabine se trouvait très loin d'ici, mais qu'elle était très facile à trouver.
Il suffisait de prendre la rue et de suivre le chemin, tout le temps tout droit.
Faisant claquer mes sandales sur le chemin, je ne pus réprimer un petit rire. Je devais avoir l'air ridicule.
C'est vrai que j'appelais souvent ma femme au téléphone.
Mais il y avait déjà eu des jours où je n'avais pas pu la joindre, pour une raison ou pour une autre.
Aujourd'hui, d'ailleurs, j'étais très fatigué, j'étais blessé, et en plus je n'avais plus le temps d'appeler.
Cela faisait trois bonnes raisons pour ne pas la joindre aujourd'hui.
Et pourtant, là, ça me rendait dingue. Peut-être parce que déjà deux fois, j'avais été privé de téléphone ?
On dirait un chien qui piafferait d'impatience devant sa gamelle, juste hors de portée.
— ... Bon sang, mais qu'est-ce que je fabrique...
Ahahahahaha...
Mais malgré tout, je n'arrivais pas à réprimer une vague angoisse dans mon cœur.
Les deux téléphones que j'avais essayé d'utiliser avaient été sabotés.
Quelqu'un avait pris un objet tranchant pour sectionner les câbles, dans les deux cas.
C'était fait pertinemment pour m'empêcher moi de téléphoner.
Mais qui pourrait vouloir une chose pareille ? Et pourquoi, surtout ?
Plus j'y pensais et plus je me sentais mal à l'aise. Il valait mieux penser à autre chose...
... Ça fait combien de temps que je cours, en fait ?
J'ai quitté la rue commerçante il y a un moment maintenant. Il n'y a plus que des habitations dans le coin -- et encore, bien espacées les unes des autres.
Il commençait aussi à faire sombre.
Et puis, j'étais vraiment très éloigné de la clinique, maintenant.
Je me souvins de l'horloge dans le magasin de tout à l'heure.
Il est sûrement trop tard maintenant.
J'ai pas mal couru, et je commence à m'essouffler.
J'ai vraiment été bête, j'aurais dû utiliser le téléphone de leur bureau,
c'était pas important si d'autres écoutaient notre conversation, après tout...
Bon, je fais quoi ? J'arrête les frais pour ce soir ?
Juste au moment où je considérai mes options,
j'aperçus la lueur de la cabine téléphonique au loin.
Elle est là...
Je l'ai trouvée, j'y suis enfin !
Ils avaient changé l'ampoule depuis peu, car c'était un néon qui irradiait une lumière très forte et bien blanche.
C'était un peu le coin branché de tous les papillons de la région.
Mais bon, je n'allais pas faire le difficile, quand même !
Je posai la main contre la paroi de la cabine. J'étais à bout de souffle.
... Qui sait, ils me la passeront peut-être quand même une minute ?
Je ne vais quand même pas partir d'ici sans avoir au moins essayé d'appeler !
Je retins l'angoisse qui montait en moi en regardant le combiné.
Le cordon serait-il, ici encore, sectionné ?
Je le cherchai des yeux.
Me baissant au sol, je vis que les fils passaient dans le coin et remontaient jusqu'au plafond.
À première vue, tout est en ordre.
Je passai le doigt sur le fil, autant que je le pouvais.
Je ramassai pas mal de poussière.
Rien d'anormal, donc.
— ... ... ... ...
Est-ce qu'à Hinamizawa, il y a un détraqué qui se promène et coupe les lignes de téléphone ? Ou est-ce que c'est une blague de gamins ?
J'en parlerai à Ôishi quand je rentrerai.
Ils ne s'en rendent peut-être pas compte, mais c'est de la destruction de biens publics, et c'est passible d'une forte amende, voire de prison.
Bon, cette fois-ci, la ligne est intacte. Tout va bien se passer...
D'une main, je plaçai 100 Yens dans l'appareil, tandis que de l'autre, je soulevai le combiné.
... ... Même avant de porter le combiné à mon oreille, je sus que quelque chose clochait.
Le combiné était trop léger.
J'étais à bout de nerfs. Cette histoire commençait à me faire froid dans le dos.
Je devais savoir. Je baissai lentement les yeux sur le combiné dans ma main.
— ... ... Bon sang, mais...
Le cordon enroulé qui reliait le combiné et l'appareil…
avait été sectionné tout net et pendouillait dans le vide...
Cette fois-ci, je pus sentir le dégoût et la peur me remonter lentement dans la colonne vertébrale.
… C'était presque de l'effroi.
J'entendis alors le crissement de pas sur les gravillons.
La lumière était trop forte à l'intérieur et m'empêchait de voir au dehors.
Résolu au pire, j'empoignai mon courage à deux mains et sortis de la cabine.
La première chose que je remarquai, c'était la petite brise fraîche qui soufflait.
Je suppose que la cabine servait de coupe-vent efficace, et que sa lumière la chauffait un peu.
Puis, devant moi, une silhouette humaine.
Une petite silhouette humaine.
— ... ... ... Mais...
Ses cheveux flottaient mollement au vent.
— Les patients des hôpitaux devraient rester au lit au lieu de partir en vadrouille, ce n'est pas bien...
Quelque part, j'avais su que ce serait elle.
Je ne saurais pas dire pourquoi, mais j'avais eu le sentiment que ce serait elle.
— N'est-ce pas, Akasaka ?
J'avais presque l'impression que Rika Furude se moquait de moi en disant cela.
— Et alors... c'est toi qui as coupé les fils ?
— ... ...
Elle ne changea pas d'expression, et ne répondit rien.
Elle ne montra donc aucune réaction.
Et pourtant, j'était persuadé que cela voulait dire oui.
— Pourquoi tu as fait ça ?
Pourquoi !
La fin de ma phrase avait été un peu plus brusque -- j'étais passablement énervé, mine de rien --
mais la jeune fille n'eut pas l'air de s'en soucier.
— ... De toute façon, vous ne pouvez plus rien y faire.
— Hein ?
Mais, de quoi ? Elle pense que j'appelerais trop tard pour l'hôpital ?
Non, c'est pas logique.
Déjà, pourquoi elle saurait ?
Mais je ne voyais pas de quoi d'autre elle pourrait parler...
Elle se tenait debout tout droit, comme une poupée, et n'esquissait pas le moindre mouvement.
Si le vent n'avait pas joué dans ses cheveux, j'aurais pu croire que le Temps s'était arrêté.
— ... Je sais que je vous fous la trouille, Akasaka.
— Hein ?
Euh… Qui, moi ?
Non, non...
Bien sûr que non.
Je ne devais pas être très convaincant ; il faut dire que moi-même, je n'étais pas très convaincu de cette réponse.
Elle avait vu juste.
Cette fille me met mal à l'aise, elle me fait froid dans le dos.
C'est comme ça depuis le moment où elle m'a parlé sur le promontoire.
— Hffmfmfmfmf...
Elle se moque de moi. Elle a compris qu'elle disait vrai. Elle a compris que j'essayais de mentir.
— Eh ben alors, gamin ?
Faut pas avoir peur, comme ça.
Hffmfmfmfmf...
— Mais, j'ai pa-pas peur, hein !
Non mais oh,
c'est pas une gamine qui va se foutre de moi, quand même ?
— ... Même si vous cherchez un autre téléphone, il est trop tard, désormais.
— ... Puhhh...
Ouais, tu as sûrement raison.
Elle n'avait pas besoin de me le rappeler.
Je me doutais bien qu'il était beaucoup trop tard.
D'ailleurs, même si j'avais pu téléphoner, je ne sais pas si j'aurais eu ma femme au bout du fil.
Il ne me reste plus qu'à abandonner ce projet, j'en ai bien peur.
De toute façon, ce n'était pas si important que cela.
Je me demande bien pourquoi j'ai tellement insisté là-dessus, en fait.
Maintenant que ma tête n'était plus fixée sur cette mission, je pus me rendre compte de mon apparence...
Je ne pus réprimer un petit rire gêné.
J'étais en pyjama et en sandales.
Ma tête était enroulée de bandages et je transpirais comme un fou.
La vieille de tout à l'heure devait avoir la vue basse, ou bien alors être vraiment solide pour ne pas avoir eu peur...
Dire que j'ai fait tout ça dans cette tenue, rien que pour pouvoir entendre la voix de ma femme…
J'étais jeune, je suppose. Je n'avais honte de rien.
Que pouvais-je faire d'autre ? Je pris le parti d'en rire.
— ... Bon.
Vous n'avez plus rien à faire ce soir.
— Non, effectivement, plus rien.
Je vais retourner à l'hôpital.
— Oui, il vaut mieux.
Vous connaissez le chemin ?
— Je pense que oui.
Je lui fis au revoir puis retournai sur mes pas.
Elle me suivit et vint se placer à ma hauteur.
Elle souriait sournoisement.
Un peu comme si elle m'accompagnait pour voir si je me perdrais ou pas.
— Tu habites dans cette direction ?
— ... Oui.
— Et tes parents, ils ne vont pas te gronder pour être sortie toute seule dehors à une heure pareille ?
— Non, du tout.
De toute façon, ils sont trop occupés aujourd'hui, ils n'ont certainement même pas remarqué que je n'étais pas là.
— ... Tu devrais quand même rentrer, tu sais.
Ils vont sûrement te passer un savon.
— ... Pas grave. C'est intéressant de parler avec vous.
Elle avait eu un sourire franc en disant cela. Elle tourna la tête vers moi et me refit un grand sourire.
En la voyant, le malaise qu'elle m'inspirait se dissipa peu à peu.
Elle restait tout de même bien mystérieuse...
Nous arrivâmes à un croisement.
Tout à l'heure, je n'avais eu qu'à aller tout droit, je n'avais pas trop fait attention. Mais maintenant, il faisait nuit. Je n'étais plus très sûr d'être sur le bon chemin, en fait.
Non, c'est juste, il y avait ce virage, là.
Alors que je m'apprêtai à repartir, la petite fille à mes côtés me retint la manche.
— ... Vous n'étiez pas censé rentrer à l'hôpital ?
— Si, pourquoi ? C'est par là, l'hôpital.
Non ?
Elle resta silencieuse un moment.
Puis, soupirant, elle se remit en route, la main toujours accrochée à ma manche.
Ce fut le début d'une promenade très agréable.