Si Hinamizawa était un village paumé, Takatsudo était encore pire. “Un hameau désert”, “un village fantôme”, oui, je crois que ce n'était pas exagéré.
Pour quelqu'un de la ville comme moi, il était quasiment impossible de comprendre pourquoi diable il viendrait à l'idée à des êtres humains sensés de venir habiter dans un coin pareil.
Il y avait des vestiges d'activité humaine, mais la couche de poussière et le lierre qui foisonnait partout en disait long sur l'état des lieux.
— Il y avait des gens qui vivaient ici, alors ? Mais c'était il y a longtemps, on dirait…
— Oh oui, sûrement.
Les vieilles personnes ne pourraient pas vivre ici, c'est trop loin de tout.
Et les jeunes, c'est pareil, il faut que ça bouge.
Alors quand personne n'est là pour reprendre les terres ou le commerce, les gens s'en vont, et puis un jour, il n'y a plus personne...
Je n'avais aucun lien avec ce village, mais il faisait vraiment de la peine à voir.
Et apparemment, l'inspecteur ressentait la même chose que moi.
— Et donc, vous dites que le portefeuille a été retrouvé par ici ?
On a eu beaucoup de chance... Il y a des gens qui passent par ici ?
— Oh, il y a encore des habitants de Hinamizawa qui cultivent des terrains plus loin dans la montagne.
Ils passent ici matin et soir.
— Et donc les paysans passent ici matin et soir à pied ?
— Vous n'y pensez pas, voyons.
Ils vont en voiture, autant qu'ils le peuvent.
— Et donc ils passent ici en voiture et réussissent à voir le portefeuille sur la chaussée ?
— ... Il faut croire que oui !
Éhhéhhéhhé !
— Vous avez la déposition ? Vous savez où exactement il a été trouvé ?
— Un peu plus loin, dans les buissons.
Le gars qui l'a trouvé avait très mal au ventre et s'est dit qu'il valait mieux faire dans les buissons que dans la voiture.
Et là, pan, il trouve un portefeuille !
Je parie qu'il s'est demandé s'il n'y avait pas du PQ à l'intérieur.
Éhhéhhé !
— ... Et ça ne vous paraît pas un peu gros comme hasard ?
Personnellement, j'ai l'impression qu'on nous mène en bateau depuis le début.
Il fallait mettre le sujet sur la table et savoir ce qu'il en pensait.
C'est trop gros pour être vrai, mais c'est une preuve solide.
Mais trop énorme pour être pris au sérieux, quoi.
Enfin, c'est un peu dur à expliquer...
— Oh vous savez, par chez nous, les hasards les plus extraordinaires sont légions, donc oui, je pense qu'on nous mène en bateau.
— C'est-à-dire ?
— Eh bien, j'en ai discuté un peu avec des potes de la section 4,
et ils m'ont dit qu'Oryô Sonozaki avait parlé de cet enlèvement.
— Elle en a parlé ?
— Oui. Elle disait qu'elle avait de la peine pour lui, que ça faisait déjà plusieurs jours qu'il avait été enlevé, et qu'il devait avoir très peur.
Elle a dit qu'elle espérait qu'il serait relâché bientôt.
Quelque chose de ce style en tout cas.
Et l'information s'est propagée dans tout le clan, et à tous leurs hommes de main.
Oui, c'est vrai, l'informateur m'en avait parlé.
Lorsque le chef de clan “se plaignait”, quelqu'un “faisait un petit geste”.
— Mais donc... Vous êtes en train de me dire qu'au bout du compte, c'est comme si elle avait donné l'ordre de relâcher l'enfant ?
— Oui, c'est comme ça que je le vois.
Ce portefeuille qui nous tombe miraculeusement dans les mains doit nous amener à retrouver le gamin.
— Mais pourquoi relâcher l'enfant ?
— Ahhahahahahaha !
Mais voyons, ça paraît évident, pourtant !
— Ah oui ?
— Cela veut dire qu'ils ont eu ce qu'ils voulaient.
Le ministre leur a sûrement promis de faire arrêter la construction du barrage.
— Ne vous en faites pas, le projet de barrage sera bientôt retiré, je vous dis.
Une phrase me revint en tête. Quelque chose qu'une certaine petite fille m'avait dit la veille...
En fin de compte, elle avait eu raison, tout était comme elle l'avait prédit.
Elle avait su comment tout cela finirait.
Elle était au courant de l'enlèvement. Elle était peut-être au courant de tout !
— ... Akasaka.
Elle avait un ton très calme et inattendu.
— ... Oui, quoi ?
— ... Casse-toi. Rentre à Tôkyô.
Hein ?
— ... Tu devrais repartir pour Tôkyô, et tout de suite. Sinon, tu le regretteras toute ta vie…
Et comme je sais dans quel état lamentable tu seras à cause de ça,
je préfère te donner une chance de t'en sortir. Tu es prévenu.
— ... Et... Pourquoi est-ce que je devrais le regretter ?
— Ferme ta gueule et fais ce qu'on te dit.
Quand tu traverses au feu piéton rouge,
tes parents n'expliquent pas en long, en large et en travers pourquoi c'est dangereux avant de te tirer en arrière !
Ils te traînent d'abord jusque sur le trottoir,
et quand vous êtes en sécurité, alors, seulement, ils te l'expliquent.
Eh bien ici, c'est la même chose.
Elle avait tout su, depuis le début. Et elle m'avait mis en garde. Elle m'avait dit de rentrer à Tôkyô.
— ... Allons, Akasaka, faut pas avoir peur, gamin.
Hmffhhfhhfhfhf !
— Je pense que nous le retrouverons sain et sauf, mais c'est par la suite que tout va devenir très compliqué.
Mais bon, je ne suis qu'un bête flic, je n'oserais pas me perdre en conjectures.
— Il y a cette gamine au village,
Rika Furude, vous la connaissez ?
L'inspecteur me regarda en silence, complètement abasourdi par ma question.
— ... Oui, bien sûr.
C'est la fille unique du clan des Furude.
— Elle est comment, cette fille ?
— Eeeeh bien eh bien eh bien,
mais qu'avons-nous là ?
Je ne m'attendais pas à vous entendre parler d'elle, je dois dire.
La DST soupçonne les Furude ? Si vous avez des tuyaux, je suis preneur !
— Oh, non, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire --
disons que, elle m'intrigue.
— ... Ah oui ?
Éhhéhhéhhé, bah,
vous êtes un ami, on a joué au mah jong ensemble, ça crée des liens. Je vous dirai tout ce que j'en sais.
— Vous me faites beaucoup d'honneur à me considérer comme l'un de vos amis, vous savez.
— Mais non, mais non !
Et donc, cette gamine, eh bien, c'est un peu la mascotte du village.
Tous les habitants du village l'adorent,
et les vieilles personnes lui vouent même un culte.
— Elles lui vouent un culte ? Carrément ?
— Hmmmm, je suis pas trop au courant, hein.
Les gens racontent que les filles nées dans le clan Furude ont des pouvoirs surnaturels.
C'est une croyance spécifique à Hinamizawa.
J'ai entendu dire que cette petite serait la réincarnation de la déesse Yashiro, enfin, une ânerie dans le genre.
— La déesse Yashiro ?
Il me semble avoir vu ce nom là sur certaines pancartes, oui.
C'est quoi comme divinité ? Fertilité ?
— Oh, c'est la divinité protectrice du village, en fait.
Les gens croient qu'elle punit ceux qui font du tort au village.
En même temps, si on avait une déesse aussi pratique sous le coude, je crois que tous les gens en rapport avec le barrage seraient morts depuis un moment.
Je touche du bois, mais pour l'instant, tout le monde est bien vivant.
— Et donc, pour punir le ministre, la déesse Yashiro en colère a fait... comment vous dites, déjà ?
Ah, oui. Enlevé par les démons.
Elle a envoyé les démons enlever le gamin ?
Vous croyez que c'est la version officielle ?
— Ahhahahahahahahha !
Aaaah oui, oui oui oui, c'est pas mal, ça !
Je parie que c'est comme ça que les gens se souviendront de l'affaire !
— Ce serait donc une punition divine.
Donc le coupable serait... la réincarnation de la déesse Yashiro ?
Rika Furude ?
— AHAHAHAHAhahahahaha !
Honnêtement, je me rendais bien compte que je racontais n'importe quoi. Heureusement qu'il avait pris le parti d'en rire.
À force de l'entendre glousser, je finis par me mettre à rire aussi, un peu gêné...
— ... Tiens ?
Ouh là, ça c'est très rare...
L'inspecteur se mit à klaxonner plusieurs fois, puis il sortit le bras par la fenêtre et fit de grands signes.
Une voiture arrivait en face de nous.
Jusqu'ici, nous n'avions pas vu la moindre autre voiture.
Et nous étions, rappelons-le, au milieu d'un coin déserté depuis longtemps.
De plus, l'inspecteur semblait connaître la personne qui nous croisait.
Elle répondit par un coup de klaxon, puis s'arrêta à notre niveau.
— Docteur Irie !
Bonjour !
La vitre de l'autre voiture s'ouvrit aussi, et je pus voir un jeune homme en blouse blanche.
Il avait mon âge, ou bien à peine plus.
... Enfin, c'était mon impression.
— Mais si c'est pas l'inspecteur Ôishi !
Bonjour.
Vous allez dans des endroits peu communs, dites-moi.
— Mais je vous renvoie le compliment, Docteur.
Je n'aurais jamais imaginé vous rencontrer ici,
que s'est-il passé ?
— Oh, c'est une visite chez un patient.
— Ouh là...
Une urgence ?
— Non, heureusement, ce n'était pas si grave que cela.
Je suis plutôt rassuré, d'ailleurs.
— Oui, tant que nous n'avons pas besoin de vos services, tout va bien !
Éhhéhhéhhé !
— Bon, je m'excuse,
mais si je ne rentre pas à la clinique, mes employés risquent de se mutiner et de me passer un savon.
— Ahhahaha !
C'est pas facile tous les jours d'être le chef, hein ?
Allez, faites attention à vous ! Bonne route !
Il inclina légèrement la tête, puis ferma la fenêtre et réaccéléra. En un instant, sa voiture avait disparu.
L'inspecteur aussi se remit à rouler, mais presqu'aussitôt, il freina puis arrêta notre véhicule.
Il ouvrit la boîte à gants et en sortit une carte pliable.
Il avait l'air très sérieux et très concentré.
— Que se passe-t-il, inspecteur ?
— Ce n'est pas son jour de visite, aujourd'hui.
C'était soit une urgence absolue, soit un patient un peu trop spécial pour être emmené à la clinique...
Il fit défiler les pages de la cartes, puis, ayant trouvé la page de Takatsudo, il observa les environs pour repérer où nous étions exactement.
— Et vous pensez que cette histoire de patient est louche, donc ?
— Je vous l'ai dit,
il n'y a quasiment personne par ici.
Regardez, nous sommes ici.
Le docteur Irie est venu par là.
— ... ... ...
Je ne connaissais pas le coin, je voyais mal quel commentaire j'aurais pu faire d'autre.
— Nous nous rendons à l'endroit où le portefeuille a été trouvé --
c'est ici sur la carte --
mais regardez.
Les rares habitations à Takatsudo sont par là-bas -- et pour s'y rendre, il faut passer par une autre route.
— ... Donc en gros, le docteur revient d'une région où il n'y a aucune habitation connue ?
— Exactement. Alors bon, c'est peut-être un homme qui travaillait aux champs qui s'est blessé.
Mais il a bien fallu aller le prévenir, le médecin, non ? Alors quitte à aller à la clinique, autant ramener le patient là-bas en même temps, vous ne croyez pas ?
Mais pourtant, il a dit que ce n'avait pas été si grave que cela.
Il était seul dans la voiture, non ?
L'inspecteur resta silencieux et redémarra.
Je finis par ne plus rien dire non plus.
Le médecin avait examiné un patient dans le coin.
Pas très loin d'ici.
C'était notre seule piste.
Je remarquai alors que la radio était éteinte.
Levant les yeux, je vis que des nuages sombres se trouvaient sur nous.
Ôishi prédisa alors une averse. L'inspecteur disait vrai, et la Nature nous le fit savoir très vite. Il se mit à pleuvoir très fort.
Finalement, l'inspecteur arrêta complètement la voiture.
Il n'y avait que le bruit de la pluie sur la carosserie et celui des essuie-glaces pour briser le silence.
— ... Bon, allons-y prudemment, trèèèès prudemment...
Tout doucement, il ouvrit la porte sans faire de bruit, et sortit sans parapluie sous la pluie battante.
Il plia les genoux et me montra du doigt l'autre côté des buissons.
Il y avait là-bas un bâtiment en préfabriqué et une voiture garée juste devant.
Elle était bien entretenue -- elle n'avait donc pas été laissée ici à l'abandon pendant plusieurs années.
— C'est quoi, ce baraquement ?
— C'est une remise à outils des Eaux et Forêts.
Elle n'est utilisée que pendant les opérations de défrichage, en été.
— Et la voiture appartient donc à un travailleur des Eaux et Forêts ?
— Allez savoir.
On ne dirait pas, mais bon.
La tension se mit à monter en moi.
— Bon, prenons nos précautions.
L'inspecteur remonta en voiture.
Je pensais qu'il voulait un parapluie, mais en fait, il prit la CB.
— Central, ici Ôishi.
Est-ce que vous m'entendez ? Répondez.
Allô ? Aaaaallô ?
— Oui, ici le Central d'Okinomiya.
Ôishi, je vous reçois cinq sur cinq, à vous.
— Je me trouve en ce moment devant la remise à outils des Eaux et Forêts de Takatsudo.
Pas celle en direction de Yago'uchi, hein, celle qu'on atteint en passant par Hinamizawa.
— ... OK, je vois où c'est sur la carte.
— Il y a un véhicule suspect, peut-être des intrus dans la remise.
Je vais aller voir ce qu'il se passe.
Si je ne suis pas là dans cinq minutes, envoyez plusieurs patrouilles en renfort, et en vitesse.
Je compte sur vous.
— Bien compris.
— Bon ! Eh bien alors, allons-y gaiement…
Éhhéhhéhhé !
Il avait déjà entendu plusieurs fois des voitures aller et venir.
Aussi n'avait-il pas réagi plus que cela lorqu'une autre voiture s'était arrêtée.
Mais ses ravisseurs étaient d'un autre avis.
Ils réagirent instantanément, comme s'ils avaient pris un coup de jus. Se cachant près de la fenêtre, ils risquèrent un coup d'œil discret.
— ... Elle s'est arrêtée.
— Tu crois qu'ils sont des Eaux et Forêts ?
C'est pas bon pour nous...
— Nan, c'est des poulets...
L'un des ravisseurs souleva l'otage par le col-back et plaça la lame d'un couteau tout contre sa joue.
— OK gamin, tu la boucles, c'est compris ?
Si tu dis un seul mot, tu auras un gros problème...
Toshiki Inugai était persuadé que le médecin avait prévenu la police.
Il savait que la fin de son calvaire était proche, mais il ne savait pas comment ses ravisseurs allaient réagir.
— On fait quoi ?
— Je vais gagner du temps.
Tu prends l'gamin et tu te casses par derrière.
Je te rejoins quand tout sera rentré dans l'ordre.
Le ravisseur fit lever l'enfant.
Bien sûr, celui-ci continua de faire semblant d'être malade, mais ses ravisseurs n'en avaient plus cure.
BANG BANG BANG!!!
On frappa violemment à la porte.
— Excusez-moiaaaaaaaa !
Y a quelqu'uuuuuuuuuuuun ?
BANG BANG BANG!!!
Les coups sur la porte reprirent de plus belle.
L'espace d'un instant, Toshiki Inugai hésita -- devait-il appeler au secours ?
Mais cet instant d'hésitation fut de trop ; l'un des ravisseurs lui remit bâillon et muselière, et il n'eut plus à chercher la réponse.
L'autre fit signe à son complice de partir.
Lui et l'enfant partirent vers la porte de derrière.
— Ouiiii ? Chuis là, késsiya ?
— Bonjour,
c'est la police ! Vous pourriez ouvrir ?
Éhhéhhéhhé !
On s'est fait surprendre par la pluie !
— Ahaha, ah oui,
bougez pas, je vais vous ouvrir ça...
À peine la clef avait-elle tourné dans la serrure que l'inspecteur donnait un violent coup d'épaule dans la porte.
Puis, entrant sans vergogne dans la pièce, repoussant l'homme du bout du bras, il regarda la pièce.
Elle était vide. Il comprit instantanément que l'enfant qu'ils cherchaient n'était plus ici.
— Tiens ?
Je croyais que c'était une remise pour les outils des Eaux et Forêts ?
Il n'y a rien ici...
Il n'y avait aucun outil ici, à peine quelques couvertures et une montagne d'emballages de nourriture.
Rien qui indiquait un bâtiment des Eaux et Forêts en tout cas.
— Bah oué, c'est vide depuis un moment.
J'ai jamais vu d'outils là-d'dans, moi.
— Et pourtant, c'est un bâtiment des Eaux et Forêts, non ?
Vous êtes qui, vous ?
— Et vous alors, z'êtes flic, vraiment ?
Ils se regardèrent en chien de faïence.
Ni l'un ni l'autre n'avait l'intention de se présenter.
L'homme comprit qu'il nous pourrait pas donner le change bien longtemps.
Même en poussant le bouchon, il pourrait à peine gagner quelques dizaines de secondes, au plus.
Seul le bruit de la pluie vint troubler le silence qui régnait entre les deux hommes.
C'est alors qu'au loin, on put entendre des bruits de lutte.
Ôishi eu un pressentiment.
Il sut immédiatement qu'Akasaka était tombé sur le complice et l'enfant en faisant le tour par derrière.
Il se tourna vers l'autre homme, mais sa réaction à lui fut encore plus rapide.
Il esquissa une attaque, qui visait plus à pousser l'inspecteur à fermer les yeux qu'à vraiment le blesser au visage.
Pendant qu'Ôishi se protégeait la tête, instinctivement, l'autre lui porta un violent coup de pied dans l'entrejambe.
Mais le coup ne fut pas critique.
Il se jeta sur lui, les deux mains en avant, prêt à lui enserrer la gorge, poussant de toutes ses forces.
L'inspecteur se laissa tomber en arrière et plaça son pied sur l'abdomen de l'autre homme.
Il le projeta au dehors avec cette planchette japonaise.
Les deux hommes se firent face sous la pluie battante.
— Mais tu es un petit marrant, toi ?
T'as envie d'te battre contre moi ?
Ahhahahahahaha !
L'inspecteur se releva en souriant, prêt à en découdre.
Il tapa sur sa chemise pour en faire tomber la boue.
L'autre se releva d'un geste rapide et grâcieux.
— Eeh, Ôishi,
dépêchez-vous !
On entendait la voix d'Akasaka au loin.
Apparemment, il avait des problèmes là-bas, et avait besoin d'un coup de main, très vite.
Sauf que là, ça n'allait pas être possible.
— Akasakaaaa ?
Chuis désolé, mais va falloir attendre un peu, j'ai pas le temps !
L'homme en face de lui prit une pose de combat -- c'était de la boxe ou du karaté...
Bien sûr, l'inspecteur savait se battre. Il savait aussi se débrouiller dans plusieurs sports de combat.
Et puis, il en avait vu d'autres au cours de sa carrière.
Mais c'est justement pour cela qu'il se rendit compte presque tout de suite que son adversaire était nettement plus doué que lui.
Eeeeh merde !
Je savais bien que ça finirait mal, même malgré l'ordre de relâcher le gamin !
— Eh bien eh bien, t'as l'air de t'démerder.
Ça faisait longtemps que la bile n'était pas remontée jusque dans ma gorge, gamin !
Éhhéhhéhhé !
Ôishi ne donnait pas l'impression d'être inquiété.
Le voyant si sûr de lui, l'autre homme eut l'air de comprendre qu'il ne s'en débarrasserait pas aussi facilement.
Il se rua alors vers l'inspecteur.
S'il le poussait en arrière depuis cette position si basse, il serait sur lui !
On voit souvent les enfants se bagarrer comme ça, mais en fait, c'est très efficace !
L'inspecteur mit son pied en arrière et s'abaissa, décidé à ne pas se laisser avoir.
Lorsqu'ils s'atteignirent, Ôishi attrapa son adversaire par le col !
Puis, tournant le poignet, il fit mine de le soulever, pour pouvoir bien planter son coude dans le plexus solaire de son adversaire.
Un coup qu'il avait inventé quand il apprenait encore le judo.
Enfin, ramenant son autre main, il fit mine de soulever son adversaire pour le projeter au loin.
Sauf que l'autre ne se laissa pas démonter. Il fit un grand moulinet avec ses bras et colla les deux bras de l'inspecteur ensemble.
Puis il les repoussa du côté, en faisant pression sur les coudes. L'inspecteur se retrouva dans une position tout sauf naturelle, montrant son dos alors que ses mains tenaient toujours la chemise de son adversaire !
Saloperie, il fait aussi de l'aïkido, et il a appris à faire des entraves !
Ne voulant pas se retrouver avec les pouces coincés dans le col de la chemise de son adversaire, Ôishi préféra lâcher prise.
Mais dans la position où il était, il lui serait impossible de reprendre son équilibre.
Et puis, il était tout près de l'autre !
L'autre, justement, voyant l'inspecteur se démener pour rester debout, se plaça pile derrière lui.
Puis, avec le plat des deux mains,
il lui frappa un grand coup sur les deux oreilles.
— Aaaagh !
Pour le cas où vous ne le sauriez pas, cette attaque est strictement interdite dans la plupart des arts martiaux, à moins d'un cas de vie ou de mort.
N'essayez pas de faire ça dans un match de judo ou de karaté...
C'est une attaque très simple à placer, mais très douloureuse et très dangereuse !
Ôishi porta les mains à ses oreilles, par automatisme.
Mais son adversaire en profita pour placer ses bras autour de son cou.
Les deux bras musclés se mirent à exercer une forte pression sur le cou et les cervicales.
Instantanément, Ôishi sut qu'il allait mourir.
Dans cette position, un homme tellement entraîné n'aurait aucun mal à lui briser la nuque.
Mais pourtant, son adversaire ne l'achevait pas. Il lui faisait la prise du sommeil...
L'inspecteur eut un petit rire.
L'autre aurait pu le tuer déjà, des dizaines de fois, et il ne l'avait pas fait.
Il était en train de penser :
— Ah, il n'a pas l'intention de me tuer.
Sentant sa vision virer au sombre, puis au rouge, Ôishi eut des souvenirs de ses cours de judo à l'université.
Une bonne vieille prise du sommeil, un classique qu'il connaissait bien.
Son adversaire avait gagné...
La douleur cessa enfin d'incommoder Akasaka.
Il était tombé sur un ravisseur derrière le bâtiment, et celui-ci avait l'enfant avec lui.
Il avait vu des photos, mais sur le moment, il n'avait pas su dire si l'enfant bandé et bâillonné était bien le bon.
Et puis, vu son manque d'expérience, il ne savait pas trop comment réagir.
Mais son hésitation lui fut fatale, car le ravisseur en profita.
Il n'eut pas le temps de demander de l'aide à l'inspecteur Ôishi qu'il prenait un coup de pied bien placé dans les parties.
Le ravisseur souleva alors l'enfant et le plaça sur l'épaule, comme un vulgaire sac de riz, et prit la direction de la voiture, devant le baraquement.
Mais il remarqua la voix de l'autre policier et abandonna ce projet.
Il se mit alors à courir à toute vitesse vers la forêt.
C'était comme si le jeune garçon qu'il portait ne pesait presque rien.
Akasaka ne sut pas quelle marche suivre.
Il serait plus sûr de rejoindre Ôishi et de l'aider.
Mais il ne pouvait pas se permettre de perdre l'autre ravisseur des yeux !
Il se releva et se mit à sa poursuite.
Passant dans de petits buissons, il faisait craquer des branches mortes au sol.
Les ronces et les épines lui firent des griffures, puis des égratignures, puis des blessures qui saignaient.
Il marcha plusieurs fois dans de petites flaques d'eau et de boue, et bientôt ses chaussures en furent pleines.
Lui qui n'avait jamais marché dans cette forêt, cela lui était très désagréable, malgré l'urgence de la situation qui lui imposait de rester stoïque et de ne pas y prêter attention.
— Arrêtez-vous !
Police !
Juste après l'avoir dit, il se rendit compte non seulement qu'il était ridicule, mais que crier lui faisait utiliser inutilement son oxygène.
Aucun malfaiteur ne serait assez stupide pour attendre gentiment les policiers à ses trousses !
Akasaka n'avait pas l'habitude de courir dans la forêt, car il avait toujours vécu en ville,
mais le ravisseur devant lui n'avait pas l'air de s'en sortir beaucoup mieux.
La distance entre eux ne se réduisait pas, mais il ne prenait pas le large.
Remarquant cela, Akasaka put se calmer un peu et arrêter de paniquer.
Il lui suffisait de continuer à lui courir derrière.
L'autre avait l'enfant à faire balancer sur son épaule,
la course n'était pas à son avantage.
Il ne pouvait pas fuir éternellement.
Il finirait bien par se fatiguer ou par tomber !
Pas de panique, il suffisait de rester derrière !
Akasaka avait vu juste.
— Woah !
Se prenant les pieds dans quelque chose au sol, le ravisseur ne put rester debout ; pliant sous le poid de l'enfant, il le fit tomber par terre.
Pour être tout à fait honnête, Akasaka n'en avait rien à faire, du ravisseur.
Il lui fallait garder Toshiki Inugai en vie.
Si le ravisseur s'était enfui en laissant le gamin derrière lui, ç'eût été tout bénéf'.
Mais malheureusement, l'enfant semblait très important pour le ravisseur aussi. Il choisit non pas de fuir, mais de remettre l'enfant sur son épaule.
Akasaka ne savait pas quoi faire.
Sa priorité absolue était de protéger l'enfant ; maîtriser le ravisseur n'était pas nécessaire.
Il n'avait pas imaginé devoir en venir aux mains avec les ravisseurs.
Mais là, il n'allait pas avoir le choix !
Évidemment, cette hésitation lui fut encore une fois fatale.
Le ravisseur se retourna et lança un coup de poing rapide vers ses yeux.
Juste au moment où Akasaka se protégea le visage avec ses mains, le ravisseur enchaîna avec un coup de pied dans les abdominaux, comme s'il n'avait attendu que cela.
Sans se démonter, malgré la douleur, Akasaka saisit le pied de l'agresseur.
Celui-ci n'eut aucune hésitation.
Il bondit en avant, comme pour rejoindre sa jambe prisonnière, et en profita pour mettre un coup de genou dans le torse d'Akasaka, puis s'affala de tout son poids sur lui pour le mettre à terre.
Akasaka tomba à la renverse, mais ne lâcha pas prise.
Les deux hommes roulèrent au sol, emmêlés l'un à l'autre.
L'agresseur ne parvenait pas à se défaire de l'emprise du policier, ni à se relever.
Ils roulaient constamment, l'un essayant de retomber sur l'autre.
Mais évidemment, entre l'agresseur qui n'avait que le haut du corps de libre et Akasaka qui tenait cette jambe comme un chien enragé, les conditions étaient très différentes.
L'agresseur se mit à frapper sur le crâne du policier, du plus fort qu'il pouvait.
Puis, trouvant une pierre sur le sol, il s'en saisit.
Et vlan !
Et encore !
Et encore !
La différence entre un poing qui vous frappe et une pierre est vraiment énorme.
Akasaka voulut tout d'abord lâcher prise et protéger sa tête.
Mais s'il faisait cela, l'homme s'enfuirait.
Il aurait fait tout cela pour rien.
Le gamin est là.
Je dois le ramener à Tôkyô !
Et ensuite, je ne remets plus jamais les pieds ici !
Encore un coup !
Puis un craquement !
Et encore !
Pas la peine de regarder, je sais que je pisse le sang.
Mais je ne peux pas me permettre de le lâcher.
Jamais ! Jamais de la vie !
Voyant Akasaka s'obstiner, l'agresseur lui saisit le cou et voulut lui écraser la pomme d'Adam.
Rentrant la mâchoire dans le cou, il tenta d'y résister, mais cela ne servit à rien.
L'agresseur n'eut aucun mal à placer ses pouces sur la pomme d'Adam. Il se mit alors à appuyer comme un malade !
Plus qu'une sensation d'étouffement, c'était une envie de vomir qui assaillit le policier.
Son estomac se révulsait,
mais il devait encaisser sans rien dire !
Putain de ta vieille de putain de ta race de saloperie de merde !
Il va m'éclater la gorge, ce con !
Je ne lâcherai pas, je ne LÂCHERAI PAS !
J'ai pas envie de rester.
J'ai envie de rentrer, je veux rentrer à la maison !
J'irai à l'hôpital,
j'irai chez ma femme,
et on parlera de notre enfant,
et on parlera de son avenir !
Profitant d'un moment de faiblesse,
l'homme put dégager sa jambe.
Il mit un grand coup de pied vers l'avant et envoya le policier rouler plus loin.
Akasaka avait le tournis et ne réussit pas à se relever.
... De toutes manières, son corps tout entier était mou.
Je peux pas abandonner maintenant !
S'il réussit à s'enfuir, je n'aurais plus jamais une occasion pareille !
Déjà que c'était un miracle d'avoir eu une piste et de leur être tombé dessus...
Si je ne récupère pas le gamin, on ne les aura jamais !
L'homme tenta de reprendre le garçon, mais celui-ci se rebiffa, et son ravisseur ne remarqua pas le policier se relever.
Il avait une pierre dans la main.
C'était à son tour de frapper !
— Prends ÇA !
Même si je n'ai pas trop de force dans les bras, la pierre devrait faire suffisamment d'effet !
Prenant un coup au ventre,
le malfaiteur se tordit de douleur.
— Ouof…
Ffoh !
Il se tint le ventre, puis tomba en avant.
L'enfant alla aussitôt se cacher derrière le policier.
— Toshiki Inugai ? C'est bien toi ?
Je suis là pour te sauver !
Combien de fois l'enfant avait-il rêvé d'entendre ces mots ? Enfin, les secours étaient là !
Mais le danger n'était pas encore écarté.
Le ravisseur se relevait -- en se tenant le côté, certes -- et se remettait en position de combat.
Akasaka lut instantanément dans les yeux de son adversaire une forte dose de haine et surtout la certitude absolue de gagner.
Au prochain coup, je ne m'en tirerai pas avec une blessure au front...
— Toute résistance est inutile !
Rendez-vous sans faire d'histoires !
— Non, c'est toi qui vas me rendre le gamin sans faire d'histoires !
Tu veux que je te tue ou quoi ?
— Mais tu me prends pour un idiot ?
Les renforts ne vont plus tarder maintenant !
Vous ne pourrez plus vous échapper !
Le ravisseur réagit visiblement à la mention des renforts.
Non seulement il comprit que la parlotte ne lui servirait à rien, mais aussi qu'il était en danger.
Heureusement pour lui, il fut prompt à réagir.
— Pas de problème.
Que dis-tu de ça ?
— Que... !?
Il avait sorti de sa poche... une arme à feu !
Akasaka était flic.
Il savait à quoi ressemblait un pistolet.
Mais c'était la première fois que quelqu'un pointait une arme chargée sur lui !
Mais... c'est un vrai ou pas ?
Oui, bien sûr que c'est un vrai !
Il va pas sortir une réplique en plastique !
— Allez, les mains sur la tête, et mets-toi à genoux, la tête au sol !
— Fais pas trop le malin !
Va te faire foutre !
— Mais putain, t'es con ou quoi ?
T'as envie que je tire ? Tu sais pas que ça fait mal ?
— Ben alors tire, grand !
Tire ! Et comme ça les renforts sauront tout de suite où nous sommes !
— Mais t'es trop con, en fait ?
On est en pleine forêt, et il tombe des cordes !
Personne n'entendra le coup de feu !
Maintenant qu'une arme était pointée sur lui, Akasaka était ipso facto en position d'infériorité.
Et pourtant, il sentait sa victoire assurée.
Si j'étais dans sa position, je l'aurais déjà buté, au lieu de me prendre le chou.
C'est beaucoup plus rapide et plus sûr pour récupérer le gamin.
Mais lui ne tire pas. Il essaie de me convaincre…
Donc soit il ne peut pas tirer, soit il n'ose pas…
mais dans les deux cas, je ne risque rien !
Si j'arrive à gagner du temps, tout jouera en ma faveur.
Ôishi va bien finir par me rejoindre, et puis, les renforts ne vont pas tarder non plus.
Et puis, la patrouille dans le village a dû être prévenue.
Elle n'a besoin que de quelques minutes pour nous rejoindre !
— Va chier, merde !
Il faut vraiment que je te tire dessus, hein ?
— Pah, de toutes manières, tu ne pourras jamais t'enfuir !
Autant ne pas alourdir ta peine de prison !
Nous entendîmes alors des pas lourds qui s'approchaient rapidement.
Quand Ôishi sera là, la situation changera du tout au tout !
Il ne se laissera pas impressionner par l'arme du ravisseur !
— Inspecteur !
Nous sommes ici !
Hein ?
J'étais persuadé que le temps jouerait en ma faveur...
Et pourtant, j'aurais dû me douter que nos ennemis aussi pourraient avoir du renfort !
Au premier coup d'œil, je sus que l'homme en face de moi était aussi un ravisseur.
— Kessu fous ?
Butes-le, les poulets vont rappliquer !
S'tu t'fais chier, là ?
— Eh, toi !
Qu'est-il arrivé à l'inspecteur Ôishi ?
— Qui, le tonneau ?
Il est à terre, il fait des bulles.
Hahahahaha !
— Comment ? Il est...
Putain, MERDE !
Le garçon derrière moi sut que nous étions en danger. Il se fit tout petit, tremblant de peur.
Eh merde... putain de saloperie de ta race !
— Ben alors, c'est pas le bon qui est venu, on dirait ?
Bien fait pour ta gueule, toquard !
Allez, abandonne !
Alors que je me déplaçais lentement vers un tronc d'arbre pour permettre à l'enfant de s'enfuir, le nouvel homme sortit son flingue.
— Je te le dirai pas deux fois.
Les mains sur la tête, à genoux !
— Va te faire m
BANG!
Je n'avais même pas terminé de dire “non” qu'une gerbe de sang jaillit de mon épaule gauche. Il me fallut un instant avant de réaliser qu'il m'avait tiré dessus !
C'était la première fois que j'entendais un vrai coup de feu, et franchement, c'était décevant ; cela n'avait rien à voir avec ce que je croyais connaître grâce aux films et aux séries télé.
D'ailleurs, il ressemblait plus au bruit des pétards que j'achetais quand j'étais gamin.
Mais la douleur qui accompagnait le bruit était indescriptible --
je comprenais maintenant pourquoi les gens avaient peur des armes à feu.
— Aaargh... hhffffhh... hnnnn...
— Monsieur ? Monsieur !
Eh, ça va ?
Vous êtes sûr ?
Le garçon tira frénétiquement sur ma manche, ce qui m'arracha une grimace de douleur.
J'aurais bien voulu le rassurer, mais là, c'était le contraire qui était en train de se passer...
— T'en fais pas, j'ai rien !
Et puis, les renforts sont déjà en route pour nous aider !
Les autres policiers seront bientôt là.
Nnnnff !
— C'est pas grave, je peux te faire un trou dans la tête, et le problème sera réglé.
Le clan principal m'a dit de ne pas tuer inutilement, mais là, j'commence à en avoir raz le sac.
Si tu fais le malin, tu es mort.
Merde, merde, merde,
MERDE !
C'est pas un gentil,
lui, il hésitera pas !
S'il me dit qu'il tirera, il tirera, c'est pas du bluff.
Je serai jamais assez doué pour gagner du temps contre lui !
À cet instant, je revis le sourire de ma femme, Yukie.
Je savais ce que cela voulait dire.
Mon subconscient était en train de me dire de ne pas jouer au con avec ma vie.
Évidemment que je veux pas mourir maintenant !
Je viens à peine de me mettre en ménage avec ma femme, et notre premier enfant va bientôt naître !
J'ai envie de le voir, cet enfant, il est plus important que le gamin du ministre !
Raah, mais merde, qu'est-ce que je fous ?
Je fais quoi,
maintenant,
je leur laisse le gamin ?
Et pourquoi pas, après tout !
Je suis en position dangereuse,
c'est ça ou mourir !
Personne ne m'en voudra !
Merde, j'ai mal, putain de sa race !
Si j'avais su, j'aurais fermé ma grande gueule !
Et puis j'aurais jamais cru que le bruit du flingue était si ridicule.
Avec cette pluie, il n'avait pas dû porter bien loin !
Il n'a certainement pas pu alerter qui que ce soit !