Soudain, le téléphone sonna.

Je me réveillai en sursaut.

La pendule indiquait 21h.

Akasaka

— Eh merde...

Je me suis endormi... le rapport...

Je décrochai.

Réception

— M. Akasaka ?

Quelqu'un vous appelle depuis une ligne extérieure, dois-je vous mettre en relation ?

La personne dit s'appeler M. Kanô et être l'un de vos collègues de travail.

Je le savais...

Il a décidé de m'appeler en voyant que j'avais du retard.

Akasaka

— Oui, merci de me prévenir, passez-le moi, je vous prie.

Réception

— Très bien.

Je vais relier les lignes. Veuillez raccrocher.

Je raccrochai et attendis quelques secondes. Le téléphone se remit à sonner.

Akasaka

— Oui, allô,

Akasaka à l'appareil.

Kanô

— Oui, Akasaka ?

C'est Kanô.

Bon boulot.

Comme tu n'as pas appelé, j'ai préféré le faire.

Tout va bien ?

Je vois, il préfère savoir s'il y a du nouveau, mais il va quand même me passer un savon après...

Akasaka

— Eh bien, je suis allé sur place aujourd'hui pour voir le groupe d'activistes sur leur terrain.

Je me suis fait passer pour un touriste et j'ai pu parler au maire et à quelques membres haut placés du groupe.

Akasaka

Je n'ai pas réussi à les interroger par rapport à ce qui nous préoccupe, mais j'ai obtenu un laissez-passer et un gros capital sympathie qui me sera utile pour demain et après.

Kanô

— Je vois.

Tu t'es bien débrouillé, à ce que je vois.

Parfois, tu as l'air encore de débuter, c'est peut-être devenu un avantage ?

C'est un succès inespéré, alors ?

Akasaka

— ... Je n'ai pas l'expérience pour comparer,

mais je pense que j'avance bien.

Kanô

— Et les infos des policiers du coin, ça donne quoi ?

Cette alliance, là, elle a rien à voir ?

Je ne le savais pas encore.

C'était une réponse que j'aurais pu dire sans hésiter,

et pourtant…

je ne trouvai pas les mots.

Akasaka

— ... Je suis encore dans l'enquête, je ne peux pas me prononcer.

Kanô

— Mouais.

Ben, écoute, dépêche-toi, hein.

Je ne sais pas si tu as compté, mais ce soir, cela fera 4 jours que l'enlèvement a eu lieu.

Kanô

Nous ne savons pas quand est-ce qu'il sera trop tard, alors il nous faut faire vite. Le temps ne joue pas en notre faveur…

j'espère que tu en es bien conscient.

Akasaka

— Oui,

je sais.

Je vais continuer à ramasser des indices, le plus vite possible.

Kanô

— Merci.

Mais fais attention, hein ?

Tu as en face de toi un groupe armé et violent.

On ne sait pas ce qu'il pourrait t'arriver s'ils découvrent ta couverture.

Appelle-nous s'il y a du grabuge.

Kanô

Je dirais aux autres à Gogura de rester en alerte pour te sortir de là.

Akasaka

— Merci beaucoup.

Je ferai de mon mieux.

Kanô

— Il n'y a rien d'autre que tu voudrais nous faire passer comme message ?

Je lui fis part de quelques remarques et laissai quelques mots à faire passer, puis, vers la fin de notre conversation, je décidai de poser la question.

Akasaka

— Comment ça se passe de votre côté ?

Kanô

— Mouais, bof.

Tout le monde se donne du mal, mais il n'y a pas beaucoup de résultats.

Il faut dire que le nombre de groupes d'activistes à surveiller est vraiment énorme.

Kanô

Donc dès que tu as confirmation qu'ils ne sont pas dans le coup, reviens à Tôkyô, on a du boulot pour toi.

Kanô

Le chef veut que tu fasses ça proprement, mais franchement, tes ploucs, ils ont pas le niveau.

Kanô

C'est dur de perdre des hommes comme toi en les envoyant à perpet' alors qu'on a tellement de choses à vérifier ici...

Merci pour moi...

Il est en train de me traîter de glandeur, mine de rien. Comme si je faisais exprès de prendre mon temps ici...

Akasaka

— Je vais essayer de régler tout ça le plus vite possible, je vous le promets.

Kanô

— Ouais, merci.

Bon, si c'est tout, je raccroche.

Akasaka

— OK.

Ce sera tout, je pense.

Juste avant de raccrocher, il me passa un savon pour ne pas les avoir appelés à l'heure -- je savais bien qu'il le ferait...

Je reposai le combiné et m'étalai sur le lit, les bras écartés.

... Mais au fait, l'inspecteur Ôishi n'a pas encore appelé ?

Il avait pourtant dit qu'il me ferait rencontrer son informateur ce soir...

Je pourrais peut-être l'engueuler pour me passer les nerfs...

Hmmm, non, après tout, il n'a pas dit quand exactement il appellerait, il a juste dit “ce soir”.

... Je déteste ce genre d'appels, l'attente n'est pas quantifiable, et ça me met tout le temps hors de moi...

À peine l'avais-je pensé que le téléphone sonna à nouveau.

Je décrochai immédiatement.

Akasaka

— Oui, allô ?

Ôishi

— Ouh là, vous m'avez surpris !

Akasaka, vous êtes rapide pour décrocher !

Vous allez souvent dans des cabines privées ou quoi ?

Akasaka

— Non, la prostitution par téléphone ne m'intéresse PAS !

Ôishi

— Allons, pas la peine de prendre la mouche, c'est une blague, quoi !

Ooh, mais vous êtes un timide, vous !

Je peux vous emmener dans un coin formidable, ça vous décoincera un peu, vous verrez !

Éhhéhhéhhé !

Akasaka

— Bon, écoutez, venez-en au fait, Ôishi.

Ôishi

— Vous êtes sûr ?

Tant pis alors, ce sera pour la prochaine fois.

Alors, je voulais vous dire...

Parmi les haut placés dans l'association, il y avait des gens qui avaient beaucoup d'influence dans les villes alentours.

À Okinomiya aussi.

C'est pourquoi il fallait aller un peu plus loin dans le district de Shishibone pour pouvoir parler sans se faire tout de suite remarquer.

Ôishi

— Akasaka, nous sommes là, venez, par ici !

Vous vous êtes perdu en route ?

C'est plus facile par le nord, mais c'est plus long...

Akasaka

— Vous en faites pas, c'est ma faute, je m'excuse.

Ôishi

— Vous avez mangé ?

Akasaka

— Oui.

Déjà fait.

Ôishi

— Bon, alors allons dans un endroit où nous pourrons boire !

Vous êtes plus whiskey ?

Ou saké ?

Avec ou sans filles ?

Éhhéhhé !

Akasaka

— Ne vous gênez pas pour moi.

De toute façon, je ne bois pas pendant le service.

L'homme qui accompagnait Ôishi explosa de rire en lui donnant de grandes tapes sur les épaules.

Ôishi

— Alors ?

Je t'avais dit que c'était un bleu !

Tu seras gentil avec lui, hein ?

Cet argent, il venait de son porte-feuille, tu sais.

Le compagnon d'Ôishi avait cet air particulièrement louche, un peu comme le turfiste qui a toujours un tuyau de dernière minute.

Il riait en se moquant de moi.

Sato

— Eh, gamin ?

Tu lui as filé combien ?

Il a déjà sorti beaucoup !

Akasaka

— Oh, j'ai ajouté un peu pour couvrir ses frais, de toutes manières.

Il avait pensé pouvoir me faire une frayeur, c'était évident.

En me voyant rester calme et inflexible, il se rendit compte que j'étais exactement l'opposé de lui.

Mais au lieu de se sentir rejeté et de partir, il me regarda au contraire avec intérêt, comme on regarde les animaux étranges au zoo.

Ôishi

— Alors, je te l'avais dit,

il est sérieux.

Mais vous savez, Akasaka,

dans notre métier, l'expérience de la vie peut devenir une arme redoutable !

Akasaka

— Vous allez devoir m'expliquer en quoi boire des bières avec des prostituées peut devenir une arme...

Sato

— HAHHAHHAHHAHHAHHHA !

Sans se soucier ni des passants, ni de moi, l'informateur repartit de plus belle dans un rire gras.

Ôishi

— Aaaahaha,

vous comprenez vite, Akasaka !

Vous n'avez pas été à l'université pour rien, on le sent !

Akasaka

— Ôishi,

vous avez bu ou quoi ?

Vous êtes saoûl ?

Ôishi

— Eh alors, je suis pas en service, je fais de mal à personne !

Vous faites ce que vous voulez, mais moi, je suis pas en service, alors laissez-moi tranquille !

Éhhéhhé !

L'inspecteur avait l'air de très bonne humeur, il n'y aurait sûrement pas moyen de le rendre raisonnable.

Je me sentais un peu bête de m'être préparé mentalement à tout retenir par cœur.

… Merde.

Franchement, j'espère que les infos que j'obtiendrai seront à la hauteur de ce qu'elles m'ont coûté...

En même temps, c'est l'indic qu'il me fallait, donc Ôishi pouvait être pété comme un âne, cela ne changeait pas grand'chose.

Mais ça ne me plaisait pas quand même...

Nous prîmes tous les trois de petites rues pour nous enfoncer plus avant dans les quartiers, derrière la rue commerçante.

Il y avait du monde dans l'artère principale, mais à peine deux rues plus loin, tout était mort. La ville, la nuit, c'est vraiment spécial.

L'inspecteur prit une volée d'escaliers longeant un immeuble délâbré.

Il n'y avait aucune pancarte. Impossible de savoir s'il y avait un magasin ou un bar ici.

Ôishi

— Ne vous en faites pas,

ce n'est pas un tripot.

Éhhéhhéhhé !

Il valait mieux ne pas trop le croire...

Il ouvrit la porte... et à l'intérieur, il y avait un club de mah jong qui avait l'air plutôt normal.

Ce n'était pas dramatique, après tout. Je poussai un petit soupir de soulagement, en mon for intérieur...

Vendeur

— Bonsoir, messieurs !

Oh, Choupinet, ça fait un bail !

Tu veux venir ici ?

La table sera bientôt libre !

Ôishi

— Non, ce soir, c'est soirée privée, je viens rejoindre quelqu'un.

Ah, t'es là, on est en retard, désolé.

Le mah jong se joue à quatre...

Il m'avait emmené ici pour faire une partie, et donc l'homme entre deux âges qui s'avançait vers nous était notre dernier homme...

Vieil homme

— T'es en retard, Kuraudo.

J'allais justement partir !

L'inspecteur se répandit en excuses, en poussant la faute sur moi.

C'est alors seulement que notre homme me remarqua.

Ôishi

— Oui, c'est Akasaka,

un petit bleu venu spécialement de Tôkyô pour nous rendre visite. Il est très prometteur.

Sato

— ... Gamin,

tu sais jouer, au moins ?

Akasaka

— Euh... Oui, un peu, j'y jouais quand j'étais étudiant.

L'homme et l'informateur se regardèrent et se mirent à rire.

Ils étaient là pour me plumer...

Ôishi

— Je me suis dit que vous deviez être fatigué et à bout de nerfs, avec le voyage !

Alors ce soir, je vous ai préparé une petite soirée pour vous détendre !

Éhhéhhéhhé !

Akasaka

— ... Je sais que c'est une question idiote, mais laissez-moi deviner : on va jouer pour de l'argent ?

佐藤

— AAAAHAHAHAHA !

Ôishi

— Boooah, juste un p'tit peu.

Juste pour s'amuser.

De toute façon, l'argent du perdant servira juste à payer pour les consommations après ! Éhhéhhé !

Éhhéhhé !

Akasaka

— Les consommations après ?

Dans quel établissement ?

Ils se mirent à citer des noms de clubs et de cabarets, probablement tous bien garnis en filles de luxe.

Ce n'était pas le genre d'endroit où l'on pouvait consommer pour peu d'argent.

Akasaka

— M. Ôishi m'a pris tous mes sous l'autre jour, et avec le travail, je ne pourrai pas rester très longtemps...

Vieil homme

— Eh ben alors, t'as qu'à gagner, gamin !

Si tu gagnes, tu n'auras qu'à régler la table et tu pourras bosser avec Kuraudo !

En fait, ils avaient juste envie de jouer gratos, donc...

Il va falloir me tenir sur mes gardes.

Et puis, s'ils continuent à ne pas me prendre au sérieux, ils ne me donneront pas d'infos vraiment intéressantes.

Akasaka

— ... Très bien.

Alors, allons-y, je veux bien rester un peu.

Mais si je gagne, je vous préviens, il n'y aura ni argent, ni filles, c'est clair ?

佐藤

— AAAAHAHAHAHA !

Ôishi

— Oui, d'accord,

pas de problème !

Éhhéhhéhhéhhé !

Vieil homme

— Si je gagne, je vous emmène tous au Blue Mermaid !

Ôishi

— Aaah, vous avez bon goût !

le bar avec les filles en justaucorps et en costumes de domestiques ?

Moi, je préfère les restaurants de pétales tournants !

Je me suis musclé la langue exprès !

Et toi, Satô, tu veux aller où ?

Sato

— Oooh, moi, je préfère les bars où on peut boire tranquillos.

Ôishi

— Ceux avec des lapines qui écartent bien les jambes ?

Hahahahaha !

Ôishi

La dernière fois, tu lui as arraché le pompon de la queue, non ?

T'en es où avec ça ?

Sato

— Le patron m'a facturé le fil à coudre, ça m'a coûté un bras.

佐藤

— HAAAaaHHAHAHAHA !

... Eh ben, quelle ambiance.

Les joueurs des autres tables nous regardaient avec de grands yeux, incapables d'en croire leurs plus chastes oreilles.

... Moi non plus, d'ailleurs...

Il ne me reste plus que mes fonds personnels.

... Et franchement, je n'ai pas pensé à ramener beaucoup.

Au rythme où ils vont, mon porte-feuille y passera avant minuit.

Si je ne gagne pas, je n'obtiendrai rien.

En plus, ils ont l'air forts au jeu...

Je suis désolé...

Yukie...

Ôishi

— Éhhéhhéhhé !

Allez, main appelante !

Hmm, je parie que ni Satô ni le vieux ne joueront le jeu, mais Akasaka ?

Espérons qu'il panique...

Vieil homme

— Kuraudo, je parie tu mises par là ?

Alors ça passe !

Tiens !

Ohooo !

Il est fort le vieux,

il a jeté pile ce que je ne peux pas utiliser, et il est sûrement à une tuile du mah jong...

Je vois qu'Akasaka est encore un peu inexpérimenté pour différencier les vraies annonces des coups de bluff ?

Ça lui coûtera la victoire !

Vieil homme

— Ben alors, gamin ?

Tu joues ?

Si tu sais pas quoi jouer, joue comme Kuraudo, tu peux pas te tromper.

Akasaka

— ... ...

Oooh, c'est bon, il hésite.

Il peut se défausser avec une tuile sûre, mais ça l'éloigne du mah jong, c'est écrit sur son visage !

Rah, c'est beau la jeunesse, il est mignon comme un puceau !

Allez, sors la bonne !

Si tu jettes celle qu'il me faut, on aura des poires à sucer et des abricots à lécher !

Si tu jettes une bonne pour le vieux, en route pour le Blue Mermaid !

Akasaka

— ... Hmmm... Je me demande si ça passe...

Alors, alors, il est tout hésitant, c'est quoi ?

Aaah, dommage.

Vieil homme

— Eh, t'es fou ou quoi, gamin !?

Kuraudo, tu laisses passer ?

Ôishi

— Oui, oui, oui, ça passe, pas de problème !

Éhhéhhéhhé !

Eh ben, il a une sacrée chance.

Oh, c'est pas grave, il y aura d'autres occasions !

Éhhéhhéhhé !

Pendant plusieurs tours encore, Akasaka put éviter les pièges à droite et à gauche, et atteindre la fin de la partie.

Ôishi

— Attente.

Vieil homme

— Attente.

Sato

— Pas d'attente.

Satô n'avait pas tenté sa chance, voyant déjà deux adversaires prêts à gagner.

Il est pas bête.

Et alors, voyons ce qu'Akasaka nous a fait...

À la fin d'une partie sans mah jong, les gens doivent montrer leurs mains.

Mais si la main n'est pas en attente, les joueurs ne sont pas obligés de la montrer.

Normalement, les débutants montrent leurs mains et demandent des conseils aux autres.

Mais pas Akasaka.

Pourquoi ?

Sato

— Alors, gamin, y a un problème ?

Fais-voir ce que t'avais.

Satô tendit le bras pour regarder les tuiles.

Sato

— Hmmm ?

Qu'eeeeest-ce que c'est qu'ça...

Il était loin de l'attente.

Je vois, il ne sait donc pas jouer.

Éhhéhhé...

Je regardai alors les tuiles défaussées, et d'un seul coup, je rigolai nettement moins.

Vieil homme

— ... Gamin,

tu étais en attente déjà longtemps avant nous.

Pourquoi as-tu coupé ton jeu ?

Akasaka

— Les hauts caractères commençaient à se faire désirer, alors j'ai préféré les garder,

même s'ils étaient pratique pour ne pas jouer le jeu d'Ôishi.

Akasaka

Et puis, il y avait quelqu'un d'autre qui les gardait aussi, manifestement.

Vieil homme

— ... Ah ouais...

Alors tu as complètement ignoré la main appelante de Kuraudo ?

Akasaka

— Disons que je savais qu'il comptait sur moi pour se défausser dans son jeu, sans pour autant avoir une main trop forte.

Le plus dur, ça a été de contrer votre main, vous étiez en attente, mais vous n'aviez rien annoncé.

Vieil homme

— Quand est-ce que tu as remarqué ?

Akasaka

— ... En gros, vers là.

Vous avez défaussé quatre fois de suite sans même réfléchir.

C'est là que j'ai vu les regards que vous jetiez sur mes défausses. Vous aviez l'air d'attendre la bonne.

Wouah, c'est pas croyable...

Ôishi

— Akasaka, dites-moi, ça fait combien de temps que vous jouez au mah jong ?

Akasaka

— Oh, j'y ai joué quand j'étais au lycée, et un peu à l'université.

Allez, on y va.

M. Satô n'était pas en attente, donc c'est à moi de donner.

Je suis le dealer.

... ... Akasaka a l'air bizarre, comme s'il avait changé d'un seul coup. Je n'aime pas ça...

Je pensais qu'on pourrait le plumer, mais là...

Akasaka

— Alors, M. Ôishi, vos bambous sont comment ?

Vous voulez les miens ?

Vieil homme

— Tsss...

Sale garnement...

Kuraudo, t'avise pas de lâcher prise !

Ôishi

— Il me faut encore trois bonnes tuiles...

Et toi, Satô ?

Sato

— Va chier...

Je vais le bouffer par le milieu, alors.

Chow !

Akasaka

— Chow ?

Ah, désolé, mais moi je la prends pour un Pung.

Il a décidé de faire son brelan APRÈS l'annonce de la suite !

Mais alors, c'est juste pour nous faire chier ?

Vieil homme

— Eh gamin, t'as l'habitude de ce genre de coup bas ou quoi ?

Akasaka

— Allons donc.

Vous jouez au mah jong depuis avant ma naissance, je ne vais pas vous apprendre à jouer...

Non, j'en ai besoin pour ça :

Mah jong par prise.

Quatre brelans,

rouge,

dragon 3.

Akasaka

En plus, je suis le donneur, ça va vous coûter cher.

Vieil homme

— Merde...

Ôishi

— Ahahahaha,

eh ben, Akasaka, vous êtes fort !

Il va falloir jouer sérieux pour vous battre !

N'est-ce pas !?

Akasaka

— Si vous jouez sérieux, pensez à sortir vos bâtons de points,

je commence à être fatigué et j'aimerais bien en finir.

Akasaka ?

Mine de rien,

il a un regard de tueur, là...

Je sais pas pourquoi, j'ai l'impression de voir des fumerolles qui lui remontent depuis les pieds...

Akasaka

— Vous êtes trop tendres avec moi.

Les 2, 5 et 8 de caractères sont si bien que ça ?

Sato

— Salaud !

Sale jeune, tu vas voir...

Vieil homme

— ... Kuraudo, défausse-toi bien !

On va se dépêcher de finir sa donne !

Ôishi

— Oui, je crois que c'est ce que vous avez de mieux à faire...

Sato

— Ah, la voilà !

Mah jong par prise !

Tuiles mineures, dragon 1 !

Akasaka

— Aah, ben là, je suis horriblement navré, mais j'ai priorité sur cette pièce.

Mah jong par prise.

Paix.

Sato

— ... Par priorité ?

Sale garnement, je vais t'en faire, moi, des priorités !

Akasaka

— Garnement ?

Akasaka

Je vois, vous ne pouvez pas me prendre au sérieux, je suis trop jeune, trop mauvais pour vous.

Akasaka

Sauf que vous perdez, là, donc en fait, vous êtes encore plus mauvais que moi ?

Akasaka

... Vous êtes marrants, vous savez.

Akasaka

Les vieux comme vous, tous pareils.

Akasaka

Héhhéhhé...

Ôishi

— Euh, Akasaka ?

C'est bien toi, n'est-ce pas ?

Je sais pas pourquoi, tu as l'air différent depuis tout à l'heure...

Akasaka

— Je sais que vous étiez déjà tous contents à l'idée de me plumer,

mais ce sera pour une autre fois.

Mah jong par prise.

Longue suite, trois couleurs, une rouge et dragon 1.

Sato

— Quoi ?

T'étais en attente ?

Akasaka

— Je vous dis, vous êtes tendres avec moi.

C'est vrai que j'ai rien annoncé, mais c'est une combinaison toute bidon, faites attention, quoi...

Akasaka posa la tête sur son poing et se mit à rire doucement.

Il était flippant quand il faisait ça.

Vieil homme

— Eh, Kuraudo !

C'est pas ce que tu m'avais dit !

Tu m'avais dit que le canard viendrait se faire plumer et qu'il nous tomberait tout cuit dans la bouche !

Ôishi

— Aaaah, hahahaha, euuuh... hmmm...

Vous êtes sûr que je l'ai dit ?

Sato

— ... Ôishi,

à ce rythme-là, on va perdre !

Sacré Akasaka.

J'aurais jamais cru devoir y aller fort contre lui.

Il a vraiment envie que je vienne lui arracher les poils du cul, on dirait...

Akasaka

— Pung.

... Pung.

Oho, j'ai de la chance, encore un Pung.

Akasaka avait le feu sacré.

Il a déjà montré trois brelans de cercles.

C'est pas vrai, il va quand même pas tenter de faire une main pleine ?!

Akasaka

— ... Encore un Pung.

Sato

— Gamin, t'es pas bien dans ta tête ou quoi ?

Tu n'as plus qu'une tuile !

Akasaka

— Oui.

Je sais pas si vous êtes au courant,

mais c'est le genre de situations où les adversaires ont le plus de mal à savoir quelle tuile vous avez.

Sato

— Mais tu nous prends pour des brêles ou quoi ?

On a déjà vu 12 de tes tuiles, tu crois qu'on les compte pas ou quoi ?

Ôishi

— Éhhéhhéhhé !

Akasaka, nous savons ce que vous voulez faire.

Ce n'est ni une main pure, ni une main pleine.

Akasaka

— ... ... ...

Ôishi

— Avec les 4 brelans, vous avez déjà suffisamment de combinaisons pour faire des points.

Et vous êtes déjà en première place au niveau du score.

Ôishi

Vous bluffez, c'est tout simple.

Akasaka

— Si vous y croyez vraiment,

pourquoi ne pas défausser un cercle ?

Les cinq tuiles à gauche dans votre main,

ce sont des cercles, non ?

Akasaka

Pourquoi ne pas les défausser une après l'autre ?

Oh putain, c'est une blague...

Mais c'est un dieu, ce mec...

Pourquoi ils font pas un manga de mah jong en se basant sur lui ?!

Soudain, le vieux me fit signe sous la table.

Un signe très facile à comprendre.

Vieil homme

(Kuraudo,

allez, écrase-le.)

Ôishi

(... Oh, mais vous savez que j'aime pas tricher contre les jeunes joueurs...)

Vieil homme

(Ranàfoutre !

On peut pas reculer maintenant !)

Ôishi

(Comme vous voudrez…

On est parti.)

Vieil homme

— Allez gamin, on y va !

Mais appelante,

à la parlante !

J'attends le 1, le 4 ou le 7 de cercles !

Akasaka

— ...

Hmmm, il attendait l'une des trois.

Donc normalement, il ne peut plus sortir...

Quand je prendrai ma tuile dans le mur, j'échangerai la tuile d'après.

Il faut qu'Akasaka tire le 1 de cercles.

Avec ça, le vieux pourra sortir un mah jong.

Il est un peu penché en avant, il ne verra rien...

Sato

— Eh ben alors, gamin, à toi de jouer.

Akasaka

— ... ... ... Hmmm...

Évidemment, il a de la peine. Tirer le 1 de cercles juste maintenant, c'est vraiment pas de chance.

Il pourra pas le défausser.

Vieil homme

— Gamin,

je suis sûr que tu le sais déjà, mais si tu te défausses avec une tuile annoncée, tu payes une amende !

Akasaka

— Oui, je connais les règles.

Il se défaussa.

C'était un vent !

Roh putain ! Mais il voulait vraiment faire une main pure ?

Mais comment, c'était le dernier vent du nord !?

La vache, en fait, il se bat pour nous mettre des bâtons dans les roues à tous les trois ?

Rah, le pauvre... il va forcément perdre, maintenant...

Vieil homme

— ... Sacré toi, gamin.

Tu n'es pas encore mort, mais ça ne saurait tarder.

Et puis, tu n'as plus qu'une seule tuile.

Tu ne pourras pas toujours défausser la bonne...

Éhhéhhéhhé !

Akasaka

— Je me disais aussi. Je savais bien que c'était louche.

Akasaka décocha au vieux un regard terrible.

Il sait...

Il sait que c'est moi qui lui ai faussé ses tuiles...

Ôishi

(Allez, laissez tomber, quoi,

il est clairement meilleur que nous !)

Vieil homme

(Imbécile !

Il reste plus qu'une pièce, et de toutes manières, on a déjà triché !

Allez, zou,

file-lui la bonne !)

Bon, la prochaine, ce sera le 7 de cercles.

Il n'aura le choix qu'entre perdre…

et perdre.

Allez, prends-toi ça !

Au moment où je tendais le bras pour prendre ma tuile dans le Mur...

Akasaka

— aaaAAATCHAaa !

Akasaka avait éternué...

Il avait percuté mon bras avec la tête...

Et du coup, j'avais cassé le Mur !

Vieil homme

— Eh... Putain, gamin, mais qu'est-ce que tu fais ?

Akasaka

— Je suis désolé, j'ai éternué.

Ah, le Mur est cassé, du coup, c'est ma faute…

En plus, c'est moi qui ai donné, à moi de payer, ça fait 4000 points de pénalité pour chacun,

donc 12000...

Ôishi

— ... ... AhhAAAAAhAHAHAHAHAHAHAHA !

Alors là, non, c'était plus possible.

Il avait tout de suite calé notre petit stratagème, et plutôt que de perdre avec amende...

Il avait préféré faire annuler la partie en cassant le Mur “sans le faire exprès” !

Vieil homme

— Sacré toi, gamin !

Encore puceau, mais tu sais déjà tricher !

AAAhahahahahahaha !

Akasaka

— Et vous, Ôishi, essayez d'être plus discret quand vous trichez.

Si nous étions à Takadanobaba, je vous aurais déjà jeté la table sur la figure...

Ôishi

— Mais non, mais non, faut pas dire ça !

D'ailleurs, je m'excuse,

je ne pensais pas que vous étiez si fort, je vous prenais pour un bleu !

Vieil homme

— Allez, gamin, tu peux avouer, non ?

Tu jouais beaucoup quand t'étais plus jeune ?

Akasaka

— ... Bah, disons que j'ai appris dans les quartiers des pros, autour de Waseda.

Mais à force, j'ai fini par jouer à des tarifs un peu trop élevés pour les autres, alors mes clubs préférés m'ont jeté dehors.

Akasaka

Et puis, ma femme est contre, alors j'ai dû arrêter.

Sato

— Vous aviez des tarifs trop élevés ?

Tu jouais à combien à l'époque ?

Akasaka

— Oh, ça dépendait des gens, surtout. Les plus gros tarifs, c'était dans le quartier mafieux à Kabukichô.

J'ai dû aller jusqu'à 20 yens par point, je crois.

20 YENS PAR POINT ???

Mais t'es complètement taré ?

Tu jouais avec des Yakuzas ?

Avec des sportifs professionnels ?

Vieil homme

— … C'est quoi ce bordel ?!

Kuraudo,

espèce d'idiot,

j't'en foutrai, moi, des canards qui viennent se faire plumer !

Il a failli nous enculer à sec avec du verre pilé !

Moi, j'arrête !

Gamin, t'as gagné !

J'abandonne !

Akasaka

— Merci beaucoup pour la partie.

Ôishi

— Éhhéhhéhhé !

Eh ben, je ne m'attendais pas à ça.

Mais vous savez, Akasaka, vous changez du tout au tout quand vous jouez.

Pourquoi vous avez arrêté le mah jong ?

Vous pourriez en vivre !

Akasaka

— Oui, mais bon, les joueurs pros ont besoin de savoir jouer, mais aussi d'avoir de la chance,

et ce n'était pas mon cas.

Sato

— Bah, la chance, ça va, ça vient.

Non, moi je suis sûr que vous pourriez arriver loin.

Akasaka

— C'est pas d'un peu de chance qu'il me faut.

Il faut de la chance du genre, faire un carré, piocher dans la colline pour taper un autre carré, et repiocher pour finir en mah jong.

Sinon, c'est pas la peine.

Ôishi

— ... Akasaka, si ce genre de truc était commun, ce ne serait plus de la chance, ce serait des super-pouvoirs...

Akasaka

— Mais non, ce n'est ni de la triche, ni un super-pouvoir, il y a en a beaucoup, des joueurs comme ça.

Akasaka

J'en ai connu un à Shinjuku, il obtenait un dragon supplémentaire à chaque carré.

Akasaka

Et une fois, j'ai joué contre un pro à Yokohama, il faisait mah jong au premier tour, presque tout le temps.

Mais moi, je n'ai pas ce genre de chance.

La vache, mais c'est quoi ces types...

Il n y a que les personnages de fictions qui ont autant de chance, non ?..

Akasaka

— Bon, eh bien, je suis premier aux points ! Ça vous va ?

Ôishi

— Ouais, ouais,

on a perdu, c'est bon !

Éhhéhhéhhé !

Vieil homme

— Oui, bravo, vraiment !

Ça faisait longtemps qu'on n'avait pas pris une telle branlée !

Sato

— En tout cas, gamin,

tu fais peur quand tu joues.

Akasaka

— Oui, on me le dit souvent.

Je sais pas trop, je ne m'en rends pas compte.

Je vous ai vraiment fait peur ?

佐藤

— Oh que oui !

Les trois perdants acquiescèrent à qui-mieux-mieux.

C'est donc un génie du mah jong...

Je pourrais peut-être le convaincre de me remplacer à une table avant qu'il rentre à Tôkyô...

Quoique, il vaut mieux ne pas être trop gourmand...

Éhhé !

Ôishi

— Ah, tant pis.

Comme promis,

on ne va pas pouvoir aller faire la fête ce soir,

désolé.

On en reste là.

Vieil homme

— Raah, pas de bol.

Allez, je rentre me pieuter !

Il me faut des forces pour demain !

Akasaka

— Vous faites quoi comme travail, c'est dur ?

Ôishi

— Aaah, le vieux travaille comme chef de chantier sur la section 1 du barrage de Hinamizawa.

Les habitants viennent lui chercher des noises tous les jours.

C'est pas facile...

Vieil homme

— Cette année, je risque d'avoir en plus la section 2 à diriger.

Il paraît que Kuroda a pissé du sang l'autre jour. Calcul rénal.

Je vous le dis, ce travail nous tuera.

Ôishi

— Maiiis c'est bon,

vous êtes pas en sucre, non plus !

Éhhéhhéhhé !

Vieil homme

— Eh, je suis pas un ange non plus, hein ?

Vieil homme

Si je m'énerve, j'hésite pas à frapper dans le tas !

Vieil homme

D'ailleurs, la petite Sonozaki commence sérieusement à me gonfler,

Vieil homme

un de ces quatre je vais lui mettre une torgnole, sa grand-mère pourra plus la reconnaître !

Ôishi

— Allons, allons !

Le salaire est bon, au moins ?

J'ai entendu parler de très jolies sommes pour compenser !

Vieil homme

— Encore heureux, putain !

Si la paye était pas bonne, personne resterait !

D'ailleurs, Kuraudo, t'es chié, toi et tes collègues, vous pourriez pas expulser tout le monde ?

Vieil homme

L'État a donné l'ordre d'évacuer la région, non ?

Ôishi

— Hmmm.... Je sais pas. Je me demande ce que ça va devenir, cette histoire.

Après s'être encore plaint pendant quelques minutes, le vieil homme se leva et rentra chez lui, nous laissant seuls.

Ôishi

— Bon, ben alors allons-y.

Allez, Satô, à toi de jouer.

Akasaka

— Vous rentrez, Ôishi ?

Ôishi

— Oh, je serai sûrement de trop.

Et puis, c'est vous qui avez payé pour obtenir ces informations,

pas moi.

Je croyais qu'il était sans gêne, mais en fait, il avait le sens de l'honneur.

Nous étions de deux âges différents, mais pas si éloignés que cela, finalement.

Sato

— Allez, gamin.

Oh, quoique, après la pile de ce soir, je ne peux plus t'appeler gamin.

Je peux t'appeler Akasaka, ça te va ?

Akasaka

— Oui.

Sato

— OK. Bon alors, Akasaka,

allons-y.

Ôishi

— Allez, M. Akasaka,

au revoir.

Si vous avez besoin d'aide, n'hésitez pas à revenir me voir.

Akasaka

— Je n'ai plus assez pour vous repayer une somme pareille.

Ôishi

— Allons, vous n'avez qu'à m'enlever une partie des dettes de ce soir !

Éhhéhhéhhé !

L'inspecteur Ôishi avait l'air de vouloir encore s'amuser, mais il finit par disparaître dans la chaleur de la nuit...

L'informateur me fit monter dans sa voiture, puis nous partîmes ensemble au hasard des routes.

Il avait l'air d'aimer les petites ruelles étroites et les virages à gauche.

Akasaka

— ... Vous vérifiez si personne ne nous suit ?

Sato

— Oh, mais tu es très observateur ?

C'est la manière la plus facile et la plus rapide pour vérifier si quelqu'un vous suit.

Elle fonctionne très bien s'il n'y a qu'une seule voiture derrière vous.

Bien sûr, les vraies filatures se font à plusieurs, en équipe,

mais bon, il valait mieux faire ça que ne pas vérifier du tout.

Sato

— Kuraudo m'a pas dit qui vous êtes ni ce que vous faites dans la vie,

mais je suppose que vous êtes flic ?

Sato

À part un flic ou un détective, je vois pas quel genre de personne remarquerait ça du premier coup.

Akasaka

— Si je ne suis pas obligé de vous le dire, je préfèrerais refuser de répondre.

Sato

— Oh, eh, c'est bon...

Depuis cette partie de mah jong, tu es tout sérieux !

Tu avais l'air gêné et nerveux quand on s'est vus, c'est dommage !

Je ne pus m'empêcher de sourire.

Heureusement qu'ils m'avaient fait jouer, en fait.

Ça m'avait changé les idées et permis de me remettre bien dans le bon esprit.

Satô se mit alors en route vers la banlieue, satisfait de ses vérifications.

Nous étions sur une route de campagne, noire comme du jais.

Les seuls bruits environnants étaient les cris des grenouilles et des insectes.

Sato

— Kuraudo t'a parlé un peu de Hinamizawa, déjà ?

Akasaka

— Il m'a parlé du système avec les trois clans fondateurs, et du clan des Sonozaki en particulier.

Sato

— OK, alors je peux tailler dans le vif.

Akasaka

— Alors, allons-y...

Je dois savoir si l'association du village peut être responsable de l'enlèvement du petit-fils du ministre Inugai.

Satô regarda à nouveau dans son rétroviseur avant de se mettre à parler.

Sato

— ... Hier, il y a eu une réunion de clan chez les Sonozaki, apparemment.

Vous savez ce que c'est ?

Akasaka

— Non.

Sato

— Ben, on imagine bien que c'est la famille qui se réunit et qui fait un peu la fête,

mais pas chez les Sonozaki.

Lorsque les Sonozaki font une réunion de clan...

C'est comme une réunion de gouvernement, il s'agit de définir quoi faire pour le village.

Ils ne parlent pas d'eux-mêmes, mais du village.

Ils parlent aussi bien sûr des activités à faire contre le barrage,

et décident de tas de choses.

La présidente de cette réunion est Oryô Sonozaki.

Les gens l'appellent “l'Impératrice Sonozaki”, ils la craignent plus que tout.

Maintenant qu'elle est vieille, elle ne se montre plus beaucoup, mais son avis peut tout faire changer.

Ces derniers temps, elle est un peu faible, alors parfois, elle reste alitée.

Ces jours-là, la réunion a lieu dans sa chambre, pour qu'elle puisse la présider sans avoir à se lever.

Il faut imaginer une grande pièce japonaise avec juste une personne assise au chaud, et tous les autres sur les genoux... et la personne assise n'a pas l'air toute gentille, bien au contraire.

À côté d'elle se trouve la future héritière du clan, Mion Sonozaki.

Elle est encore jeune...

Enfin, à dire vrai, c'est encore une petite fille.

Elle est assise toute droite aux côtés de sa grand-mère, Oryô, et c'est elle qui s'occupe de faire le protocole si nécessaire.

Elle est la seule personne qui ait le même statut que la chef du clan.

Elle a aussi le même regard perçant que sa grand-mère, et elle peut vous glacer le sang rien qu'en croisant votre regard. C'est sur elle que repose l'avenir du clan.

Puis, encore à leurs côtés, on trouve les membres des familles des autres clans ancestraux -- les Kimiyoshi et les Furude.

Le chef des Kimiyoshi est bien évidemment le maire de Hinamizawa, Kiichirô.

Juste derrière lui, il y a quelques membres de sa famille.

De l'autre côté d'Oryô, les membres de la famille Furude sont assis.

Il n'y a que la famille du prêtre, désormais. Lui, sa femme et leur fille Rika sont donc placés là.

Rika est adulée par les vieilles personnes du village, et Oryô n'était pas une exception à la règle.

Ces réunions étaient très stressantes -- ceux qui y prennent part disent toujours qu'ils se sentent plus proches de la mort à chaque réunion -- mais Rika n'avait pas l'air de se faire le moindre souci.

La tension dans la salle avait beau être horrible, Rika s'en moquait éperdument ; on l'entendait chantonner et faire des dessins dans ses cahiers pendant la réunion.

D'ailleurs, hier, elle était à moitié dans la couette d'Oryô, et avait dessiné sur ses genoux toute la soirée.

Ça, c'était juste les hauts membres des trois clans ancestraux.

Dans le reste de la pièce s'entassaient de nombreuses personnes faisant partie des Sonozaki ou ayant de forts liens avec eux.

Les seuls à obtenir des coussins étaient les hauts dignitaires.

Les autres devaient s'asseoir selon les règles de cérémonie, sur leurs genoux, à même la toile de riz.

Ainsi, l'impératrice était au centre de la pièce, et tout autour, en un long ruban sinueux.

De nombreux invités restaient assis, chacun à un ordre et à un rang bien défini...

Les plus nombreux étaient bien sûr les Sonozaki.

Et comme ces réunions décidaient de toutes les actions du village, il était bien clair que logiquement, les Sonozaki étaient les maîtres du village, de facto.

Les gens invités à ces réunions étaient ceux qui, réellement, avaient le pouvoir dans la région.

Akasaka

— ... Et... De quoi ont-ils parlé hier ?

Satô resta silencieux un moment, puis il se décida à parler, tout doucement...

Kiichirô

— Vous ne trouvez pas que le montant des bonus offerts aux médias est un peu élevé ?

L'atmosphère était tendue, le silence oppressant. Un seul homme osa rompre le silence : le maire du village, chef de clan des Kimiyoshi.

L'association n'était pas une entreprise.

Elle n'était qu'une entité dont le but était de faire retirer le projet de barrage, mais elle n'avait aucune source de revenus.

C'était surtout cette question qui les turlupinait.

Au départ, ils avaient reçu le soutien financier de nombreux généreux donateurs, mais au fil du temps, les dons avaient baissé...

Homme

— ... L'époque où les jets de pierres suffisaient à repousser l'envahisseur est révolue.

Il nous faut l'appui des médias si nous voulons avoir une présence dans le quotidien des gens.

La plupart des Sonozaki firent grise mine.

C'était leur chef, Ôryo Sonozaki, qui avait décidé d'obtenir les faveurs des médias.

La guerre ne se jouait pas seulement avec des armes de poing.

Dans une société civilisée, il y a des manières civilisées de se battre.

C'est pourquoi Ôryo Sonozaki avait proposé cette manière de faire.

Et elle avait eu raison. Au début, l'effet n'était pas très palpable, mais peu à peu, les choses s'étaient précisées.

Les affrontements sur le terrain pouvaient retarder les travaux d'un jour,

mais la guerre des informations lancée dans les journaux pouvait amener au retrait pur et simple du projet.

Aujourd'hui, plus personne ne contestait le bien-fondé de cette méthode...

Mais elle coutaît très cher.

Tant que les donations avaient afflué, la somme était coquette mais payable.

Et puis, les résultats étaient là.

Mais avec la durée, la situation avait bien changé.

Étant la pièce maîtresse de l'échiquier, Oryô Sonozaki n'avait pas eu à craindre les coupures budgétaires.

Tout le monde savait qu'il fallait réduire la somme, mais personne n'osait le dire.

C'était le prix à payer.

Kiichirô

— ... Qu'en pensez-vous, Oryô ?

La seule personne qui avait le courage de se mesurer à elle, c'était le vieux Kiichirô.

La vieille chef de clan l'écouta parler sagement, sans rien laisser paraître, solennellement.

Même si pour être honnête, il était impossible de savoir si elle l'écoutait vraiment.

Kiichirô

— Nous avons eu déjà beaucoup de mal à augmenter le prix du journal de l'association.

Kiichirô

C'est passé la dernière fois parce que c'était censé s'arrêter là... On ne peut pas augmenter son prix indéfiniment.

N'est-ce pas, Furude ?

L'attention se porta sur le prêtre et sa femme.

Le prêtre eut l'air très hésitant et partagé, et ne répondit pas tout de suite.

Sa femme, par contre, ne se fit pas prier pour donner son avis.

Maman de Rika

— Oui, c'est vrai.

Maman de Rika

Le prix de l'abonnement pèse lourd sur les foyers les plus pauvres.

Maman de Rika

Les gens ne disent rien, car il s'agit de leur village et de leur maison, mais ce n'est pas une raison pour augmenter le prix encore une fois.

Le journal de l'association était publié, comme son nom le laissait deviner, par l'association.

Elle y présentait ses buts, ses actions, ses décisions, bref, rien de neuf pour les lecteurs -- le contenu n'était pas folichon.

Le but de cette publication n'était pas de faire connaître l'association, mais de recueillir des fonds.

Le prix de l'abonnement était une sorte d'impôt levé sur tous les abonnés.

Il allait sans dire que c'était une grande source de revenus pour l'association.

Normalement, la reconduction de l'abonnement était laissée au libre arbitre de chacun, mais à Hinamizawa, il était tacitement conclu de reconduire l'abonnement automatiquement. C'était un peu le devoir de chaque citoyen ici.

Dans les villes avoisinantes aussi, de nombreuses firmes n'osaient pas arrêter leur abonnement, de peur de représailles.

Le prêtre dit à voix basse à sa femme de ne pas trop la ramener, mais celle-ci ne s'en laissa pas compter et lui rendit un regard terrible.

Son mari se fit alors tout petit et se tut.

C'était toujours sa femme qui avait le plus de pouvoir.

En même temps, c'était logique, car c'était sa femme qui perpétuait le nom du clan.

Le prêtre avait dû renoncer à son nom lorsqu'ils s'étaient mariés.

Il représentait le clan, mais seulement en apparence.

Il avait ainsi obtenu le droit de s'asseoir très haut dans la colonne hiérarchique, mais sa parole n'avait que peu de poids.

Leur fille Rika, apparemment pas le moins du monde intéressée par la querelle entre ses parents, continuait de dessiner dans ses cahiers de coloriage.

Oryô tourna la tête et regarda Mion, qui se pencha alors tout près d'elle.

Elle lui parla alors à voix basse, sans trop articuler.

Mion reposa quelques questions, pour confirmer ce qu'elle avait entendu, et lorsqu'Oryô opina du chef, Mion se leva et fit savoir à l'assemblée ce qu'Oryô avait à dire...

Mion

— L'augmentation du prix du journal est inévitable.

Les Kimiyoshi fermèrent les yeux, attérés, mais ils se reprirent bien vite ; ils avaient sûrement anticipé cette réponse.

Kiichirô

— Mais tu sais, Mion.

Tu imagines bien qu'une somme pareille pèse lourd sur le budget.

Et elle sera un surpoids sur le toit de toutes les familles du village.

Kiichirô

S'il augmente trop, les maisons pourraient s'effondrer de l'intérieur...

Mion

— Ah oui ? Chez qui ?

Kiichirô

— Oh, je ne parle de personne en partic--

Mion

— J'ai dit “chez qui ?”, j'attends une réponse.

Les mots s'étranglèrent dans la bouche du maire. Il resta silencieux.

Mion regarda à la ronde dans toute la pièce.

Tous les gens présents baissaient la tête pour ne pas croiser son regard.

Mion parlait bien sûr au nom d'Oryô.

Ses paroles avaient donc le même poids que si la chef de clan elle-même avait parlé.

Mais son regard était très différent.

Oh, il avait déjà ce côté perçant et inquisiteur qui vous glaçait le sang dans les veines.

Mais il venait du plus profond de Mion elle-même, sans aucun doute possible.

Un jour, elle héritera de tout le clan et des fonctions d'Oryô, et saura assumer seule ce poste.

Il fallait surtout ne pas baisser dans son estime.

C'est d'ailleurs pourquoi personne ne la traîtait comme une petite fille.

Mion

— M. Kimiyoshi,

personne ne lâchera prise simplement à cause du prix du journal.

Kiichirô

— ... ... Hmmm...

…mmm…

Le vieil homme poussa un long soupir, mais indiqua par un geste qu'il n'avait rien à dire contre cela.

Mion

— Nous continuerons à payer les médias.

Et si la dépense devient trop importante, on n'aura pas le choix, il faudra augmenter le prix.

Mion n'était pas seulement la voix du chef de clan. Elle décidait, comme un juge dans un tribunal.

Les personnes dans la salle baissèrent la tête en silence, acceptant la sentence.

Mion

— Moi, Sonozaki Mion, procuratrice du chef de clan des Sonozaki,

Mion

déclare la présente décision comme prenant effet à compter de maintenant.

Mion

Aucune objection ne sera acceptée. Si vous n'êtes pas contents, vous serez expulsés par la force.

Le style et les formes y étaient.

Mais étant donné l'absence de recours, les décisions de ce tribunal avaient une portée toute autre...

Normalement, après le verdict, un juge frappe sur le bureau avec son marteau.

Mion sortit une cloche de son gousset et la fit tinter.

La salle écouta l'écho du son de cloche, parfaitement silencieuse...

Akasaka

— ... Eh bien...

On dirait une scène d'un autre temps.

Sato

— Oui, les jeunes, vous pouvez pas comprendre.

Dans les campagnes profondes, ce genre de coutumes ancestrales perdurent.

C'était comme l'inspecteur me l'avait dit.

Le système des trois clans était bel et bien du foin. Désormais, les Sonozaki régnaient en maîtres sur la région.

C'était un peu une dictature.

Akasaka

— C'est tout, pour cette réunion ?

Sato

— Non, non, il y a eu d'autres points de discussion.

J'y arrive, t'en fais pas.

Après le son de cette cloche, il y eut un silence assourdissant.

Puis un homme se traîna sur les genoux pour s'approcher de Mion et lui dire quelque chose à voix basse.

Mion lui a posé quelques questions en retour, toujours à voix basse.

Puis, après s'être satisfaite des réponses, elle fit un geste de la main pour lui dire de retourner à sa place.

Cette homme, c'était un membre haut placé dans le gang armé tenu par le père de Mion.

Ce gang était infiltré partout dans Shishibone, et il était plutôt célèbre dans le coin.

Bien sûr, nous parlons-là du monde de l'ombre, celui qui ne se montre pas en plein jour.

Tous les gens ne sont pas au courant, mais parfois, il suffit de montrer le sigle du gang et cela peut résoudre vos problèmes, comme par magie...

Le père de Mion était le beau-fils d'Oryô.

Son gang armé était l'homme de main de l'ombre qui faisait le sale boulot pour le clan des Sonozaki.

Il était situé au tout devant de la scène, digne, imperturbable, et faisait forte impression sur quiconque posait le regard sur lui.

Mion se retourna vers son père.

Devait-elle en parler à Oryô ou pas ?

On aurait dit qu'elle lui posait la question.

Son père la regarda bien droit et opina du chef, lourdement.

Mion acquiesça, puis se retourna pour parler à l'oreille de sa grand-mère.

Lorsqu'elle eut fini de parler, elle se remit droite et attendit une réaction.

La vieille chef de clan montrait rarement ses émotions.

C'est pourquoi, lorsqu'elle se mit à glousser en essayant de réprimer son rire, les gens dans la salle ne purent que craindre ce que cela pouvait signifier pour eux...

Oryô

— ... Eh bé, y a des gens qu'ont pas de chance, on dirait.

Héhhéhhéhhé...

Le vieux Kimiyoshi hésita, puis se décida à poser la question.

Kiichirô

— Que se passe-t-il, Oryô ?

Oryô

— Pour nous autres, cette terre est notre mère à tous. Ce projet de barrage est un peu une atteinte à sa vie.

Cela n'eut pas l'air de répondre à sa question.

Oryô eut un sourire cruel, puis elle déclara d'une voix forte :

Oryô

— Le ministre qui a mis ce projet en place... Il ne trouve plus son petit-fils, il paraît qu'il le cherche partout !

Eh bien comme ça, je dirais que nous sommes quitte !

Hahhahhahha !

Akasaka

— Vous vous foutez de moi !??

L'enlèvement du petit-fils du ministre était tenu secret !

Comment pouvaient-ils être au courant ?

Même nous, à la DST, nous n'avions pas tous les détails de l'histoire.

Alors comment ces péquenauds, situés à des heures de la capitale, pouvaient-ils avoir récupéré l'info ?

... ... Ah ça, c'est un village paisible, mais il fait peur, en même temps.

Et pourtant, je ne sais pas pourquoi, j'avais décidé dès le départ de l'enquête qu'il n'avait rien à voir là-dedans.

Et maintenant, cette certitude s'écroulait.

Akasaka

— ... Comment peuvent-ils être au courant...

Satô ne savait pas quoi répondre, aussi resta-t-il muet.

Akasaka

— Ah, désolé.

Continuez, je vous en prie.

Sato

— D'accord.

Kiichirô

— Le petit-fils du ministre Inugai a été enlevé ?

Oryô, c'est vrai ?

C'est quelque chose de terrible, et pourtant les médias n'en parlent pas.

Mais à Hinamizawa, Oryô savait parfois des choses que personne d'autre ne savait...

Oryô

— Notre douleur est comparable à celle d'un enfant qui perd sa mère.

Ce n'est pas la même chose, mais cela doit faire mal de perdre son petit-fils.

Héhhéhhéhhé,

espérons que ça lui serve de leçon...

N'est-ce pas ?

À qui pouvait-elle bien poser la question ?

À toutes les personnes présentes ?

Oryô

— ... Mais bon. Un terrain, ce n'est pas un être humain.

Il peut jouer à cache-cache tant qu'il veut, mais je ne veux pas qu'il se blesse.

L'enfant n'y est pour rien.

Prenez-en soin.

Akasaka

— Mais alors... Ils sont dans le coup ? C'est eux qui l'ont commandité ?

Sato

— Hmmm... pas forcément.

Akasaka

— Comment ça, pas forcément ?

Leur chef de clan donne pourtant des ordres à son sujet !

Sato

— Ouais, mais en fait,

c'est toujours la même chose avec les Sonozaki.

Akasaka

— C'est toujours la même chose ?

Mais de quoi, ça veut dire quoi ?

Eh bien, imaginons un problème.

Un problème vraiment épineux, qui donne du souci aux Sonozaki.

Si Oryô venait à en parler et à se plaindre un peu,

alors l'une des personnes présentes à la réunion pourrait être amenée à “faire un petit geste”.

En fin de compte, les souhaits d'Oryô se retouvent exaucés.

Mais ni Oryô ni personne d'autre ne sait exactement qui a fait quoi pour régler le problème.

Grâce à cette manière de procéder, ils ont toujours l'air d'être responsables de tout ce qu'il se passe.

Akasaka

— Mais alors... l'une des personnes présentes à la réunion a fait le coup ?

Sato

— Non, pas forcément.

Oryô elle-même ne sait pas qui a fait le coup, elle en parle juste en public, histoire que les gens sachent qu'elle est au courant.

Et elle donne son avis, rien de plus.

C'était très flippant, cette manière de garder le secret et de faire comme si.

Je n'arrivais pas à voir clairement s'ils étaient dans le coup ou pas.

Je manque encore d'éléments.

Mais il y a une chose que je savais.

Cette histoire était classée secret défense,

ils ne pouvaient pas avoir obtenu l'info de manière conventionnelle.

Les seuls à être au courant, c'est nous,

la DST.

Et bien sûr... Le commanditaire.

Et aussi la famille du ministre.

Et enfin... les ravisseurs.

Quoiqu'il en soit, il n'était pas normal que l'info se soit propagée jusqu'à six heures de route de la capitale.

Déjà là, rien que le fait qu'ils soient au courant n'est pas normal.

... Le doute m'envahit.

Sato

— C'est tout ce qu'elle a dit sur l'enlèvement.

J'espère que ça fait partie de ce que tu voulais savoir.

Akasaka

— ...

Sato

— À toi de jouer, maintenant.

Je sais pas ce que tu fais dans la vie, mais fais gaffe aux Sonozaki.

Sato

Ôishi a peur de rien, mais il s'est déjà fait attaquer une paire de fois.

En ce moment, il ne le met plus, mais avant, il portait son gilet pare-balles même après le service.

Akasaka

— ... ... Je vois.

Merci de m'avoir prévenu. Je vais faire très attention, je pense.

Sato

— Vous parlez très bien la langue officielle.

Vous êtes de Tôkyô ?

Akasaka

— Hein ?

Eh bien, oui, mais pourquoi cette question ?

Mes enquêtes sont toujours dangereuses.

Il valait mieux ne pas trop en dire à mes informateurs.

Sato

— Je voulais vous en parler.

Vous seriez pas de la DST, quand même ?

Akasaka

— ... ...

Il faut que je dise quelque chose,

ne rien dire, c'est avouer !

Akasaka

— Hein ?

Mais non,

ahahahaha !

Sato

— Écoutez, la somme suffit pas pour vous donner plus que ce que je vous ai dit,

mais bon, on a joué ensemble au mah jong, ça crée des liens.

Alors je vais vous faire une fleur.

Sato

Après cette histoire d'enlèvement, il y a eu encore une discussion chez les Sonozaki.

J'eus un très mauvais pressentiment.

Il venait de me poser la question sur la DST, et il avait encore un sujet de conversation à me rapporter...

Donc…

Les implications étaient lourdes et graves.

Vieille personne

— Et figurez-vous même

que pour retrouver le gamin,

la DST a envoyé un de leurs agents jusque chez nous.

Kiichirô

— Un agent spécial de la DST ?

Vieille personne

— Ben oui... Cet enlèvement, ils peuvent pas en parler en public.

Alors la DST a décidé d'enquêter d'elle-même sur l'affaire.

Faut croire qu'ils n'ont que ça à faire.

... Hmm ?

Quoi ?

La petite Rika n'avait pas montré le moindre intérêt pour la réunion, mais dès qu'elle avait entendu le mot DST, elle avait fait de grands yeux et s'était retournée vers Oryô avec excitation.

Rika

— La DST est là ?

Vieille personne

— Ooooh, tu sais ce que c'est ?

Bravo !

Rika

— ... Ils ont envoyé qui ?

Vieille personne

— Quel agent en particulier ? Ah, ça, je ne sais pas. Il y en a un parmi vous qui aurait une idée ?

Le père de Mion leva la main.

Papa de Mion

— On m'a juste dit que c'était un seul agent, un bleu.

Rika

— Un bleu ?

Pas très cuit alors ?

Papa de Mion

— Hmm ? Ahahahahaha,

oui, oui,

un bleu.

Le père de Mion souriait.

Rika

— Un tout bleu, tout frais, pas saignant, tout fondant ?

Papa de Mion

— Oui.

Rika

— Un pas saignant et tout fondant.

Rika fit alors un joli sourire.

Pourquoi cette histoire l'intéressait-elle ?

Personne ne le savait.

Vieille personne

— Dame Rika, vous connaissez cet homme ?

Rika

— ...

... Non, je le connais pas.

Ce fut tout ce qu'elle dit. Elle se replongea sous la couette d'Oryô.

Mais elle ne reprit pas ses dessins. Elle avait l'air perdue dans ses pensées, en train de planifier quelque chose...

Papa de Mion

— Que fait-on,

belle-maman ?

Sa question impliquait que si nécessaire, il pouvait le faire éliminer.

Oryô n'avait qu'à en donner l'ordre.

Oryô

— Bah, il a fait tout le voyage depuis la capitale,

laissez-le un peu se reposer.

Papa de Mion

— On le laisse tranquille, alors ?

Le père de Mion répondit avec une question.

Oryô eut un vague sourire.

Oryô

— Bah, il n'en vaut pas la peine.

Mais si jamais il devait se montrer un peu trop malpoli, il faudra lui donner la fessée.

Je n'aime pas quand on ne me prend pas au sérieux.

Sato

— ... ... Et c'est tout ce qu'ils en ont dit.

Vous êtes sûr que c'est pas vous, cet agent ?

Akasaka

— Mais non, soyez pas ridicule !

Hahahahaha !

Je riais, mais dans le même temps, je sentais bien un frisson d'horreur me remonter le long de la colonne vertébrale.

Cette réunion avait eu lieu la nuit dernière.

Hier donc.

Ce qui veut dire que lorsque je suis allé aujourd'hui dans le village, tout le monde savait déjà qui j'étais.

Il me revint en mémoire le regard oppressant des gens après être sorti du bus. Puis je repensais à l'abri bus, et j'eus le souffle coupé.

La seule personne qui s'était intéressée à l'agent de la DST de Tôkyô avait été Rika Furude.

Et c'était aussi elle qui avait attendu tout le temps à l'arrêt de bus désert que j'arrive.

Je ne voulais pas y croire.

C'est impensable.

Lorsque je la vis là-bas... elle savait déjà qui j'étais ?

Elle savait que j'étais Mamoru Akasaka, membre de la DST, et elle est venue m'accueillir au village ?

Mais alors, toutes les personnes que j'ai vues hier étaient aussi au courant ? Elles faisaient juste semblant de ne pas savoir ?

Tout ça parce que le chef des Sonozaki avait dit “pas touche”...

... ... ... Non, en y réfléchissant à tête reposée,

ce n'était pas possible.

J'ai vu tellement de monde hier.

Certaines personnes sont douées pour jouer la comédie, mais pas toutes. Il est parfois impossible de cacher ce à quoi l'on pense.

Si tous l'avaient su, j'aurais normalement dû en voir un ou l'autre qui ne pourrait pas se maîtriser.

Et pourtant, aucun d'entre eux n'avait eu l'air de se douter de quelque chose.

Et pourtant...

Je ne comprenais pas pourquoi Oryô avait dit de me laisser tranquille.

Elle ne voulait pas que je mette mon nez dans leurs affaires si vraiment ils entraient en contact avec moi ?

Ou bien parce qu'elle me croyait trop empoté pour découvrir quoi que ce soit ?

« Allons, Akasaka, faut pas avoir peur, gamin. »

Je me souvins de ce que Rika m'avait dit lorsqu'elle avait été comme possédée.

Elle avait su. La personne qui avait pris le contrôle de Rika à ce moment-là avait pertinemment su qui j'étais.

Elle m'avait mis en garde, non ?

Oui...

Elle m'avait dit de rentrer à Tôkyô.

Je ne sus pas pourquoi, mais j'avais plus peur de Rika que de ce qu'il pourrait m'arriver maintenant que mon identité était connue des villageois.

C'est quoi, cette gamine ?

Elle avait dit que je le regretterais.

Cette fille mystérieuse…

Rika Furude...

Nan, je laisse tomber,

je ne veux pas y réfléchir maintenant.

Je préviendrai le QG demain matin et j'attendrai les ordres.

L'association n'est pas sans rapport avec l'incident, c'est clair.

Et puis, ils savaient que j'étais sur place, j'étais donc en danger.

Enfin bon, je suppose que vu la situation, mes chefs n'allaient pas pouvoir m'envoyer des masses de renforts.

Sato

— Bon, je peux y aller ?

Si vous voulez, je vous dépose.

Akasaka

— Ahh... euh, oui, merci.

Laissez-moi à la gare où nous nous sommes rencontrés.

Il repartit sur la route défoncée de campagne.

On ne voyait strictement rien.

En dehors de l'asphalte sous les phares avant, j'étais incapable de distinguer quoi que ce soit.

Dehors, il faisait nuit noire.

Mais je ne savais pas si quelqu'un en profitait pour nous observer ou pas.

... J'ai vraiment pas un job facile.

J'aimerais rentrer à Tôkyô.

La voix de la petite fille si énigmatique résonna encore longtemps dans ma tête et sembla ne plus vouloir quitter mes pensées...