La camionnette s'arrêta sur le parking du temple.

Il y avait là de nombreuses voitures modifiées à l'arrache, auxquelles on avait fixé des hauts-parleurs et des mégaphones.

Chaque voiture avait en outre de nombreux slogans écrits en très grand sur la carosserie. “Non au barrage !”

“Nous nous défendrons jusqu'à la mort !”

“Que la déesse vous maudisse !”

Chaque slogan était écrit au pinceau. C'était impressionnant.

Il y avait des bannières aussi.

Elles portaient les mêmes slogans.

Tout était fait pour jeter l'opprobe sur le gouvernement.

Il y avait des tracts, des posters, des affiches...

... Oui, on sentait bien que nous étions dans leur quartier général.

Et pourtant, Rika se sentait ici chez soi.

Rika

— Nous sommes arrivés !

Je suis de retour !

Rika me passa sur le genoux et se jeta dehors.

M. Makino remarqua mon regard intrigué par leurs bannières.

Makino

— Ah, eh bien, le temple et le sanctuaire servent un peu de centre de commande pour le mouvement anti-barrage.

Je parie que ça vous rappelle les émeutes quand vous étiez étudiants ! Héhhéhhéhhé !

Oui, il y avait eu une révolte des étudiants contre la politique du pays.

Pendant un moment, la grande mode, c'était de faire le plus de bruit possible dans les universités. Ils se barricadaient dans les amphithéâtres et cassaient du CRS quand ils venaient les déloger...

Certains pensaient que ces affrontements étaient une période glorieuse qui avaient su faire de vrais hommes avec les petits planqués qui faisaient des études...

Tout cela avait fini peu avant le début de mes études, d'ailleurs.

Akasaka

— Oh, je ne suis pas un militant, vous savez.

J'ai étudié comme tout le monde, j'ai fini mes études comme tout le monde.

Je n'aime pas signifier mon désaccord en utilisant ce genre de méthodes violentes.

Makino

— ... Ah oui ?

C'est tout à votre honneur...

Akasaka

— Je pense que si on veut changer les choses, il faut voter pour la bonne personne, ou bien carrément se lancer soi-même dans la politique et faire ça dans les règles.

C'est ça, la démocratie.

Akasaka

On ne devrait pas répondre à l'État en utilisant la force.

M. Makino me regarda, une lueur de respect dans les yeux.

Il n'avait pas l'habitude de voir un jeune avec un avis réfléchi sur la question.

C'est alors que je sentis quelque chose tirer sur ma manche.

Rika

— ... Je comprends rien à ce que vous dites, Akasaka.

Rika tirait la tête, se sentant exclue de notre conversation.

Elle était vraiment trognon.

Je commençais à comprendre pourquoi les pères de famille étaient si permissifs avec les filles.

Akasaka

— Ah désolé,

je suppose que c'est un peu compliqué pour toi.

Le Japon est un pays en paix, alors il faut régler les problèmes avec des méthodes pacifiques.

Il ne faut pas utiliser la violence.

... Si elle se vante de savoir faire les additions avec retenues, je suppose qu'elle est trop jeune pour comprendre ce genre de concepts.

... Je n'aurais pas dû lui en parler.

Rika

— ... Alors dites-moi, Akasaka,

il faut faire quoi pour que le village ne soit pas inondé ?

J'avais parlé un peu vite et un peu trop facilement... mais il était trop tard pour avoir des regrets.

Je suis en plein milieu du quartier général d'un groupe d'activistes qui sont prêts à enfreindre la loi pour faire valoir leurs opinions...

Je peux pas venir et raconter n'importe quoi...

Ce fut alors qu'enfin, je remarquai une pointe de déception dans le regard de M. Makino.

... On ne fait plus mumuse, ici.

Tout le monde savait que ce que j'avais dit était la marche à suivre, si l'on s'en tenait aux lois.

Tout le monde savait qu'il ne fallait pas être fier d'utiliser la violence pour se faire entendre.

Mais dans ce village... ils avaient essayé de se faire entendre en respectant la loi, et cela n'avait pas marché.

Ils avaient dû faire des pieds et des mains pour qu'enfin, les gens en parlent et se posent la question de savoir si ce projet était une bonne chose ou non.

S'ils continuaient dans cette voie, il n'était pas impossible d'obtenir le gel des travaux, ou le retrait du projet, qui sait.

Mais ce n'était qu'une possibilité. Rien de sûr et de concret.

Si le gouvernement continuait son travail sans se soucier d'eux, cette région serait submergée par les eaux d'ici un an ou deux.

... Si les habitants du coin ne faisaient pas de la résistance violente, le village serait probablement déjà submergé.

Rika

— ... Nous ne pouvons pas vivre ailleurs.

Pas en ville.

Elle avait tellement raison... C'était le cri du cœur des habitants du village. En tant qu'enfant, elle avait le droit de dire les choses aussi crûment.

Et bien sûr... je n'avais rien à répondre à cela.

M. Makino resta silencieux, n'osant plus rien dire.

Akasaka

— ... Je vous demande pardon.

Je ne suis pas de chez vous, je suis très mal placé pour venir donner mon avis.

Je vous présente mes excuses.

Le vieil homme me regarda un moment, mais ne sut pas trop comment réagir.

Makino

— Oh, euh, éhhéhhé, eh bien...

C'est vrai que vous n'êtes pas trop concerné, c'est plutôt notre problème.

Mais si le village vous plaît, alors parlez de nous autour de vous !

Makino

Si nous réussissons à convaincre comme ça 10, 100, 1000 personnes, eh bien, à force, l'État sera bien obligé de retirer ce stupide projet !

Ne vous en faites pas trop. C'est ce que son sourire exprimait.

J'avais vraiment de la chance. Il n'était pas contraignant.

À cause de la gamine, j'avais complètement oublié où j'étais, et je ne me rendais plus compte de la dangerosité de mon entreprise.

... C'était peut-être une bonne chose que d'être redevenu un peu sérieux devant le temple.

Si j'avais dit cela dans leur quartier général, ils m'auraient étripé.

... Enfin, je suppose que les moins patients m'auraient au moins crié dessus.

D'ailleurs... non, il était plus que probable qu'ils m'auraient étripé.

Apparemment, je leur donnais l'impression de beaucoup m'en vouloir.

M. Makino ne savait plus où se mettre, il croyait m'avoir vexé...

Akasaka

— J'ai parlé sans réfléchir,

je m'excuse.

Makino

— Non, noooon,

il faut pas vous faire du mouron pour ça, voyons...

Akasaka

— Les endroits que vous m'avez montrés aujourd'hui étaient tous vraiment superbes.

J'ai vraiment envie de revenir.

Akasaka

Je comprends un peu pourquoi vous êtes si radicaux dans votre combat -- cela me met vraiment mal à l'aise de penser que tout cela pourrait disparaître.

C'était un coup de bluff, histoire de me faire bien voir.

Cela marcha comme sur des roulettes. M. Makino était persuadé qu'il m'avait gagné à leur cause.

Makino

— Bon !

Allez, cessons de parler de ces choses, vous voulez bien ?

Je veux vraiment vous montrer le prochain endroit, vous allez être sidéré !

Rika

— Allez Akasaka, on y va.

La petite Rika se mit à gravir les marches menant au temple en sautillant, apparemment toute contente d'en avoir terminé avec cette conversation déprimante.

Je me mis moi aussi à gravir les marche d'un bon pas, pour rester avec elle...

Dans la cour intérieure, il y avait plusieurs tentes de l'association.

Dans ces tentes, plusieurs bureaux et chaises pliables, sur lesquelles de nombreuses vieilles personnes s'étaient assises et menaient une grande discussion.

S'il n'y avait pas eu les slogans hostiles marqués en grand sur l'entrée de la tente, on aurait pu croire qu'ils se faisaient la conversation.

Une scène banale somme toute.

... À côté de l'entrée d'un bâtiment juste à côté du temple principal, il y avait une grande pancarte qui proclamait fièrement l'emplacement du siège principal de l'association.

Alors, c'était là.

Pour être honnête, ce n'était pas très impressionnant.

Je m'était imaginé quelque chose de plus moche,

avec des grillages, des barbelés, je ne sais pas...

Tel qu'il était là, on ne voyait qu'une sorte de salle commune,

perdue dans le sanctuaire d'un village lui-même perdu dans les montagnes.

Puis les vieillards remarquèrent la présence de Rika.

Vieille personne

— Oh, Dame Rika !

Mais que faites-vous ici, il est l'heure pour les enfants de rentrer à la maison !

Rika

— ... Mais, je suis à la maison ?

Il y eut de grands éclats de rire.

Il était évident que cette fille était aimée par tout le monde, ici.

Kiichirô

— Makino, c'est lui alors ?

C'est lui qu'a appelé ?

Makino

— Oué.

Ah, je vous présente, c'est le maire du village, M. Kimiyoshi.

Un vieil homme souriant, qui devait sûrement tirer une tête effrayante quand il s'énervait, s'approcha de moi. Alors c'était lui, le chef de l'association... Kiichirô Kimiyoshi, en chair et en os…

Kiichirô

— Bienvenue à Hinamizawa.

Alors, comment était-ce ?

C'est calme, non ?

Akasaka

— Oui !

Oui, j'ai pu admirer de nombreux paysages, tous très beaux.

Merci de m'avoir donné cette chance.

Kiichirô

— Eh bien !

Je ne m'attendais pas à rencontrer un tel gentleman, je croyais que les jeunes d'aujourd'hui étaient moins respectueux !

Hum…

Rika

— Bon, Kiichirô, t'es gentil,

mais je suis venue lui montrer la vue, alors j'aimerais y aller.

La petite s'était invitée dans la conversation -- elle avait peut-être peur de nous voir discuter trop longtemps ?

En tout cas, quelle désinvolture... Elle l'appelle par son prénom, et même sans honorifique.

... Pourtant, personne ne sembla s'en offusquer à part moi.

Elle était la fille de l'une des trois familles les plus influentes du village.

... Elle était peut-être considérée comme spéciale par les autres habitants.

Rika

— Allez, Akasaka, c'est par ici.

Elle me tira à nouveau par la manche.

Je la laissai me guider jusqu'à un promontoire…

et là...

Akasaka

— ... ... ... Alors ça... La vache...

J'avais d'ici une vue splendide sur tout le village.

Je suppose qu'ils savaient pertinemment que c'était un endroit sublime, et que beaucoup de gens devaient rester bouche bée, comme moi.

En tout cas, personne ne m'adressa la parole, et je pus l'observer à loisir.

C'était tellement beau que j'en oubliai que j'avais un appareil photo.

Je ne pense pas que la beauté et la magie de ce lieu pourraient être rendues sur pellicule.

Si jamais c'était possible, je le ferais. Si seulement je pouvais le faire. C'était si beau, si magique, si sublime... si poignant.

Je restais un fameux moment debout, comme un idiot, subjugué, sans piper mot.

Une petite brise soufflait et m'apportait un peu de fraîcheur.

C'était une sensation délicieuse...

Rika me tenait toujours la manche. Elle finit par me parler.

Rika

— ... C'est mon endroit préféré.

Elle souriait comme avant, quand nous avions échangés des “éhhééééé”, tout à l'heure.

Ce sourire me parut bien frêle.

Après tout, son endroit préféré serait bientôt englouti par le lac du barrage...

Akasaka

— ... ... J'arrive pas à croire que l'État veuille enfouir tout ce coin sous les eaux.

Je l'avais dit dans un murmure. Je pense que seule Rika m'avait entendu.

Mais aussitôt, je le regrettais.

Quel manque de tact...

Rika sourait toujours.

... J'eus même l'impression qu'elle souriait encore plus qu'avant.

Rika

— Oh, ils n'y ont arriveront pas.

Le projet de barrage sera retiré.

C'était bien une réponse de petite fille.

Les enfants avaient parfois de ces certitudes...

... Je sentais bien que c'était son souhait le plus fort.

Rika

— ... Akasaka... Vous pensez que... le village disparaîtra sous les eaux ?

Akasaka

— ... ... ... Je n'en ai pas envie.

Je comprenais l'importance du barrage.

Je comprenais bien qu'il était nécessaire.

Mais je ne voulais pas admettre qu'il ne pouvait pas être construit sans sacrifier autre chose.

Je savais que c'était un peu faux-jeton de ma part, j'étais partisan du projet dans l'idée, mais pas dans le menu.

Mais si cela pouvait aider à préserver cet endroit et à préserver le sourire de cette petite fille innocente,

alors, je serais prêt à faire un effort pour empêcher cette construction.

Tsss... Je faisais un sacré clown d'humaniste,

à vouloir faire passer le sourire d'une enfant avant les intérêts de la nation…

...

Je suppose que ce n'était que de la pitié.

Rika

— Ne vous en faites pas,

le projet de barrage sera bientôt retiré, je vous dis.

Elle disait cela comme si c'était déjà planifié et décidé.

Comme si elle ne faisait qu'annoncer ce que le futur nous réservait.

Comme si c'était l'évidence-même.

Akasaka

— ... Il sera bientôt retiré ?

Je me retrounai pour mieux lui poser la question.

Rika

— Oui.

Les travaux vont s'arrêter.

Akasaka

— Et pourquoi est-ce que tu peux en être aussi sûre ?

Rika

— Eh bien... Parce que... Euh…

Elle fit mine de vouloir répondre, mais elle cherchait ses mots.

Rika

— Que vous nous aidiez ou pas, Akasaka,

le projet sera stoppé, cette année.

C'est déjà décidé depuis longtemps.

Elle mentait.

Si l'arrêt du barrage avait été décidé, l'association ne ferait pas autant de grabuge.

Aussi loin que je pouvais les observer, ils me semblaient tous prêts à se lancer dans une bataille dont ils ne savaient pas quand elle se terminerait.

S'ils savaient que le projet avait été arrêté, alors ils seraient plus détendus.

Mais le village est sur le pied de guerre...

Les habitants sont prêts à mourir plutôt que de baisser les bras.

Il suffisait de voir leurs fouilles de véhicules, ou les regards qu'ils m'avaient lancés à cet arrêt de bus, pour s'en convaincre.

Mais elle...

Elle parlait comme si elle savait qu'ils avaient déjà gagné.

Elle voyait pourtant bien qu'ils se battaient avec l'énergie du désespoir...

Il y avait quelque chose de louche là-dessous.

Akasaka

— ... ... Pourquoi est-ce que tu dis ça ?

Tu sais des choses que je ne sais pas ?

Rika se tut et sembla choisir soigneusement ses mots, puis elle reprit.

Rika

— Eh bien...

Akasaka

— Eh bien ?

Je vis à son expression du visage qu'elle ne savait pas si elle devait me le dire ou pas.

Un peu comme si elle se rendait compte qu'elle en avait trop dit ou pas assez.

Rika

— C'est déjà décidé.

Je ne vois pas trop comment le dire autrement.

Akasaka

— C'est... déjà décidé ?

Je croyais que c'était l'une de ces certitudes que les gamins balancent sans vraiment réfléchir...

Mais là... non, quelque chose clochait.

Elle savait.

Elle savait quelque chose.

... En un instant, ma mission d'enquête me revint en tête.

Et si en fait... l'association avait enlevé le gamin... et mis la pression sur le ministre... et qu'il avait déjà marchandé avec eux ?

Et si en fait, le maire savait déjà et faisait seulement semblant ?

... Elle est peut-être en train de me dire quelque chose de très important...

Rika

— ... Akasaka.

Elle avait un ton très calme et inattendu.

Akasaka

— ... Oui, quoi ?

Rika

— ... Casse-toi. Rentre à Tôkyô.

Hein ?

Ce n'était pas seulement son ton insolent qui me laissait sans voix.

... Je n'ai dit à personne que je venais de Tôkyô.

Quoique, elle l'a peut-être deviné,

vu que je ne parle pas en patois...

D'un seul coup, toute l'atmosphère qu'elle dégageait se transforma.

Rika

— ... Tu devrais repartir pour Tôkyô, et tout de suite.

Sinon, tu le regretteras toute ta vie...

Elle me tenait toujours par la manche.

Elle m'avait tiré par la manche pour me faire voir ce paysage le plus vite possible, et elle ne m'avait pas lâché depuis.

Je savais que c'était bien la même petite Rika que la gamine angélique qui avait passé la journée avec moi.

Elle ne pouvait pas avoir échangé sa place avec une autre fille pendant que je ne faisais pas attention.

Elle restait aggripée à ma manche.

Et pourtant…

la Rika qui était maintenant devant moi…

n'était pas la Rika que je connaissais.

Elle m'avait annoncé, d'une voix froide et cruelle.

Que je regretterais amèrement être jamais venu ici.

Rika

— Et comme je sais dans quel état lamentable tu seras à cause de ça, je préfère te donner une chance de t'en sortir.

Tu es prévenu.

Akasaka

— ... Et... Pourquoi est-ce que je devrais le regretter ?

Rika

— Roh, mais putain, ferme ta gueule et fais ce qu'on te dit, merde !

Je n'en croyais pas mes oreilles.

C'est elle qui vient de dire ça ? C'est pas vrai ?

C'est pas possible... il doit y avoir un ventriloque dans le coin...

Je me retournai pour regarder alentour...

Enfin, disons plutôt que c'était ce que je voulais faire, mais mon corps ne bougea pas. Je restai sur place, immobile, fixant son regard.

Rika

— Quand tu traverses au feu piéton rouge, tes parents n'expliquent pas en long, en large et en travers pourquoi c'est dangereux avant de te tirer en arrière !

Ils te traînent d'abord jusque sur le trottoir,

Rika

et quand vous êtes en sécurité, alors, seulement, ils te l'expliquent.

Eh bien ici, c'est la même chose.

La petite Rika qui avait passé la journée avec moi ne parlait pas comme ça.

Elle ne parlait qu'avec des mots simples, elle aimait répéter tout et n'importe quoi, elle disait tout haut ce qu'elle ressentait. Elle se comportait comme une fille de son âge.

Elle n'était pas du genre à être aussi insolente...

Rika

— ... ... Bon écoute, je t'ai prévenu, viens pas te plaindre après.

Rika

Que ce soit bien clair entre nous, je ne dis pas ça parce que je te déteste ou quoi que ce soit.

Rika

Je ne suis pas du genre à perdre mon temps à sauver de la mort des gens dont je n'ai rien à foutre.

Akasaka

— ... Qui es-tu ?

Tu... tu n'es pas Rika, n'est-ce pas ?

Rika

— Hmm ?

Hmffhhfhhfhfhfhfhf...

À peine m'avait-elle entendu dire ça qu'elle se mit à rire, sans pourtant le faire à gorge déployée.

Ce n'est pas une manière naturelle de rire pour une petite fille...

On dirait qu'elle... qu'elle est possédée par quelque chose...

Ce fut la seule explication que mon cerveau put me donner. Sa métamorphose était trop soudaine pour lui.

Je n'étais pas porté sur ce genre de sornettes,

mais d'un seul coup, des tas de théories occultistes me traversèrent l'esprit.

La gamine est bizarre... Mais que quelqu'un fasse quelque chose, aidez-la !

Je me retournai pour demander conseil au maire et aux autres.

Ils me regardaient déjà, de loin, le sourire aux lèvres.

... Je suppose qu'ils ne remarquent rien. Ils s'imaginent que nous jouons ensemble...

Ils ne se rendent pas compte de ce qu'il est en train d'arriver à la petite...

Rika

— ... Allons, Akasaka, faut pas avoir peur, gamin.

Hmffhhfhhfhfhf !

Elle savait ce qui me faisait peur. Elle lisait dans mes pensées.

Et le pire... c'est que ça la faisait rire.

Riant de plus en plus fort, incontrôlablement, elle se pencha bizarrement, puis finit par perdre l'équilibre et tomber par terre.

... Rika était à terre.

Normalement, j'aurais couru vers elle et je l'aurais aidé à se relever sans hésiter.

Mais après cette petite scène... je savais que ce n'était pas n'importe quelle petite fille qui était là, devant moi... et le courage de lui tendre la main me manqua.

Rika

— ... Miaou !

Elle... miaula.

Puis elle avança un peu à quatre pattes, puis se releva et essuya sa robe.

Enfin, elle regarda tout autour d'elle, complètement désorientée.

... ... ... Putain oh, c'est une blague ?

Elle se fout de moi, là ?

Elle se comporte comme si...

comme si réellement, elle avait été possédée par quelque chose, et n'avait pas le souvenir d'être venue ici...

Akasaka

— ... C'est une blague ?

Rika ?

Rika

— Miaou ?

Elle ne comprenait pas ce que je lui voulais.

Elle pencha la tête sur le côté, puis sur l'autre, et répéta sa question en miaulant.

Vieille femme

— Eh monsieur !

Dame Rika !

Le thé est prêt !

Il y a aussi des gâteaux salés, laissez-nous vous en offrir quelques-uns !

À l'entrée de leur siège principal, une vieille dame avec un tablier de cuisine nous appela avec des grands signes.

À la mention des gâteaux salés, Rika bondit.

Rika

— Ouaiiiiiiiiiiiiiis !

Son visage était resplendissant.

... C'était à nouveau le visage innocent que je lui connaissais.

La petite insolente qui avait proféré des paroles aussi mystérieuses qu'effrayantes avait disparu.

Vieille femme

— Oh, voyons, Dame Rika !

Il faut d'abord aller vous laver les mains !

Les gâteaux sont pas fait pour les cochons qui viennent avec des menottes toutes sales !

Rika

— Alors je vais les laver !

Miiiiiiiii !

La petite Rika passa en trombe pour repartir du côté du bâtiment, près d'un lavabo.

À mi-chemin, elle s'arrêta pile sur place, se retourna et m'appela.

Rika

— Si vous ne venez pas, Akasaka, je mangerai tous vos gâteaux !

Akasaka

— Hein ? ... Ah... Eeeeh !

Rika

— Les cochons avec les menottes toutes sales n'auront pas de gâteaux, vous avez entendu ?

... J'avais beau la regarder encore et encore, c'était bien la petite Rika.

C'était sa manière de parler, sa manière de rire, sa manière d'agir... C'était bien la bonne.

Vieille femme

— Eh bien alors, monsieur !

Vous êtes l'adulte, vous devriez montrer l'exemple !

La vieille dame me montra le lavabo en me grondant des yeux.

Je ne fis pas plus de foin et alla avec Rika pour me laver les mains.

Elle ouvrit le robinet.

Je l'observai un moment. Elle avait apparemment appris à l'école une manière bien particulière de se laver consciencieusement les mains...

Rika

— Miii ?

Quelque chose ne va pas ?

Akasaka

— Hein ? C'est-à-dire ?

Rika

— Il y a quelque chose qui cloche dans ma façon de me laver les mains ?

... Je n'ai eu que 4 étoiles en or pour l'instant.

Je ne sais pas trop comment on fait.

Akasaka

— Eh bien, non, c'est très bien, comme tu fais.

Ça suffit largement...

Rika

— Non, c'est pas assez, Akasaka.

Il faut prendre la brosse et nettoyer sous les ongles si tu veux avoir une étoile en or.

Akasaka

— Ah... hmmm...

Eh bien, tu es sérieuse, Rika, c'est très bien.

Rika

— Nipah☆ Il a dit qu'c'était très bien, il a dit qu'c'était très bien !

Oui, c'était bien la petite Rika qui m'avait accompagné toute la journée.

Aucune trace de la fille que je venais de rencontrer.

Mais alors... C'était quoi, tout à l'heure ?

Akasaka

— Rika... ce que tu m'as dit tout à l'heure, ça voulait dire quoi au juste ?

Rika

— ... ...

Akasaka

— Tout à l'heure, tu m'as dit de rentrer à Tôkyô.

Rika

— ... Ah bon, j'ai dit ça ?

Akasaka

— ... ...

Je ne savais plus quoi dire.

Elle ne se souvenait pas de ce qu'elle avait dit tout à l'heure.

Je n'arrivais pas à le croire... je ne voulais pas y croire.

Rika ne pouvait pas avoir été possédée par... par je ne sais quoi, et avoir dit tout cela sans s'en rendre compte...

Akasaka

— ... Pourtant... je t'assure que c'est ce que tu m'as dit.

Rika

— ... Miii...

Elle ne comprenait pas de quoi je voulais parler,

selon toute évidence.

Elle n'était pas en train de jouer la comédie -- elle ne savait vraiment pas de quoi je parlais.

... Qu'a-t-il pu donc bien se passer ici tout à l'heure ?

C'était à mon tour d'avoir l'air perplexe et gêné.

Je parie que les gens devaient se fendre la poire à nous regarder ainsi, chacun décochant des regards curieux et incompréhensifs à l'autre.

Pendant que nous dégustions les gâteaux et le thé, je remarquai une vidéo de propagande pour l'association, qui relatait les affrontements.

Les autres personnes présentes essayèrent de me raconter avec passion la flamme qui les poussait à se battre, mais je n'y prêtai pas grande attention.

Je regardais Rika, qui luttait contre le sommeil, probablement très ennuyée par ces histoires qu'elle avait dû entendre des dizaines et des dizaines de fois déjà...

Elle finit par remarquer que je l'observais. Elle se frotta les yeux et me fit un grand sourire.

Il était sincère et magnifique. C'était celui d'une petite fille heureuse.

... Plus le temps passait, et plus mon sentiment de malaise à son égard se dissipait. Pourtant, il m'était impossible d'oublier ce qu'elle m'avait dit.

Enfin la nuit tomba. Les villageois me proposèrent de partager leur repas, mais je refusai, leur promettant toutefois de revenir le lendemain.

J'avais un rapport à faire à mes supérieurs une fois arrivé à l'hôtel...

Makino

— Je vois.

Tant pis alors, mais revenez demain !

Passez un coup de fil et nous viendrons vous chercher !

Akasaka

— Merci beaucoup pour tout ce que vous faites.

Je ne manquerai pas de revenir demain.

Makino

— Ahaha, pas de problème !

Et puis, Dame Rika semble vous apprécier !

Rika

— Akasaka, vous viendrez demain ?

J'ai seulement cinq heures de cours demain, alors venez vers 3h de l'après-midi !

Reviens vite.

Son visage ne trahissait que la joie qu'elle se faisait à l'idée de me revoir.

Il n'y avait rien de menaçant ou de mystérieux dans son regard.

En fin de compte... j'avais peut-être rêvé cette scène, tout à l'heure ?

Réfléchissons logiquement.

Le fait que la fille de l'une des familles les plus importantes du village m'aime bien était une aubaine.

C'était mon ticket d'entrée pour pouvoir aller et venir à ma guise dans le village et mener mon enquête à bien.

Si l'on fait abstraction de la scène de tout à l'heure, c'était vraiment une très bonne chose de bien se faire voir par elle.

C'était un très beau résultat

que d'avoir pu sécuriser un accès jusque dans le quartier général de l'ennemi.

Et pourtant, le cœur n'y était pas.

Une fois rentré à l'hôtel, je pris une bière glacée que je bus cul sec, malgré la douleur.

Il me fallait oublier le choc de ce que j'avais vu en cette petite fille, sur le promontoire... par tous les moyens...