Je me réveillai dans un hôtel premier prix quelque part en ville. Franchement, je n'avais pas bien dormi.
Je me souvins que quand j'étais plus petit, il m'était arrivé de compter sur mes doigts les jours qu'ils me restaient à supporter loin de chez moi, pendant les colonies de vacances.
Eh bien franchement, ce matin-là avait un arrière-goût désagréable qui m'y refaisait penser.
C'était peut-être le mal du pays, surtout que ma femme allait bientôt accoucher.
En tant qu'adulte responsable et surtout en tant qu'agent de l'État, j'avais honte.
Mais toutes ces pensées négatives avaient disparues lorsque j'en eus terminé avec le petit-déjeuner.
Ôishi avait arrangé une rencontre avec son informateur tard ce soir.
J'avais donc du temps libre jusque là, mais je n'avais aucune intention de rester les bras croisés.
L'association avait mis de nombreuses activités en place pour résister aux travaux du barrage.
Parmi celles-ci, il y avait entre autre de la publicité et des actions de communication destinées aux médias. En gros, ils avaient une présentation belliqueuse et une autre pacifique.
La présentation belliqueuse relatait les affrontements avec les forces de l'ordre, mais elle décrivait les CRS comme étant des pions et des machines, barbares, violents, imbus de leurs pouvoirs.
La pacifique présentait Hinamizawa et ses ressources naturelles, sa végétation, ses animaux, ses monuments, et voulait prendre les gens par les sentiments en insinuant que détruire tout cela serait un immense gâchis.
Apparemment, ils organisaient des voyages et invitaient des groupes d'élèves ou des coopératives pour visiter le village.
J'avais entendu dire qu'il y avait même une visite guidée en bus, entièrement gratuite.
J'aurais voulu la faire, mais au téléphone, l'employé m'avait dit que les réservations étaient finies et que la prochaine visite n'avait pas encore été planifiée.
— ... Oh, je vois.
Il n'y a pas de plan pour une suivante ?
C'est dommage.
— Vous faites partie d'un groupe écologiste ?
Ah, vous êtes journaliste, peut-être ?
— Non, non, c'est personnel.
— Personnel ? Quoi, vous êtes touriste ?
— Si l'on veut, oui.
J'aime prendre des photos des coins les plus jolis que je visite.
J'avais lu dans un article qu'il y avait de beaux paysages par chez vous, alors, je dois avouer que je me faisais une joie de venir...
Je savais qu'il y avait eu des articles sur la beauté du village, mais je ne les avais pas lus.
... Je suppose que mentir ne va pas me mener très loin.
À peine avais-je décidé de laisser tomber qu'au bout du fil, mon interlocuteur se mit à rire.
— Ahahahahahaha,
ah ben alors, en ce cas, pas de problème, venez !
C'est un peu agité par chez nous en ce moment, mais venez, vous êtes le bienvenu !
Ahahahahahaha !
— Merci beaucoup ! Vraiment, merci infiniment.
— Dites, vous êtes en quoi ?
Voiture ?
Donnez-moi votre numéro de plaque !
Ah, c'est pas pour le voler, hein, ne vous méprenez pas ! Ahahahah !
Aaah, c'est certainement pour prévenir les gens qui font les fouilles de véhicules.
Si eux ne sont pas mis au courant, je vais avoir du mal à y aller...
Je pensais pouvoir y aller avec ma voiture de service, mais j'hésitai à leur donner le numéro.
Si jamais ce sont effectivement eux sur ce coup,
je n'ai aucune garantie qu'ils ne puissent pas découvrir qui je suis en remontant ma piste.
... ... Pour ma propre sécurité, il vaut mieux ne pas y aller en voiture.
— Eh bien en fait, je n'ai pas de voiture.
Je pensais venir avec les transports en commun, si possible.
— Oh, il y a un bus, oui.
La ligne va bientôt fermer d'ailleurs.
Venez en bus, alors.
Le départ, c'est à la gare d'Okinomiya.
— Merci beaucoup,
je vais chercher où c'est.
— Ah, vous venez quand ?
C'est la première fois que vous venez à Hinamizawa ?
Si c'est le cas, vous devez avoir pas mal d'incertitudes.
Dites-nous quel bus vous prenez, je vais vous envoyer quelqu'un pour vous faire visiter, sinon vous allez vous perdre !
— Voyons, mais c'est trop ! Je ne veux pas m'imposer !
— Hahhahhahhahha !
Vous en faites pas, c'est rien !
C'est dans notre intérêt de convaincre le maximum de gens !
Si les jeunes gens de la veille étaient représentatifs des autres habitants, je pouvais sans effort deviner qu'ils devaient se méfier des étrangers comme de la peste.
C'est pourquoi je ne peux m'aventurer là-bas que soit escorté par des forces de police, soit en faisant croire que je suis de tout cœur avec eux.
En utilisant cette viside guidée, je montrais de l'intérêt pour eux, et j'étais a priori dans leur camp.
Je n'aimais pas trop le fait d'avoir un guide pour me surveiller de près, mais tant pis. Il peut me servir par la suite.
Et puis, c'est une occasion de feindre l'ignorance et de poser des questions directes.
... Non, c'est plutôt une bonne chose.
— Ben écoutez, si vraiment vous êtes sûr que cela ne vous dérange pas…
je dois dire que ça m'enlève une épine du pied.
Mon interlocuteur m'indiqua au téléphone les meilleurs horaires pour venir,
puis m'assura que quelqu'un m'attendrait à l'arrêt de bus du village.
Je parie qu'il va me montrer quelques coins, puis m'emmener dans une sorte de musée local où ils démontent le projet.
Il va me servir un thé et me bassiner avec leurs histoires pour me bourrer le mou.
Enfin bon, c'est donnant-donnant, je suppose, puisque la visite du village est gratuite.
... Je peux pas y aller en costume de ville.
Je sortis ma valise et pris des vêtements civils plus appropriés.
Puis, après avoir regardé la chaîne de télé locale, je quittai l'hôtel, en route pour la gare d'Okinomiya...
Le bus dans lequel je montai ne laissait en rien deviner l'arrêt prochain de la ligne.
Il y avait encore des bus toutes les heures, et ils avaient l'air assez fréquentés.
C'était le seul moyen de transport public pour les relier à la ville.
Les passagers étaient composés surtout de gens âgés et de femmes au foyer qui n'avaient probablement pas le permis.
Bien sûr, si le barrage est construit, le coin sera englouti sous les eaux, donc il n'y a aucun intérêt à garder la ligne en place.
Mais cela me paraissait un peu bizarre quand même -- le barrage était loin d'être terminé.
Si ça se trouve, c'était peut-être un coup bas des services publics pour inciter les gens à déménager...
Oui, dans les documents de la DST, j'avais lu que les négociations avec les habitants des villages concernés avaient capoté presque dès le début.
... L'État avait donc décidé depuis longtemps de les chasser de leurs terrains si nécessaire.
Vous savez, il y a ce conte pour enfants avec le vent du nord et le soleil qui essaient de voler le manteau d'un pélerin.
C'est un peu comme ça. Et tout aussi inutile. C'est de la méchanceté gratuite.
Enfin bon, cela signifie tout simplement que pour que les habitants du coin en arrivent là, l'État aussi devait avoir fait de belles crasses.
... Vu de Tôkyô, un village paumé de plus ou de moins, c'est pas une grande perte.
... ... Mais pour les habitants concernés, c'est une question de vie ou de mort.
— Cette ligne ne sera plus desservie à partir du * juillet.
Merci de votre fidélité pendant toutes ces années.
Nous espérons vous retrouver sur nos lignes encore existantes.
À bientôt peut-être !
Regardant l'annonce de la compagnie de transport d'un œil morne, je m'affairais à compter et recompter le nombre de stations restantes.
Nous passâmes l'endroit de la fouille de véhicule, sans problème.
Le bus passait à des horaires définis, donc ils savaient quand ouvrir les barrières.
... Ça y est, je suis à nouveau en territoire ennemi.
Je me rendis compte que j'avais les mains moites.
— Nous arrivons bientôt à Ukida, à l'arrêt du canal.
Je répète, nous arrivons à Ukida, à l'arrêt du canal.
Quelqu'un veut-il descendre ?
En entendant la voix du chauffeur, je réalisai où j'étais et pressai le bouton.
Même avec autant de gens dans ce bus, j'étais le seul à descendre ici -- c'était vraiment l'arrière-pays...
En fait, en descendant du bus, je me rendis compte que l'endroit n'était quasiment jamais utilisé.
À peine arrivé dehors, la chaleur écrasante du dehors m'assaillit.
Je suis seul, désormais. Pas d'inspecteur Ôishi ou Hondaya pour me protéger.
Je suis tout seul en plein milieu du camp ennemi.
Même si l'ennemi ne me prend que pour un bête touriste... cela ne veut pas dire que je ne dois pas rester sur mes gardes.
... Si jamais ils découvrent qui je suis, je suis très mal barré...
…
C'est vrai qu'ici, même si je me fais poignarder en pleine rue et en plein jour, il n'y aura pas de témoin...
Je suis pas louche, quand même ?
Mes habits... sont normaux, j'ai l'air d'un promeneur.
Typiquement parlant, j'ai l'air d'un glandu de la ville qui va se reposer chez les péquenauds de la campagne.
J'ai un appareil photo en bandoulière et un petit sac à dos,
rempli de choses pour la randonnée.
Nous n'étions qu'au mois de juin, mais il faisait une chaleur estivale, déjà.
... J'aurais dû ramener un chapeau.
Oh, ce n'est pas le genre de détail qui va me perdre...
Tout se passera bien, je ne suis qu'un con de touriste.
J'ai l'air normal…
Tout à fait normal...
Je me retournai pour regarder le bus repartir.
Tous les passagers du bus étaient aux fenêtres et me regardaient avec insistance et mépris.
Ils me regardaient…
comme si
mon déguisement n'avait trompé
absolument personne.
Je sentais bien leurs regards, comme autant de piques qu'ils m'auraient jetées dessus.
... Heureusement pour moi, ils se contentaient de me regarder.
Mais ce qui était vraiment incroyable, c'est que personne ne disait mot.
En fait, c'était peut-être pour cela.
... Leur silence accusateur était pire que les milliers d'insultes qu'ils auraient pu proférer à mon encontre.
Rentre chez toi,
sale étranger de merde.
— ... ... ... ... Mais... euh, je...
Cela ne servait à rien de parler.
Le bruit du moteur du bus couvrait ma voix, de toutes manières.
Après être resté quelques instants sur place et m'avoir bien fait paniquer, le bus finit par repartir, puis disparut au bout du chemin...
... J'étais trempé de sueur, et ce n'était pas dû à la chaleur.
Je savais qu'ils étaient plutôt hostiles envers les gens de l'extérieur.
Et qu'ils étaient peu nombreux.
Forcément, si aucun d'entre eux ne m'a reconnu de tête, alors forcément, je venais d'ailleurs...
En plus, personne n'est descendu ici avec moi.
C'est le genre d'arrêt qui n'est jamais utilisé.
Je parie qu'en descendant ici, je leur ai mis la puce à l'oreille...
Pourtant, je n'ai rien fait de louche.
C'est la personne au téléphone qui m'a dit de descendre ici.
Pas la peine de me faire du souci.
Je savais que j'étais nerveux à cause de ma mission.
Mes collègues disaient que je faisais partie d'un nouveau genre d'êtres humains qui ne connaissaient pas la nervosité, mais ce n'était pas vrai.
— ... ... ... Pouh...
J'eus un petit soupir, bref, pour me remettre les idées en place et passer à autre chose.
Secouant le nuage de gaz dégagé par le bus à son départ, je priais pour réussir aussi à disperser la fébrilité qui m'agitait...
Il y avait un petit abri pour se protéger de la pluie. Je décidai d'attendre mon guide là-dedans.
Sur le mur intérieur, il y avait des tas de tracts militant contre le barrage.
Les villageois avaient plastré ces tracts partout sur le mur, comme un grand cri de révolte.
C'était très impressionnant.
Je savais que je ne venais pas ici pour prêcher en faveur du barrage, mais je me suis vraiment demandé si c'était une bonne idée de rester.
Ce mur avait un effet répulsif vraiment très convaincant.
Et dans cet endroit qui vous prenait aux tripes... je vis une petite fille.
Dans ce petit abri qui respirait la violence, cette petite fille restait assise, somnolante presque, les yeux mi-clos.
C'était tellement... inattendu, tellement saugrenu, presque, que j'en restai interdit, fasciné.
Si j'entre dans l'abri, mes pas vont la réveiller.
Je ne vais quand même pas la déranger dans son sommeil...
Je restai là, debout dehors, sans bouger.
Pourquoi restais-je ici, comme un idiot ? Je ne la connaissais pas, cette gamine.
Au bout d'un moment, je compris.
Cette petite fille... ressemblait exactement à l'image que je me faisais de notre future petite fille.
Oh, à l'hôpital, ils n'avaient pas pu dire avec certitude si c'était une fille ou un garçon.
Mais s'ils n'ont pas vu le sexe de l'enfant, il y avait fort à parier que c'était une fille...
Ils n'avaient pas la preuve, mais c'était tout comme.
Yukie disait qu'il y avait une chance sur deux.
Mais moi, j'étais déjà persuadé depuis longtemps que nous aurions une petite fille.
Depuis ce jour, j'avais passé beaucoup de temps à imaginer comment elle grandirait. C'était très amusant d'y penser.
Et parmi toutes les images que j'avais imaginées, je m'en étais trouvée une parfaite. Et la petite fille devant était exactement comme ça.
Oui, bon, d'accord, ce n'est pas tout à fait vrai.
J'imaginais ma fille avec des cheveux courts,
et celle-ci avait les cheveux longs.
Mais après tout... à la voir, ainsi…
Les cheveux longs, c'était pas si mal non plus. Je devais peut-être réviser mon jugement...
... Je ne pouvais pas continuer à la dévorer du regard, c'était indécent.
Elle était trop innocente, trop pure, trop divine pour ça.
— HHh....aaaaaaah...
Un sourire aux lèvres, elle ouvrit la bouche très grand et poussa un bâillement formidable, qui me laissa entrevoir ses molaires, puis elle se réveilla d'un seul coup.
Nos regards se croisèrent.
Évidemment, je n'avais rien fait de mal et je n'avais rien à me reprocher,
mais je me sentais un peu gêné et mal à l'aise de l'avoir observée pendant son sommeil.
Alors la petite fille parla.
Enfin... elle miaula, plutôt ?
— ... Miii.
... Mii ?
C'est quoi, un miaulement, un nom ?
C'est de l'anglais peut-être ? me, ça veut dire... “je” ? Non, “moi”...
C'est peut-être simplement un moyen de dire bonjour qui l'amuse.
Eh bien alors, je vais lui répondre... espérons qu'elle n'ait pas peur de moi...
— ... Miaou.
— ... Miaou ?
— Miii. Miaou miaou.
La petite fille se mit à m'observer avec un visage fixe, souriante, mais un peu artificielle. Je ne pus pas lire à quoi elle pensait.
... Ouais. En même temps, je ne pouvais pas lui en vouloir.
Elle se réveille et un inconnu est là, devant elle, et il lui parle avec des cris bizarres...
Moi, à sa place,
je me méfierais.
— Miii.
— ... Mi. Miiiiaou.
— ... ...
— ... ... ... ...
Nous restâmes silencieux, ne sachant pas quoi dire.
Enfin, c'était surtout moi qui ne savais pas quoi dire.
Elle me regardait, curieuse de voir ce que j'allais faire par la suite.
Hmmm... il faut que je fasse quelque chose...
... C'est pas croyable, elle est encore plus douée qu'Ôishi pour faire parler les gens...
— Euh... ... Je suis pas un dangereux, hein.
Je...
— ... Nipah☆!
— Ni… Nipah ???
— Nipah☆!
Elle était passée d'un visage neutre et artificiel à un sourire qui menaçait de lui déborder du visage.
On parle parfois d'un sourire angélique, vous savez ? Eh bien franchement, l'expression lui allait comme un gant.
Peut-être qu'elle veut aussi que je lui fasse un sourire ?
Oui... bien sûr, c'est comme lorsqu'on dit à un bébé de faire risette, c'est une forme de communication infantile.
Il faut faire comme la personne en face de soi pour gagner sa confiance.
— Ni… Nipah ?
— ... Nipah☆!
... Nous sommes en juin, il fait beau, il fait chaud.
Qu'est-ce que je suis en train de faire, moi, au juste ?
— Nipah☆!
— Ni… Nipah♪!
… Bref.
C'est super marrant, ce petit jeu en fait...
Si les anges sont réellement capables de rendre les gens heureux rien qu'en souriant,
alors cette petite fille est un ange.
J'espère sincèrement que ma future fille deviendra comme elle plus tard...
Notre conversation fut interrompue par une voiture.
Le conducteur était un vieil homme, qui me salua de la main avec un petit rire gêné.
— Aaah, bien l'bonjour !
Dites, chuis désolé d'êtr'en r'tard, hein.
C'est vous qu'avez appelé, hein ?
— Euh, oui, oui oui !
— Désolé de vous avoir fait attendre.
J'ai pas fait attention !
Allez, allez, dépêchez, asseyez-vous donc !
Le temps va se gâter, y faut y aller !
— Euh... vraiment ?
— Ooohhohho oui, par ici, le temps change d'humeur comme nous de chemise !
Y risque d'y avoir des averses.
Ce sera moins pratique pour prendre des photos !
Allez, venez !
— Miii ?
Me retournant, je vis la petite fille qui me regardait, très intéressée.
On aurait dit un chat de gouttière qui se demande s'il doit vous suivre ou pas... C'était trop mignon.
— Ooooh ! Dame Rika !
Oh, merci à vous, merci à vous !
— Nipah☆!
Je restai un moment stupéfait,
observant le vieillard égrener son chapelet et se répandant en prières devant cette petite fille qui lui souriait innocemment.
Le vieil homme me présenta à Rika.
— ... C'est vous, le jeune qui veut visiter le village, alors.
La petite Rika me prit le bras en riant.
— Euh... oui.
On m'a dit que la nature était formidable par ici... alors je me suis dit qu'il fallait que je prenne des photos.
J'en ai pas l'air, mais j'aime bien jouer les photographes...
— Ouah, Tomitake n°2 !
— Pardon ?
Un Tomitake ?
Quoi ?
— Makino.
Je peux venir avec ?
— Mais enfin, Dame Rika, vous allez vous ennuyer !
Pourquoi n'allez-vous pas jouer à la balle dans la cour du sanctuaire ?
— ... Miiiiii.
Rika n'avait pas l'air très contente. Son visage reflétait clairement sa déception.
Ah, les enfants... on sait toujours à quoi ils pensent !
— Euh, si cela ne vous dérange pas, on pourrait peut-être l'emmener avec nous, non ?
À ces mots, Rika se jeta dans mes jambes avec un grand sourire.
... Aaaah…
c'est pas dégueulasse...
Avoir une fille comme ça... qui dirait tout le temps “Papa, papa !”...
Non, non,
“Père”, c'est mieux.
Non, “Papounet” !
“Mon papounet à moi”…
Hnnnnnnng !
Mais qu'est-ce que je raconte, je débloque complètement...
Depuis que je l'ai vue, cette fille, je suis à côté de mes pompes.
Eh, faut qu'j'me calme.
— Moué, pas trop le choix.
De toutes manières, Dame Rika est pas du genre à écouter ce qu'on lui dit.
Allez, montez, vite.
Vous aussi, Dame Rika.
Le vieil homme descendit et vint nous ouvrir la porte coulissante du côté. Elle arborait le nom de l'association.
La petite Rika me poussa sans vergogne du côté pour monter la première, et se mit à sauter sur le siège de la banquette.
Ele sautillait dessus comme sur un matelas.
— Allons, Dame Rika !
Ah, je vous en prie, monsieur, asseyez-vous.
Mais ! Dame Rika !
... Aaaah... c'est bien, une petite fille...
J'espère que la mienne sera pareille...
Aaaaah, non, non !
C'était marqué dans le livre, il ne faut pas projeter ses attentes sur le bébé, c'est pas un jouet...
Un enfant est un enfant. Il ne faut pas être trop dur, mais ne pas tout lui permettre non plus.
— Boing, boing, youhou ! Nipah☆!
— Ni… Nipah☆
Je parie que je serai un de ses pères de famille qui ne savent pas dire non...
C'est dur de pouvoir se catégoriser père indulgent avant même d'être père...
— Bon, ben alors, j'vais vous emmener un peu au hasard dans le coin, d'accord ?
Ah, vous avez déjà mangé midi ?
— Oui,
j'ai pris un repas à mon hôtel.
— Oh.
Ben ok, alors, allons-y !
— En route pour Hinamizawa !
Ouaiiiiis !
— Euh... je peux t'appeler Rika ?
— ... Oui.
Je m'appelle Rika Furude.
Je sais faire les additions avec retenues !
— Ah, ah bon ?
Déjà ? Ben... C'est bien !
Hahaha.
— Mais j'utilise pas mes doigts, hein ?
Je fais les retenues de tête !
Oooh, mais c'est trop mignon comme elle insiste...
J'étais censé être en terrain ennemi, mais je n'avais plus aucune appréhension.
Tout cela grâce à cette petite fille. Heureusement que je l'avait rencontrée !
— Bon, ben alors on se met en route !
Bienvenue au grand tour de Hinamizawa !
Le vieil homme appuya sur l'accélérateur.
Le vieil homme s'appelait apparemment Makino de son nom de famille.
Était-ce le même que le comptable et expert financier de l'association ?
Quoi qu'il en fût, il m'emmena dans des endroits tous plus beaux les uns que les autres, et même moi, qui n'étais pas vraiment là pour le tourisme, je ne pus m'empêcher de rester émerveillé devant le paysage.
Peut-être que c'était simplement dû au fait que je vivais tout le temps en ville, au milieu du béton, mais la campagne était calme et relaxante.
Au début, je devais penser à prendre régulièrement des photos pour faire le touriste, mais à force de faire semblant, je me pris au jeu et me mis à vraiment faire des photos de vacances.
Les endroits touristiques étaient généralement aménagés spécialement à cet effet, mais là...
Tout était en l'état, c'était vierge, brut.
Si seulement il n'y avait pas les problèmes avec l'ordre public, j'aurais bien aimé emmener Yukie ici.
L'air est pur, et tout est si vert... si beau. Elle se plairait ici.
— Vous trouvez ça tellement intéressant ?
Akasaka, vous êtes bizarre !
— Non, mais regarde, c'est très rare, les boîtes aux lettres rondes comme ça !
On ne les fait plus depuis longtemps ! C'est un peu... vieux jeu, un peu nostalgique. C'est classe !
Ahahahahaha !
— Ça vous plaît, Hinamizawa ?
— Hmmm ?
Oui. Oui, je dois dire, c'est très joli.
Quand ma femme sortira de l'hôpital, il faut absolument que je revienne ici.
... On ramènera notre enfant aussi.
— ... ... ...
— Elle est à l'hôpital, elle va bientôt accoucher.
C'est prévu pour bientôt, d'ailleurs.
J'espère que ce sera une fille aussi jolie que toi !
— Oh, mais alors, vous allez être papa ?
Mais qu'est-ce que vous faites ici ?
Vous devriez être à ses côtés !
— ... ...
Je ne savais plus quoi dire.
Il avait parfaitement raison...
Qu'est-ce qu'un homme qui va être papa dans les jours à venir faisait en vacances, à des centaines de kilomètres de sa femme ?
Je me suis trahi tout seul...
— Euh... Oui, mais bon,
c'était prévu depuis longtemps de venir ici !
Et puis, la famille de ma femme est sur place, pour le cas où...
— Mais si vous le saviez,
vous auriez pu réserver votre place à temps pour le voyage d'avant !
Vous auriez eu un vrai bus, pas une camionnette toute pérave !
... M. Makino n'avait pas l'air de soupçonner anguille sous roche.
Mais il va falloir me calmer avec la conversation. Je risque de faire une nouvelle erreur.
Prenant mon appareil photo, je fis mine de vouloir faire quelques clichés, pour les empêcher de me poser des questions.
— Bon, eh bien, pour le final, on va vous montrez le plus beau coin du village !
Nous étions en fin d'après-midi. Le soleil tapait encore, mais le vent se faisait frais.
Ma promenade avec la petite Rika allait bientôt prendre fin.
— ... C'est où, le plus beau coin du village ?
— Allons, Dame Rika, vous savez bien que c'est l'esplanade du sanctuaire !
En entendant cela, Rika fit un sourire lumineux.
— D'accord, alors je vous invite chez moi, Akasaka.
— Quoi ?
Tu m'invites chez toi ? C'est où ?
— Au temple.
Dans le sanctuaire Furude.
Il y a un endroit dans le sanctuaire qui surplombe le village.
C'est super beau, vous verrez !
— ... ... Le sanctuaire des Furude...
La petite Rika appelait ça “chez elle”.
Aaah, bien sûr... Rika Furude,
elle me l'avait dit.
Mais…
c'est l'un des trois clans fondateurs du village ?
C'étaient peut-être les Sonozaki qui dirigeaient, mais les Furude étaient très importants aussi.
... Mais qu'est-ce que je raconte, il y a plus important !
L'inspecteur Ôishi m'avait dit quelque chose à propos du sanctuaire...
C'était là que l'association avait placé son quartier général.
Et comme c'était une propriété privée, personne ne pouvait y entrer sans mandat...
Même lui ne pouvait pas y entrer facilement.
Et moi, j'y avais été invité.
C'était une occasion inespérée.
— Eh bien, d'accord.
Je vous suis.
— Eh bien alors, dépêchons-nous !
Le temps va tourner !
Il avait raison, on voyait quelques nuages.
Il y aurait sûrement une averse.
Les cigales aussi devaient le sentir, car elles redoublèrent d'efforts, pour pouvoir avoir fini leur pensum avant l'arrivée de la pluie...