— Mais puisque je te dis que ce n'est pas la première fois que l'on se voit !
Je t'ai vu tous les jours, hier et avant-hier et encore avant !
— C'est bon, ça ira, j'ai plus envie d'en parler.
Si tu le dis, c'est que c'est vrai.
Un domestique (?) de Shion était venu avec une grosse voiture pour nous récupérer.
J'avais refusé de monter, par politesse, mais Shion m'avait poussé sur la banquette arrière, fourguant mon vélo dans le coffre par la même occasion.
La voiture, une berline assez luxueuse, se trouvait sur la petite route qui menait à Hinamizawa.
Shion m'avait l'air encore plus douée que Mion, car quelle que fût la question, elle arrivait toujours à s'en sortir.
— En tout cas, vous êtes vraiment pareilles.
Si tu t'attaches les cheveux en arrière, on ne peut plus vous différencier toutes les deux, je parie ?
— Ah, qui sait ?
Je pourrais essayer, et je pense que c'est ce qu'il se passerait.
Nous sommes de vraies jumelles monozygotes.
Quand nous étions plus petites, on s'échangeait nos habits, et personne n'arrivait à faire la différence.
On s'amusait à tous les tourner en bourrique à l'époque, on a essayé des tas de choses !
L'homme d'âge mûr qui servait de chauffeur, entièrement habillé de noir comme un vrai majordome, poussa un long soupir.
— Eh ben Kassai,
ça veut dire quoi ce soupir ?
— Veuillez m'excuser, mademoiselle.
Je me disais simplement que vous n'aviez pas vraiment changé depuis cette époque.
En regardant son visage grâce au rétroviseur intérieur, je pus y lire toute la fatigue accumulée lors de toutes ses années de service.
— Mais dis-voir, c'est bien par là, pour aller chez toi ?
Kassai ne connaît pas trop les chemins de Hinamizawa, à part celui entre nos deux maisons.
Si tu le laisses conduire en silence, il est capable de rouler jusqu'à Yago'uchi.
— Quoi, eh non, déconne pas !
Excusez-moi, vous pouvez me laisser à l'entrée du petit chemin qui mène à droite, là-bas ?
Ce sera largement suffisant.
Il arrêta la voiture exactement à l'endroit demandé.
Le fameux “Kassai” sortit mon vélo et me le tendit.
— Ah, merci beaucoup.
Je m'excuse de vous avoir fait rouler tout ce chemin, c'est gentil à vous.
— Vous vous appelez Keiichi,
si j'ai bien compris ?
— Hein ? Oui, effectivement, pourquoi ?
— ... Je pense qu'elle vous en fera voir de toutes les couleurs, mais ne vous inquiétez pas, elle finira par s'en lasser. Ayez un peu de patience avec elle, c'est tout.
Il poussa à nouveau un profond soupir.
J'étais prêt à parier qu'il en avait vues, des vertes et des pas mûres, depuis qu'il était au service des Sonozaki...
— Mais vous savez, elle est très gentille au fond, comme mademoiselle Mion.
— Quoi, vous voulez dire qu'elle est aussi chiante que sa sœur ? Vous n'êtes pas sérieux ?
Avec un sourire poli parfaitement figé et de grosses gouttes de sueur sur le front, l'homme resta parfaitement coi.
Roh purée, c'est juste une blague, quoi !
— Allez, salut Kei ! À la prochaine.
Passe le bonjour à ma sœur de ma part.
J'ai presqu'envie de m'inscrire à l'école de Hinamizawa, tiens...
— Nan, vas-y, déconne pas.
Si tu te pointes chez nous, je cherche même pas à comprendre, je me fais transférer dans celle d'Okinomiya.
— Oh le salaud, c'est super méchant ce que tu dis, là, Kei !
Il y eut un coup de klaxon, très court.
Le chauffeur me fit un petit signe de la main.
La voiture repartit de plus belle sur le chemin obscur, laissant un nuage de poussière derrière elle.
Franchement, la journée avait été terrible.
Dans un éclair, j'eus le souvenir vivace du regard vide qu'avait eu Mion lorsqu'elle nous avait vus ensemble. On aurait dit un animal mort debout, comme foudroyé par l'aiguille empoisonnée d'une sarbacane… J'eus beaucoup de mal à l'oublier.