Le Seven's Mart, c'est un grand supermarché en ville.

Maman de Keiichi

— Qu'est-ce qu'il y a, Keiichi ?

Mais ? qu'est-ce que c'est que tout ça ?

Tu n'avais pas besoin d'en prendre une de chaque, voyons !

Je mis un assortiment bigarré de portions de nouilles déshydratées dans notre caddie.

Keiichi

— Tu sais, les nouvelles sortes sont très spéciales, il y en a plein maintenant.

Et puis, j'avais envie de les essayer toutes pour voir lesquelles sont bonnes.

Je savais bien que c'était plus un caprice qu'autre chose, mais ça valait le coup de tenter de les convaincre.

Papa de Keiichi

— Keiichi.

Va prendre une des sortes qu'ils vendent par carton complet, elles sont moins chères.

Mon père se montra ferme et inflexible.

Bah, de toute façon, je savais bien que ça se passerait comme ça.

Si mon père s'en mêle, je n'ai aucune chance.

Keiichi

— Mais oui mais alors il n'y aura qu'une seule sorte à manger !

Elle vont nous ressortir par les narines !

Je disais ça juste pour la forme.

Dans ma tête, je regardais déjà les sortes achetables par carton entier et j'étais déjà en train d'hésiter sur celle que je voulais.

Maman de Keiichi

— Si tu ne peux pas te décider, je choisirai à ta place.

Nan mais, une seconde, quand même !

Je me dirigeai rapidement vers une sorte bien précise.

Maman de Keiichi

— Des nouilles à la moelle de porc et au gingembre, taille maxi ?

Tu pouvais pas prendre une sorte un peu plus normale ?

Oh que non, si ma mère les avait choisies, nous nous serions retrouvés avec les nouilles à la sauce de soja ou celles avec la soupe salée... Elle prend toujours l'une des deux sortes-là.

Et donc, lorsque j'eus déposé l'énorme boîte de nouilles à la moelle de porc dans le cadis, ma mère me regarda l'air de dire ...Ah bon ?

Pour lui montrer que je ne reviendrai pas sur ça, je commençais à lui expliquer mon choix.

Keiichi

— C'est super bon, la moelle de porc !

Et puis, c'est marqué avec beaucoup de viande, mais ça ne veut pas dire qu'on ne sente que le goût du porc !

Dans cette scène de mes souvenirs, mon personnage essayait de justifier son choix par A+B.

Dans ce monde pelliculé, hermétique, passé, il est impossible de se retourner.

La seule chose que je pouvais faire, c'était affiner mes sens, pour essayer de ressentir le plus de choses parmi les informations que mon corps avait glanées ce jour-là.

J'avais beau chercher dans mon champ de vision, je ne trouvais pas Rena.

Je remontai dans mes souvenirs et me remis à sa recherche.

Sans succès.

Ce qui voudrait dire... qu'elle m'observait depuis un endroit qui se trouvait dans mon angle mort ?

Je me concentrai sur mon ouïe et sur mon sens du toucher et me repassai la scène.

Je sentais la présence des autres clients du magasin.

Ils sont nombreux... et leurs déplacements sont erratiques.

Je ne ressentais aucune présence qui me suivît, ou qui se maintînt dans mon dos.

Non, rien.

Elle n'est pas là.

Enfin, je crois.

Même en considérant que je ne faisais pas attention ce jour-là, je suis sûr que l'aurais remarquée si elle s'était tenue tout le temps pile-poil derrière moi.

J'eus un rire désabusé. J'avais dit je crois, mais en fait, je voulais dire j'en suis sûr et certain.

Et là, j'eus un frisson, et le Temps se figea.

... Il y avait quelqu'un derrière moi.

Une peur indescriptible m'envahit.

Si j'avais ressenti une présence derrière mon vrai corps, je n'aurais eu qu'à me retourner pour voir qui c'était.

Mais là, j'étais dans mes souvenirs. Je ne pouvais pas me retourner, c'était physiquement impossible...

Est-ce que je me suis baladé, le sourire aux lèvres, dans tout le magasin avec cette ombre derrière moi, sans la remarquer ?

Je me voyais courir dans le rayon des plats tout prêts, imaginant le désastre qui arriverait si je laissais le choix à ma mère...

Mais tout ce temps, fidèle comme une ombre, une présence me suivait, restant dans mon dos.

Je ne pouvais m'en rendre compte que maintenant... et je n'aurais jamais cru que le fait de savoir qu'il y avait quelqu'un dans mon dos, mais que je ne pourrais jamais savoir qui c'était vraiment, était si terrifiant, si horrifiant que cela...

Dans ce morceau du passé, je courais un peu partout, tout content.

Un carton dans les bras.

D'un pas léger.

Mais en faisant bien attention, je pouvais distinguer un autre bruit de pas, plus calme, plus sûr.

Je passe en courant.

Puis un pas,

un autre, encore un.

Je muse un peu plus loin.

Un pas prudent,

encore un.

Je repars. Le pas plus lent, plus sûr de lui, reprend de même.

Partout où j'allais, j'entendais ce pas très distinct du mien, un écho fidèle du bruit de mes propres pas. Encore et encore, je courais, un sourire aux lèvres, dans cet extrait de mes souvenirs...

Mais comme je n'avais pas entendu ce bruit de pas derrière moi...

En fait, non. J'ai forcément dû l'entendre, puisqu'il est présent dans mes souvenirs.

Je ne m'en suis tout simplement pas rendu compte.

C'est pour ça que je ne me suis pas retourné ce jour-là.

C'est pourquoi maintenant, je ne peux pas me retourner !!!

Ce bruit de pas me suivit tout le temps.

Je ne pouvais pas me mettre à courir plus vite pour le semer.

Puisque tout cela, c'était du passé, je ne pouvais pas me faire courir plus vite.

Et surtout, surtout, je ne pouvais pas me retourner.

C'était normal, puisque ce jour-là, d'après mes souvenirs, je ne me suis pas retourné une seule fois.

Puis je retrouvai mes parents, et la conversation recommença du début.

Et cette présence était toujours là, dans mon dos.

Comme je ne bougeais pas, la personne derrière moi ne bougeait pas non plus.

Donc elle ne faisait plus de bruit.

C'était aussi simple que ça.

Je ne me déplaçais plus, j'étais debout, en train de parler à mes parents, restant sur place.

Je suis sûr et certain que je n'avançais plus.

Sûr et certain !

Et pourtant,

... là !

Elle a fait encore un pas ! Je l'ai entendue !

Mais c'est pas normal, ça !

Quand je faisais trois pas, elle faisait trois pas aussi.

C'est la règle du jeu, non ?

Il n'y eut plus d'autre bruit.

Et alors, la lumière fut coupée.

Tout devint noir.

Ça y est, mon voyage à travers mes souvenirs touchait à sa fin.

De toute façon, j'étais vanné.

Autant arrêter avec ça.

Je voulus rallumer la lumière...

Mais je n'arrivais plus à bouger.

Un peu comme si moi aussi... j'avais été inclus dans une pellicule de plastique avec ces souvenirs.

J'entendis à nouveau le bruit de pas.

Tous mes poils se hérissèrent sur mon corps.

Mais enfin, c'est pas possible ?!

Eh, c'est de la triche !!

J'ai pas bougé, moi !

Alors t'as pas le droit de bouger non plus !!

Je ne peux pas bouger !

Du coup, toi non plus, tu peux pas bouger !!

Tu dois jouer dans les règles !!

Et pourtant.

Encore une fois, l'écho d'un pas résonna derrière moi.

Les petits poils dans ma nuque se mirent à me démanger horriblement.

Elle était juste derrière moi, je pouvais presque sentir le contact de son corps avec mes cheveux !

Mais pourquoi est-ce qu'elle, elle peut bouger, et pas moi ?!?!

C'est là que je me suis rendu compte d'un truc.

En fait, je pouvais bouger.

C'est juste que la peur me clouait sur place.

Si je veux me retourner, c'est maintenant ou jamais.

C'était quelque chose d'impossible à faire dans des souvenirs...

mais il fallait absolument que je réussisse à me retourner !

Chaque cellule de mon corps, chaque fibre de mon être se mit à hurler de douleur, tentant de m'empêcher de commettre cet interdit.

Je me retournerai !

Je vais me retourner !

Tu crois que j'ai peur, peut-être ??

Je vais te montrer !

Je réussirai à me retourner !

J'ai pas peur, moi !!

Je me mis inconsciemment à gronder...

Grrrrrrrrr...RAAAAAARRR !!!!!!

Ça y est, je m'étais retourné.

Et là... ben en fait, au début, je n'ai pas trop compris.

Keiichi

— ... Quoi ??? De... hein ? Mais...?

Mais qu'est-ce que... hein ????

Je ne compris pas ce que je voyais.

C'est seulement par une suite de recoupements que je pus me rendre compte de ce qu'il se passait, un peu comme quand vous mangez quelque chose et que vous ne comprenez ce que c'est que lorsque votre langue a fait passer l'information du goût à votre cerveau.

Je me mis à mâcher...

... et ma langue envoya l'information du goût à mon cerveau.

Et donc maintenant, je savais que derrière moi, c'était...

WWAAAAaaaaaa !! AAAaaah, HaaAAAaahhh, AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA !!