Même après le début de l'été, l'air du matin reste très frais.

Par contre, il est très pur, et c'est un plaisir de s'en remplir les poumons.

Lorsque l'on ouvre les fenêtres et que l'on regarde au dehors, on ne voit que du vert.

Il n'y a que des arbres, et rien d'autre.

La maison de nos plus proches voisins est beaucoup plus loin sur le chemin.

Je suis probablement le seul à profiter de ce paysage magnifique et de cet air si pur.

Je repris une profonde inspiration.

Hinamizawa m'avait déjà appris une chose : l'air que l'on respire avait aussi un goût.

Je me dépêchai de me préparer pour aller à l'école puis descendis prendre mon petit-déjeuner.

Seule ma mère était présente, et je ne voyais mon père nulle part.

Il avait probablement travaillé d'arrache-pied jusqu'au petit matin.

Mon père avait un métier peu commun : il était peintre.

C'est un boulot assez peinard, en fait.

Il se lève quand il veut, il dort quand il veut, et il travaille quand ça lui chante.

Je lui ai toujours envié cette oisiveté.

Il m'est même arrivé de dire à l'école que je voulais devenir peintre plus tard. Mon père était sacrément fier ce jour-là.

Évidemment, il n'a jamais su que je voulais seulement un boulot aussi facile que le sien.

Ma mère plaça le petit-déjeuner sur la table.

Au menu : des algues séchées, des légumes saumurés, un œuf cru et du saumon grillé.

Je sais que c'est ma mère, mais parfois elle me scie.

Là par exemple : voilà un petit-déj' japonais ab-so-lu-ment par-fait.

Ah, çà, ma mère, on ne peut rien lui reprocher. Tout le contraire de mon père. Je ne sais même pas s'il connaît le mot “agenda”.

Elle apporta la soupe de miso en chantonnant d'une petite voix nasillarde. Ce matin, c'est clair, elle est de bonne humeur.

Maman de Keiichi

— Depuis que nous habitons ici, tu es devenu un vrai lève-tôt. Je suis fière de toi.

Keiichi

— En même temps, si j'me levais pas aussi tôt le matin, je recevrais rien à manger...

Que voulez-vous, je suis comme ça. Si on me fait un compliment, il faut vite que je casse mon image de brave petit garçon.

Maman de Keiichi

— Combien tu veux de riz, un bol ? Un demi-bol ?

Keiichi

— Mets-moi une montagne.

Je commençai par goûter le riz encore tout chaud avec les algues.

Ensuite, je le mélangeai avec l'œuf.

Entre deux grosses bouchées de riz, je testai le croquant des légumes.

Mmmoui, pas mal, pas mal.

En fait, aujourd'hui encore, c'était excellent.

Ma mère me regardait manger à toute vitesse avec un regard attendri.

Maman de Keiichi

— En tout cas, je suis contente que tu manges à nouveau le matin.

J'avais du mal à me lever le matin, avant.

Je dormais tout le temps jusqu'à la dernière minute, et du coup je ne prenais jamais de petit-déjeuner.

En fait, je le boycottais tous les matins, parce que mes parents m'avaient inscrit de force à des cours particuliers.

... Je suppose que c'était ma période rebelle.

Ma mère s'obstinait à me faire à manger tous les matins et moi je faisais toujours de mon mieux pour ne pas lui gratifier ne serait-ce qu'un regard.

Si je m'avais en face de moi, là, en ce moment, je me mettrais des baffes !

Ma mère regarda l'heure et eut un sourire en coin.

Maman de Keiichi

— Dis, ça va être l'heure de ton rendez-vous avec Rena, non ?

Allez, ouste, dépêche-toi.

Apparemment, ça la faisait délirer de me voir aller à l'école avec une fille à mes côtés.

Rena, c'est une des filles dans ma classe.

Elle est très attentionnée, et elle passe me prendre tous les matins pour aller à l'école.

Personnellement, je suis plutôt gêné par toute cette histoire. Je suis plus un gamin, quoi... Les gens pourraient s'imaginer des trucs en nous voyant.

Mais bon, elle se donne la peine de venir chaque matin et de m'attendre, alors j'y vais et j'essaye de ne pas traîner, c'est quand même la moindre des choses.

... Mais j'y pense, je sais même pas à quelle heure elle vient exactement. Combien de temps elle m'attend au juste, tous les matins ?

J'avalai la dernière gorgée de soupe et sprintai vers l'entrée.

Maman de Keiichi

— Dis-lui merci de ma part pour les légumes saumurés !

Maintenant qu'elle le disait... il m'avait bien semblé qu'ils ne venaient pas du supermarché.

Si j'avais su, j'aurais pris le temps de goûter...

Keiichi

— Pas de prob' !

Rena

— Keiichi !

Salut !

Une voix fraîche et pétillante résonna dans l'air délicieusement doux du matin.

Keiichi

— Toujours en avance, comme d'habitude.

Tu as le droit d'avoir une panne de réveil de temps en temps, tu sais.

Rena

— Oui, mais je ne voudrais pas te faire attendre.

Je vous le disais, elle est dévouée cette fille.

Keiichi

— Qui a dit que je t'attendrais ?

Rena

— C'est pas gentil ça, Keiichi.

Moi je t'attends tous les matins !

Keiichi

— Même pas une minute.

Même pas une seconde !

Rena

— Pourquoi t'es méchant comme ça...

Hein ?

Ça y est, elle a l'air mal à l'aise.

Elle est marrante, son visage trahit la moindre de ses émotions. Elle réagit à chaque chose que je lui dis.

Keiichi

— Mais nan, je rigole. Bien sûr que je t'attendrai.

J'avais à peine prononcé ces mots qu'elle était visiblement moins angoissée.

Et la voilà qui piquait un fard.

Rena

— Oh... je... merci...

Keiichi

— Je t'attendrai, envers et contre tout.

Toute ma vie s'il le faut.

Rena

— Oh, euh...

Tou-

toute ta vie...

Rena était rouge pivoine, et j'imaginais bien la vapeur qui lui sortait de la tête. Je crus qu'elle nous faisait un court-circuit.

Ah, ça, elle adore ce genre de mièvreries.

C'est pour ça que j'aime bien la charrier. C'est pas tous les jours qu'on tombe sur quelqu'un comme elle.

Keiichi

— T'as déjà lu des romans à l'eau de rose ?

Rena

— Euh...

non, non.

Jamais.

Hmm, je vois, je vois. L'envie est là, mais elle est trop timide pour oser en acheter.

Vous me direz, il vaut mieux pas.

Elle tomberait dans les pommes à chaque page...

Keiichi

— Ah oui, au fait. Ma mère te dit merci pour les légumes.

Rena

— Oh, mais de rien.

Ils étaient comment ?

Pas trop salés, j'espère ?

Il me semble que non.

En fait, ils n'étaient même pas piquants.

Mais évidemment, je ne suis pas du genre à avouer benoîtement qu'ils étaient très bons.

Keiichi

— D'abord, dis-moi un truc.

C'est toi qui les as saumurés

ou ta mère ?

Rena

— Hein ?

Pourquoi tu demandes ?

Ils...

ils étaient trop salés, c'est ça ?

Et voilà le travail : elle panique.

Keiichi

— Toi ? Ou ta mère ?

Rena

— Mais pourquoi tu demandes ?... Hein ?

Dis.

Keiichi

— Ah, mais parce que ça change tout !

Rena

— ... Quoi, sérieux ?!

Je la voyais en train de se creuser les méninges et de compter sur ses doigts les doses de sel qu'elle avait versées.

Ce n'est pas que je sois méchant, mais je ne peux pas m'empêcher de la charrier.

Les mecs qui aiment faire ça sont sûrement de sacrés salauds. Haa...

Je suis fier de moi.

Après avoir beaucoup hésité, Rena finit par avouer.

Rena

— ... C'est moi...

Keiichi

— Ils étaient excellents.

Rena

— Pardon ?

Keiichi

— En ce moment, tu les réussis à merveille. Leur saveur passe très bien avec celle du riz.

Un deuxième fard.

Un peu plus cramoisi.

Je vous jure, ça vaut le coup de la charrier.

J'espère qu'elle ne tombera pas sur un sale con plus tard, elle se ferait abuser trop facilement.

Courage, Rena ! Je te promets de te faire le plus de coups bas possibles, comme ça tu seras rôdée.

Ce sera ma mission dans la vie.

Keiichi

— Bon, on ferait mieux d'y aller. Si Mion doit nous attendre, elle va encore en faire tout un plat.

Rena retomba de ses nuages roses, et nous nous mîmes en route vers l'école.

Cette fille un peu bizarre et si ingénue s'appelle Rena Ryûgû.

Je ne la connaissais que depuis un mois à peine, mais j'avais vite compris que c'était une fille peu ordinaire, et pas seulement à cause de son nom.

Rena

— Mii ! Salut !

Quelqu'un attendait au lieu de rendez-vous prévu.

Elle nous remarqua et nous fit de grands signes.

Mion

— Ah, vous voilà vous deux. Vous êtes en retard !

Keiichi

— Pour une fois que t'arrives à l'heure, commence pas !

Elle, c'est Mion Sonozaki.

Elle est une classe au dessus de nous et est un peu la chef de classe.

Par contre, elle est tout le temps très “cool Raoul” et elle a tendance à tout prendre comme ça vient.

Mion

— Salut Rena. Et toi mon p'tit Kei, ça fait un bail qu'on s'est pas vus !

Plusieurs années, au moins...

Keiichi

— Je suis parti que deux jours !

Mion

— Ha ha ha !

Ah bon ?

La dernière fois, tu étais encore si mignon...

Je vis son regard se balader sur mon corps, descendant de mon visage jusqu'à mes pectoraux, puis mes abdos, puis finissant par se fixer sur mes...

mon entrejambe.

Cette partie de mon corps était donc “mignonne”. Eh ben...

Ah, ne vous méprenez pas, hein. Je ne lui ai jamais montré... vous-savez-quoi.

Keiichi

— Ah oui, lui, il a bien changé. Il est plus fier, plus fort.

Tu vas être surprise.

Mion

— J'imagine. Beaucoup plus musclé, et la barbe a poussé, je suppose.

Keiichi

— Et en grande forme tous les matins, avec ça.

Je te montrerai la prochaine fois, tu pourras lui faire la bise par la même occasion.

Mion

— Pourquoi la prochaine fois ?

Il fait tellement bon aujourd'hui, sors-le donc un peu, qu'il puisse en profiter.

Je crois que l'air “pur” du matin en a pris pour son grade, là...

Mion a tendance à parler comme un vieux quand elle se lâche.

Keiichi

— OK, comme tu veux.

Rien que pour tes yeux !

T'avise pas de le regr- !?

Au moment où je posai ma main sur ma braguette, Rena se mit à parler et à gesticuler dans tous les sens, visiblement très gênée.

Rena

— Euh,

dites,

vous parlez de quoi, là ?

Hein, de quoi ? Je vois pas du tout de quoi vous parlez, moi ! Alors arrêtez, maintenant !

Elle fit l'innocente, mais j'étais sûr qu'elle n'avait eu aucun problème pour suivre la conversation.

Mion

— Et alors ?

Comment c'était, la ville ? Raconte !

Mion s'était apparemment décidée à faire repartir la conversation dans une direction plus saine.

Keiichi

— Ben, je suis juste allé à la crémation, quoi. Tout le monde était un peu nerveux.

Mion

— Au fait ! Tu as cherché ?

Tu sais, le truc que je t'ai demandé.

Keiichi

— Dis, tu écoutes quand les gens te parlent ?

Je viens de te dire que je suis juste allé à la crémation !

J'ai pas eu le temps ni l'occasion de faire le tour des magasins de jouets !

Mion

— Tsk tsk tsk.

Une boutique de jeux, c'est pas un magasin de jouet.

En plus, il est presque impossible de trouver ce que je cherche dans le coin.

Rena

— Mii, tu parles des jeux de société ?

Mion répondit à Rena en opinant du chef.

Mion

— Exact ! Je voulais qu'il me dégote un catalogue de JDP, mais tant pis.

— Quand elle dit “JDP”, elle veut parler des jeux de société dits “jeux de plateau”.

Cette abréviation la plaçait illico au rang de geek.

Keiichi

— Bah, tu n'auras qu'à en commander un par correspondance.

Mion

— Ouais, c'est probablement ce que je vais faire.

Je choisirai un jeu dont les parties seront endiablées !

Rena

— ... J'espère que cette fois-ci, les règles seront pas trop compliquées.

Mion était une grosse fan de jeux de cartes et de jeux de société, et il paraissait qu'elle possèdait une sacrée collection.

D'après ce que m'en avait raconté Rena, sa chambre ressemblait à un musée du jeu de société, avec des exemplaires venant du monde entier.

Keiichi

— Si t'en as un pas trop dur à comprendre, j'aimerais bien essayer une fois, pour voir.

Mion

— Ah ouais ? OK ! Enfin bon, si t'y tiens, hein.

Je te préviens, on est toutes assez balèzes !

Keiichi

— Ben j'espère bien.

Je suis pas un petit joueur non plus, je vais vous mettre une pile, moi !

Rena

— Super !

Alors, ça veut dire qu'il fera partie de notre groupe ?

Hein ?

Rena nous regardait tour à tour, apparemment toute contente et surexcitée.

Mion lui fit un des clins d'œil dont elle avait le secret pour lui confirmer la bonne nouvelle.

Mion

— Comme tu es un garçon, je pensais que tu préfèrerais jouer dehors... J'avais peur que ça ne t'intéresse pas.

Rena fut alors tout sourire.

À nous voir comme ça, on pourrait croire que nous sommes les meilleurs amis du monde, mais en fait, ça ne fait même pas un mois que je vis ici.

Je sentais bien qu'elles faisaient beaucoup d'efforts pour que je puisse me faire des amis rapidement.

Je pense que je vais y mettre du mien aussi de mon côté. Dans ce genre de situations, il vaut presque mieux être sans-gêne.

Je décidai sur-le-champ de ne plus jamais me montrer timide.

Hinamizawa était un tout petit village, donc l'école ne comptait en fait qu'une seule classe.

Évidemment, on y trouvait des enfants de tous âges.

Nous étions en tout une trentaine d'enfants à nous partager l'unique salle de classe de l'école.

Il paraissait qu'autrefois, le bâtiment avait été plus grand et qu'il y avait eu effectivement plusieurs classes.

Et puis un jour l'une ou l'autre maîtresse avait décidé de rassembler tous les élèves dans une seule classe, et depuis c'était resté comme ça.

Au début, j'avais été complètement désorienté, mais la nature humaine est bien faite : je m'y suis fait illico.

Du matin au soir, on y entendait les cris des enfants qui jouaient et couraient dans tous les sens.

En fait, c'était plus une maternelle qu'une école, mais bon, je trouvais ça assez sympa comme ambiance finalement.

Soudain, Mion, qui était restée devant nous pendant tout le chemin, me laissa passer devant.

Nous nous trouvions juste devant la porte de la classe.

Alors comme ça, ce serait à moi d'ouvrir la porte et d'entrer le premier ?

Heh.

Non, ma grande, ça ne marchera pas deux fois.

Keiichi

— Oh, tu me laisses passer ?

Comme c'est gentil... Tu veux voir comment je me débrouille aujourd'hui ?

Mion eut un petit sourire sadique.

Rena

— Eh ben alors, vous deux ? Qu'est-ce qui se passe ?

Keiichi

— Reste derrière, Rena. C'est dangereux...

Elle est là !

Rena

Hein ?

Tu veux dire... Satoko aurait...

L'ennemi public n°1 dans cette école s'appelle Satoko Hôjô.

C'est une gamine, une vraie sale peste effrontée comme tout.

Elle parle sur un ton horripilant, mais si je m'énervais pour si peu, les gens me prendraient pour encore plus gamin qu'elle.

Non, le vrai problème... est ailleurs.

Keiichi

— Le piège est visible à 100m. L'effaceur du tableau est placé en équilibre sur le rebord de la porte coulissante.

Trop facile, Satoko !

Des rires étouffés nous parvenaient à travers la porte.

Mion

— Bien, mon p'tit Kei ! Aujourd'hui, c'est toi qui gagne.

Keiichi

— Penses-tu... Tu connais Satoko.

Il y a sûrement d'autres pièges...

Je me suis pris un combo le premier jour, alors depuis, je me méfie.

Elle combine des tas de pièges différents, avec certains leurres qui vous poussent dans d'autres pièges, ou des pièges qui en déclenchent plusieurs autres.

Le pire, c'est qu'elle ne les tend pas tous les jours.

On se dit que c'est fini, on oublie l'incident... et pan ! dans les dents.

Il faut rester constamment sur ses gardes.

Keiichi

— L'effaceur m'a l'air normal.

Elle ne l'a pas lesté.

Le premier jour, elle avait mis une grosse pavasse dedans. Je peux vous dire que ça m'a fait tout drôle quand je l'ai pris sur la tête.

Rena

— Ben alors, il suffit de rester un peu en retrait et d'ouvrir grand la porte ? L'effaceur tombe et on n'en parle plus...

Keiichi

— Bingo !

C'est exactement le but recherché.

Satoko veut attirer mon regard vers le haut avant que je fasse coulisser la porte.

Je jetai un œil à la poignée : quelqu'un y avait fixé des punaises avec du ruban adhésif transparent.

Le genre de truc qui fait bien mal aux doigts.

Ceci explique pourquoi l'effaceur était placé bien en évidence...

Keiichi

— Bien vu, Satoko !

Mais tu es encore jeune, et tes pièges s'en ressentent.

Sûr de ma victoire, je fis coulisser la porte et entrai en classe.

Je sentis quelque chose à la cheville.

Ça ressemblait à une corde à sauter ou à quelque chose dans le genre.

Il était trop tard pour éviter quoi que ce soit... Je me suis fait avoir !

Et me voilà en train de m'étaler...

Mion

— Fais gaffe, Kei !

Instinctivement, je guidai ma chute sur le côté. Merci, Mion...

Keiichi

— Aïeuh, je me suis fait m... Qu'est-ce que...?

Là où j'aurais dû tomber se trouvait un écritoire plein d'encre de Chine !

Je frissonnai en pensant à l'état dans lequel je serais si je m'étais pris tous ces pièges à la suite.

Satoko

— Eh bien, eh bien, qu'avons-nous là ?

Bien le bonjour à vous, mon cher Keiichi ! Quelle vitalité, quelle agitation de si bon matin !

Une voix moqueuse m'accueillit, se délectant du spectacle de ma demise.

Keiichi

— Eh ben alors Satoko, tu m'as sorti le grand jeu cette fois !

Satoko

— Excusez-moi mon cher, mais je ne vois pas du tout de quoi vous voulez parler.

Votre infortune matinale me chagrine tout autant que vous.

Keiichi

— Attends un peu, toi ...

...

...

...aïe...

Je me suis apparemment fait mal à la hanche en tombant.

Vous me direz, c'est toujours mieux que de tomber sur de l'encre de Chine.

Je sentis alors une petite main me caresser la tête.

Rika

— C'est rien, c'est rien, ça fait plus mal.

Elle continua à me réconforter.

Rika

— Tu t'es cogné la hanche ?

Quand tu masses comme ça, ça passe, tu verras. Ça marche sur tous les petits bobos.

En même temps, c'est pas en massant la tête que la douleur des hanches va partir, mais bon, j'ai préféré garder mes commentaires méchants pour moi.

Dans ces cas-là, ce n'est pas tant le geste que l'intention qui compte.

Keiichi

— Oh... Hé, merci. Ça va un peu mieux.

Rena

— Ooh... Salut Rika !

Rika

— Bonjour, Rena.

Bonjour vous autres.

Rika nous saluait à force de petites courbettes toutes mignonnes.

Mion et moi en fîmes autant.

Keiichi

— Rika, tu es une gentille petite fille...

Par contre, Satoko, alors toi !

Satoko se mit à siffler d'un air innocent, évitant mon regard haineux.

Satoko

— Oh, mais je suis tout aussi gentille.

Keiichi

— Non ! Les VRAIES gentilles petites filles ne tendent pas de pièges !

Satoko

— Je ne vous permets pas !

Vous n'avez aucune preu- mais !

Ooh !

Je la chopai par le colback et la soulevai,

comme on attrape un chat que l'on veut gronder.

Sauf qu'un chat ça n'installe pas de pièges !

C'est clair, un chat poserait nettement moins de problèmes !

Keiichi

— Et maintenant, répète après moi :

Je te demande pardon.

Sinon...!

Je serrai le poing et le plaçai juste devant sa figure, menaçant.

Satoko

— Voyons, voyons, la violence n'est pas une solution !

De plus, vous n'avez pas de preuves !

Keiichi

— Je te préviens Satoko, si je te mets une chouquette, tu vas avoir très mal !

Je peux casser des lattes de laminé avec !

Satoko

— Nooon !!!

Ne m'approchez pas, espèce d'animal !

Keiichi

— Hé mais t'es pas bien ? Les gens vont s'imaginer autre chose !

Soudain, une petite main tira sur ma manche.

Rika

— Il faut la comprendre... Tu lui as manqué ces derniers jours.

... J'vous jure...

Comment voulez-vous rester aigri après ça ?

Satoko avait les yeux fermés, les paupières serrées. Elle avait rentré les épaules, ne sachant pas quand le coup allait partir. Las, je la relâchai.

Satoko

— Sniff... BouOUhaaaAAAAA !

Même pas eu peur !

WaaaAAAAaaaaaa !

Rika

— Allons, allons, Satoko, ne pleure plus.

Courage !

Te laisse pas abattre.

Je regardai Rika caresser gentiment la tête de sa meilleure amie.

Ça paraît fou, mais elles ont le même âge. On ne dirait vraiment pas...

Satoko aurait des milliers de choses à apprendre d'elle.

Rika

— La prochaine fois, pose des pièges beaucoup plus vicieux.

De- QUOI ???

Rena regardait la scène, le regard fixe, comme en transe.

Rena

— Ooh... Regarde Satoko, elle pleure...

Elle est trop mimiiii...

Mion

— Mais n'oublie pas : t'as pas le droit de l'emmener chez toi.

Rena

— Hein ?

Oh non ! Mais... mais enfin, tu as vu comme elle est chou ?

Mion

— Même si elle est chou ! J'veux pas l'savoir.

Rena

— Ooh, allez, quoi ! Juste un peu ! Un tout p'tit peu !

S'il te plaît ?

Rena, fascinée, ne semblait pas pouvoir détourner le regard des yeux enlarmés de Satoko.

Si j'en crois Mion, Rena a un faible pour tout ce qu'elle trouve mignon.

Dès qu'elle voit quelque chose qui lui plaît, elle veut le ramener chez elle, que ce soit un objet... ou une personne !

Keiichi

— Déjà que voler quelque chose, c'est limite, alors enlever quelqu'un, j'te raconte pas...

Oublie.

Rena

— Promis, je la toucherai pas. Je la regarde juste !

Allez ! Je peux ?

Mine de rien, Rena était en train de dire des choses terribles...

Si jamais un jour il y a une affaire d'enlèvement de petite fille à Hinamizawa, je crois que je devrai dénoncer Rena à la police.

Pardonne-moi, Rena.

Je t'apporterai des oranges...

Mion

— La maîtresse arrive.

Allez, on range tout !

Satoko, c'est ton écritoire, non ?

D'un seul coup, tout le monde redevint normal.

Vite, il faut virer les punaises sur la porte !

J'enlevai le tout en faisant bien attention à ne pas me blesser.

Même si c'est Satoko qui installait tous les pièges, nous l'aidions tous à ranger.

Lorsque la maîtresse entra dans la classe, plus rien ne laissait transpirer de ce qu'il s'y était passé.

Mion

— Pfiou, juste à temps !

Mion

— Levez-vous ! Garde-à-vous !

Mion, notre déléguée de classe, prit son poste et ses fonctions.

Une nouvelle journée de classe commençait...

La maîtresse avait bien du mal à gérer une classe aussi hétéroclite.

En fait, chaque élève devait suivre un programme différent. Du coup, elle se retrouvait plus ou moins forcée de s'occuper des plus petits.

Mion et Rena, les plus grandes, devaient se débrouiller seules la plupart du temps.

En fait, c'était même pire. Elles aidaient la maîtresse à expliquer les leçons aux plus jeunes, donc elles n'avaient même pas le temps de s'occuper de leurs propres leçons.

À dire vrai, elles étaient tellement en retard dans leurs études qu'il a fallu que je leur donne un coup de main.

Il a donc fallu que je joue au prof d'école.

Rena

— Tu es doué pour enseigner, Keiichi.

On comprend facilement avec toi.

Rena finit de cocher les cases restantes et fit une pause.

Keiichi

— Crois-moi, c'est pas rassurant.

En tant que prof, on remarque exactement le peu qu'on sait, mais surtout tout ce qu'on ne sait pas.

Mion

— Tu connais le dicton, “pour enseigner quelque chose, il faut en savoir le triple”.

C'est bien que tu nous aides en cours, ça te fait bosser par la même occasion.

En voila une, par contre, qui est bien relax.

Quand je pense qu'elle est une classe au-dessus de moi !

Keiichi

— Dis Mion, il serait temps que tu t'inquiètes, tu sais.

Mets-toi sérieusement au boulot, parce que...

c'est pas avec ton niveau que...

Mion

— Mouais bof, c'est pas comme si je voulais entrer dans une grande école.

Je veux juste réussir l'examen d'entrée de base.

C'est clair, elle a le moral.

En plus, elle prend cette optique bien avant les examens c'est pas du tout la même chose que les gros mythomanes qui veulent donner le change alors qu'ils se font dans le froc à l'approche de la date fatidique.

Rena

— Mii, on devrait vraiment faire un effort.

Keiichi se donne beaucoup de mal pour nous donner des cours !

Keiichi

— Tu es une bonne élève, Rena.

Je te ferai entrer dans une bonne école...

Rena

— Oh...

Euh... Merci...

Keiichi

— Je t'apprendrai des tas de choses...

Je te donnerai des cours particuliers, il n'y aura que toi et moi...

Rena

— Des cou-

cours particuliers ju-

juste nous deux...?

On entendit un “plop”

et un cercle de fumée s'éleva de sa tête.

Je me demande bien à quel genre de cours particuliers elle pense pour devenir rouge tomate comme ça.

La prochaine fois, elle devrait décrire tout haut ce qui lui passe par la tête, ce serait sûrement très instructif.

Mion tournait rapidement les pages de la liste de vocabulaire.

Mion

— Dis voir, les jeunes de la ville sont-ils vraiment obligés de savoir tout ça ?

Keiichi

— C'est le minimum pour passer, ouais.

Mion

— Et donc ils apprennent tout ça juste pour passer ?

Keiichi

— Hmmm.

En quelque sorte, oui.

Même si on sait que ça ne nous servira à rien plus tard.

Mion

— Par chez nous, il suffit de ne pas avoir été absent trop souvent pour passer.

Keiichi

— ... Sérieux !?

La nouvelle me laissait sous le choc. J'avais toujours associé le fait de réussir l'année scolaire avec celui de réussir mes examens, et donc de bosser mes leçons comme un fou. Pour moi, c'était aussi naturel que les lois de la gravité.

Mion

— C'est bien possible, en effet.

Et puis de toute façon, il y a tellement peu d'élèves qu'on n'a pas vraiment besoin de faire une sélection.

Mion

— Puisque de toute façon on est sûr de passer, à quoi bon bachotter comme des malades ?

Keiichi

— Oui... oui, mais enfin bon... un minimum, quand même, quoi...

Mion

— Au lieu de perdre son temps à étudier, mon p'tit gars,

je pense qu'il vaudrait mieux mettre à profit la puberté pour apprendre des choses plus intéressantes, si tu vois ce que j'veux dire.

J'aurais bien éclaté de rire, mais ce qu'elle disait était tellement vrai...

Même si je doutais fort que Mion y eût réfléchi sérieusement avant de parler.

Le bruit de la clochette du principal nous indiqua la fin du cours.

Mion

— Allez hop, Kei, range tout ça !

C'est l'heure de manger !

D'un seul coup, Mion changea du tout au tout. Elle fit saluer la classe.

Rena

— ... Keiichi ? On mange ? Allez !

Je réfléchissais encore à ce que Mion venait de dire. Peut-être que, pensif, j'avais l'air trop sérieux ?

Toujours est-il que Rena fut d'abord hésitante avant de me faire un sourire éclatant.

Keiichi

— OK !

Allez hop, à la soupe !

Apparemment, cette classe ne dérogeait pas à la règle : les élèves avaient formé leurs groupes bien à eux.

La plupart étaient homogènes -- les garçons avec les garçons, les filles avec les filles, le tout bien sûr séparé par tranche d'âge. Tous sauf le nôtre, en fait.

Il y avait de tout dans notre groupe.

Ce qui ne voulait pas dire que nous fussions moins proches ou plus réservés.

Comme j'étais le nouveau de l'école, j'étais bien content d'avoir trouvé un groupe d'élèves pas trop coincés ni trop timides.

Rena et Mion collèrent leur table l'une en face de l'autre.

Puis Satoko et Rika apportèrent la leur, tant bien que mal.

Rena

— Allez Keiichi, vite, vite !

Rena me fit signe de me dépêcher, les baguettes déjà en main. Ça n'est pas très poli, ça !

Par contre, personne ne semblait vouloir commencer à manger tant que nous n'étions pas tous assis à table.

Satoko

— Voyons, mon cher Keiichi, ne soyez pas embarrassé ! Nous nous doutons fort bien que, n'ayant pas les moyens, votre repas de midi consistera en de misérables sandwiches.

Satoko

Mais ce n'est pas une raison pour traîner le pas, pressez-vous !

Même Satoko, qui pourtant se voulait vexante, m'attendait avant de toucher à son panier-repas.

Je sortis le mien à la vitesse de l'éclair et amenai ma chaise pour me joindre à elles.

Keiichi

— Ça y est, j'suis là. Désolé pour le retard !

Rika

— Déléguée, nous attendons vos ordres.

J'étais un peu gêné les premières fois, mais ça m'est vite passé.

Je pense que moi non plus, je ne commencerais pas à manger s'il manquait quelqu'un.

Nous étions tous très différents,

et pourtant très proches.

Keiichi et cie

— Bon appétit !

Nos cinq voix résonnèrent à l'unisson.

J'étais surpris de m'être habitué à rester dans un groupe de filles.

Oh, bien sûr, il y avait d'autres garçons, mais ils étaient tous beaucoup plus jeunes que moi et n'osaient pas m'approcher.

Bah oui, que voulez-vous.

Les garçons ont toujours peur des plus âgés qu'eux.

Par contre, les filles ne font pas ce genre de discriminations.

Tout ce qui se mangeait était mis en commun au milieu des tables, et chacun piochait comme il voulait.

Je croyais que les filles étaient super susceptibles sur ce genre de truc, alors au début je devais me forcer à prendre chez les autres, mais Mion l'a vite compris et elle s'est bien foutue de moi à cause de ça.

Je me suis entraîné (si l'on peut dire...) et maintenant je pouvais taper dans les paniers-repas chez à peu près tout le monde sans vergogne.

Satoko

— Mais que vois-je, mon cher Keiichi, vous vous êtes surpassé aujourd'hui !

Keiichi

— Vous m'ôtez les mots de la bouche, ma chère Satoko.

Je voulais justement faire remarquer à quel point vos légumes ont l'air délicieux !

J'imitai sa manière de parler, lui rendant mot pour mot. Nos bras se croisaient, chacun tentant d'atteindre le repas de l'autre.

Satoko

— Mais quelle surprise ! C'est même bon !

Keiichi

— Eh, mais la salade de patates est pas mal du tout !

Les légumes se laissent manger, même froids...

En voyant la sincérité sur mon visage, Rika eut un sourire fier.

Rika

— ...En fait, ce sont des restes d'hier soir.

Ah oui, une precision : Rika et Satoko ont toujours le même panier-repas.

Apparemment, Rika en prépare un pour Satoko en plus du sien.

Keiichi

— Quoi, c'est toi qui as cuisiné ça, Rika ?

C'est presque aussi bon que ceux que fait ma mère !

Sérieux, je suis admiratif. Ce n'est pas qu'une question de papilles gustatives, en plus.

Prenons les carottes par exemple : elles sont taillées en forme de fleur, mais Rika fait ça non pas avec un emporte-pièces, mais au couteau.

Et c'est pas facile à faire du tout !

Mion

— On dirait pas comme ça, mais t'es vachement douée pour ce genre de choses.

Rena

— Elle sait aussi déjà coudre, et même faire la lessive.

C'est fou,

non ?

Satoko

— Rika est une personne extraordinaire sous bien des plans.

Ha ha ha ha !

Keiichi

— Et alors, t'as pas besoin de t'la péter !

Rika

— ... Rena cuisine bien mieux que moi.

Rena

— Ah, euh...

Oui, mais bon...

c'est pas la même chose !

Prise au dépourvu, rougissant, Rena ne savait plus quoi dire.

C'est vrai que son panier-repas était toujours le meilleur.

Il était non seulement agréable à l'œil, mais aussi au goût !

Nous essayions toujours de piocher le plus souvent chez elle.

Rena

— La dernière fois, vous l'aviez beaucoup apprécié, alors aujourd'hui j'en ai fait un peu plus.

Et alors ?

Ça va, l'assaisonnement ?

Keiichi

— Ah oui, c'est rudement bon !

Eh, Mion, laisses-en pour les autres !

Je poussai les baguettes de Mion à l'écart tout en essayant de me servir un morceau. Malheureusement, Satoko et Rika firent la même chose exactement au même instant, et le résultat fut assez, disons, spectaculaire.

Mine de rien, à force de vouloir goûter et faire des compliments, nous avions vidé le repas de Rena.

Le plus inquiétant dans l'histoire, c'était qu'il ne nous fût même pas venu à l'esprit de lui en laisser pour elle.

Et pourtant, Rena avait l'air de s'en réjouir.

Satoko

— Et alors mon cher, qu'avez-vous à répondre à cela ? Rena est une excellente cuisinière !

Ce dont on ne peut résolument pas dire de vous, par ailleurs.

Keiichi

— Mais pourquoi est-ce-que c'est toi qui t'la pètes ??

Mion

— C'est vrai, ça, Satoko, tu es un peu dans le même bateau, tu sais.

À moins que tu n'aies enfin appris à différencier les brocolis et les choux-fleurs ?

En un instant, Satoko devint très pale.

Keiichi

— Eh, déconne pas, même moi je sais faire la différence.

Satoko

— Mais bien sûr que je le peux !...

Je la sais, vraiment, hein !...

Elle ne sait vraiment pas mentir...

Rena

— Keiichi, ce n'est pas si important. L'un comme l'autre peuvent être bouillis et sont très bons avec un peu de mayonnaise.

Arrête de l'embêter !

Toi aussi, Mii !

Rena tenta le coup, mais rien à faire : Mion avançait vers Satoko avec un sourire de requin.

Mion

— Bah, ça lui fera réviser son cours d'art ménager.

Alors, alors, Satoko,

c'est quoi ça ?

Mion tenait entre ses baguettes un morceau de légume vert entouré de bacon.

Rika

— Eh, mais c'est de l'aspMmrMRR !

Je croisai le regard de Mion, et en un éclair, j'empêchai Rika de parler.

Mion était vraiment vicieuse, quand même. Satoko avait maintenant le choix entre deux mauvaises réponses...

Satoko

— Eh bien, euh...

Hmm...

Le chou-fleur est jaune, non, vert...

Mion

— Alors, c'est quoi ?

Satoko

— Le jaune c'est du brocoli et le cyan c'est du chou-fleur, et...

et alors le vert c'est...

c'est du...

euh...

Mion

— T'es sûre que tu sais les reconnaître ? Tu veux pas plutôt donner ta langue au chat ?

En tout cas, elle est douée, la déléguée.

C'est la plus âgée d'entre nous,

elle sait cuisiner quelqu'un comme personne !

Je suis sûr que ça doit pas être facile d'épouser une Sonozaki...

Satoko

— Mais je le sais !

Mais je le sais !

Mion

— Alors donne-moi la réponse !

Satoko

— ...Je sais... Je sais...

...

j-je bhmMMwaaAaAAaa !

Ah, ça y est, elle chiale.

Mais au moins, là, elle fait son âge.

Rena

— Oh...

Oh... elle est mimi...

En tout cas, il y en avait une qui adorait le spectacle.

Rena serra Satoko fort contre sa poitrine, lui caressant la tête tout en se frottant à elle joue contre joue. Ça avait l'air de beaucoup lui plaire.

Non, vraiment... Son visage respirait le bonheur.

Elle avait le visage de celui qui a atteint l'illumination, de celui qui attend la mort avec sérénité.

Satoko

— Rena, Rena !

Mii est méchante avec moiaaa !

HhbmwaAAAAaaaAAaa !

Rena

— Oh, je peux pas, t'es trop mimii !

Ne t'inquiète pas, je vais aller punir les méchants !

Vlan, vlan !

Il y eut soudain une explosion de son et de lumière.

Keiichi

— Que...

qu'est-ce qu'il s'est passé ?

C'était quoi, ça ?

Rena nous avait frappés Mion et moi au visage, ses coups de poings dépassant le mur du son.

Lorsque je compris enfin où j'étais, Mion et moi étions allongés par terre, les yeux pochés par d'énormes bleus.

Mion

— C'est la première fois que tu prends cette attaque dans les dents ?

Et encore,

aujourd'hui elle est pas en forme...

Keiichi

— Nan, t'es pas sérieuse, là ? Il y a encore pire ?

C'en était trop : nous restâmes tous deux cloués au sol.

Note pour plus tard : ne jamais rester à portée d'attaque de Rena.

Rena

— C'est fini, Satoko, j'ai tapé les méchants.

Oh, j'en peux plus !

Je t'emmène chez moi !

Satoko se débrouilla pour nous tirer la langue sans que Rena ne pût s'en apercevoir.

Rogntudjuu ! Tu vas voir, toi...

Pendant ce temps, Rika, silencieuse, massait les bleus sur nos visages...

Même le détour le plus long paraît très court lorsque l'on rentre de l'école.

Le soleil couchant allongeait nos trois ombres.

Rena

— Au fait Keiichi, tu fais quelque chose de spécial demain ?

Ou pas ?

Keiichi

— Hein ?

Complètement pris de court par cette approche si directe -- surtout venant de Rena ! -- je me mis à rougir.

J'ai toujours cru qu'on s'y prenait plus discrètement pour filer un rencard à quelqu'un !

Remarquant mon silence et ma gêne, Rena réalisa soudain de quelle manière j'avais compris sa question, et se mit à rougir à son tour.

Rena

— Oh... Euh... je... Je voulais dire... Euh... Pas dans le sens-là, hein !

Ah. Il fallait la prendre au mot, alors ? Aucun sens caché ou profond dans sa requête ? Hmmm.

Je décidai quand même de la charrier, juste pour le fun.

Keiichi

— Oh... C'est pas... c'est pas ça, alors... haa... je vois...

Rena

— Hein ? De... Hein ???

Je pris l'air le plus déçu du monde, tournant le dos et baissant les épaules le plus possible.

Rena

— Euh, Keiichi, pourquoi t'es déçu ? Ça veut dire que...

que...!

Mii ! Mii, t'as vu ?

Mion

— NNN ! MMBHM !

Aaa HA ha ha ha HA HA HA ha ha ha !

Mion explosa de rire, me tapant de grands coups dans le dos avec le plat de la main.

Mion

— Eh ben mon p'tit gars, sacrée technique de drague ! Je la connaissais pas celle-là !

HA ha ha ha ha !

Rena

— Hein ? Quoi ? Mais... Hein ? Eh ! Mais ? Mais quoi alors ??

Mion se tenait les côtes, tordue de rire. Rena avait apparemment du mal à comprendre ce qu'il se passait.

Je me mis à rire à mon tour, puis, m'approchant de Rena, je lui ébouriffai les cheveux.

Keiichi

— Naan, je déconne, c'est une blague. Pardon.

Elle est vraiment adorable.

Rena

— Hein ? Comment ça, une blague ? Depuis où ? Depuis quand ?

Keiichi

— Depuis... euh... un peu plus tôt, avant.

Mion

— Ah bon ? Pas depuis le début ?

Et donc, ce n'était pas du chiqué quand tu es devenu tout rouge tout à l'heure ?

Rena

— Ah ! Mais alors, ça veut dire que...?

Pendant un court instant, je ne sus plus quoi dire. Et évidemment, Mion en a profité...

Keiichi

— Naan, j'veux dire, euh...

C'est pas bon, ça... Je suis en train de m'enfoncer, là.

Mion ne lâcha pas le morceau.

Elle m'en fit voir de toutes les couleurs après ça...

Keiichi

— Et donc Rena, qu'est-ce que tu comptes faire demain si je suis là ?

Rena

— Euh... de quoi tu parles ?

J'y crois pas, elle a oublié de quoi elle voulait me parler ? Mion a dû me charrier pendant un sacré moment...

Mion

— Entre nous, Kei, je parie que tu n'as pas encore pris tes repères dans Hinamizawa. J'me trompe ?

Non, elle avait tout à fait raison.

Si on m'avait bandé les yeux et fait tourner sur moi-même quelques tours, j'aurais été incapable de reconnaître les lieux.

Keiichi

— Pas vraiment. Je connais le chemin pour aller en ville et celui pour aller à l'école, mais le reste, aucune idée.

Rena

— Ouais, c'est ce qu'on se disait, alors si tu veux, demain, on pourrait faire une balade ensemble et on te montrerait un peu le village, qu'est-ce que t'en dis ?

Honnêtement, j'ai trouvé que c'était une super idée.

Mion

— Alors, ça marche, non ?

Keiichi

— Si j'ai le temps, ouais. Je verrai.

Mion

— Allez, là, on est deux superbes créatures à t'inviter ?

Keiichi

— Mais ouais, je viendrai, si j'ai rien d'autre de prévu, quoi.

Mion

— Bon, eh, d'toutes façons, t'as rien d'autre à foutre, non ?

Keiichi

— J'ai dit si j'ai le temps, OK ?

Par principe, je ne voulais pas lui donner de réponse définitive.

J'aurais bien accueilli leur proposition à bras ouverts, mais bon, on a chacun sa fierté, hein.

Rena

— Tu as... t'as d'autres plans pour demain ?

C'est ça ?

Rena avait l'air très déçue.

Je décidai de la jouer franc dès le départ, pour me faire pardonner mon comportement odieux juste avant.

Keiichi

— Mais naan, excuse-moi, je...

J'ai rien de prévu.

Rena

— Super !

Elle sourit alors jusqu'aux oreilles. Ça faisait plaisir à voir.

Mion

— Eh ben alors, ça veut dire quoi, ça ?

Suis-je la seule à remarquer une légère discrimination dans la manière de nous traiter toutes les deux ?

Apparemment, Mion n'avait pas apprécié ma franchise avec Rena, surtout après la scène que je lui avais faite.

Sauf que, pas de chance, moi, je trouvais ça assez rigolo.

Poussant Rena dans le dos, je pressai le pas et fis mine de vouloir laisser Mion en plan.

Keiichi

— D'accord, Rena.

Demain, on ira se balader juste toi et moi. On n'aura qu'à laisser Mion toute seule dans son coin et partir sans elle.

Rena

— Hein ?

Je...

Enfin, si tu y tiens, je... Je veux bien.

Mion

— Non mais oh, c'est moi qui ai eu l'idée de lui faire visiter le village quand même!

Hé ! Keiichi Maebara, je te parle !

Keiichi

— Ce sera un joli pique-nique, juste nous deux ! On pourrait ramener à manger...

Rena

— Oui, pourquoi pas...

Je pourrais...

préparer un ou deux trucs.

Peut être !

Mion

— Hé, vous deux, je vous préviens, si vous continuez à faire comme si j'étais pas là, j'irai raconter à tout le monde que je vous ai vus entrer dans un Love Hotel en v-

Rena

— Bon, ben... Je crois que je vais rentrer et que je vais cuisiner un petit quelque chose pour demain !

Allez, salut vous deux ! J'ai hâte qu'on soit demain...

Rena partit en courant, sautillant comme un cosmonaute sur la lune.

Lorsque le nuage de poussière se fut dissipé, il ne restait que moi et Mion, allongée de tout son long, un œil au beurre noir.

Keiichi

— Euh... Ça va ?

Il me semblait pourtant que t'étais bien 2m derrière elle ?

Mion

— Écoute, mon garçon, depuis que tu es là, c'est de pire en pire...

Je vais plus tenir très longtemps à ce rythme-là...

En même temps, si tu fermais ton clapet parfois...

Mais peut-être que c'était fait exprès, pour faire de l'humour ?

Si c'est le cas, elle en avait dans le pantalon...

Keiichi

— Mion, relève-toi, tu ne peux pas déjà abandonner ! Il n'y a que toi qui puisses discerner le mouvement de ses coups de poings !

Mion

— Tu sais, je me demande si ce ne sont pas des coups de genoux, en fait...

Est-ce que par hasard nous passions nos journées autour d'une championne hors-pair des sports de combat ?

Peut-être qu'elle ferait bientôt ses débuts dans le milieu des sports extrêmes...

Keiichi

— Mais enfin, tu ne peux pas rester sur une défaite ! Entraîne-toi ! Il faut que tu prennes ta revanche !

Mion

— T'as- t'as qu'à t'entraîner toi...

... Je t'aiderai dans ton combat si tu veux,

enfin, moralement hein...

Ce soir-là, nous nous jurâmes d'étudier les coups spéciaux de Rena...