... Tiens ? Qu'est-ce que tu fais ?
C'est bien rare de te voir commencer quelque chose par toi-même.
Je croyais que tu ne savais rien faire d'autre qu'écouter et acquiescer de temps en temps à mes questions.
Je n'avais pas remarqué que tu avais développé une forme d'intelligence propre.
... Je suis bien contente, du coup.
Ça me fait une petite sœur à moi aussi.
Ou un petit frère ?
Jadis, j'étais une entité vide et creuse, comme toi.
Et puis un jour, j'ai fini par développer une conscience de moi-même.
Et puis j'ai pu penser.
Et un beau jour, j'ai pris forme en ce monde.
Je ne suis donc pas spécialement surprise de te voir prendre conscience de toi.
Eh bien alors, bonjour et bienvenue dans ce monde fermé, étroit et infini,
sœurette.
Enfin, tu es peut-être mon frère, mais je ne sais pas si tu es l'un ou l'autre, alors pour l'instant, je vais choisir comme je l'entends. Tu seras donc ma sœur.
Nous sommes ici dans un monde sans fin, éternel, et sans réelles frontières.
Mais ça ne veut pas dire qu'il s'étend à perte de vue.
Hmmm, comment le décrire...
Ah, je sais. Imagine un anneau en bordure d'un cercle d'un diamètre assez petit.
Vu que nous tournons en rond dans l'anneau, comme une boucle, le monde est infini et éternel.
Mais ça ne veut pas dire qu'il s'étend en long et en large sans connaître de limite.
Si tu veux, c'est un peu un monde à jamais refermé sur lui-même.
Normalement, le futur part dans tous les sens, constitué d'une infinité de choix successifs liés les uns aux autres, mais...
Je ne sais pas pourquoi, dans notre monde, tous nos choix se heurtent très rapidement au mur infranchissable de la Mort.
Comment t'expliquer. Nous sommes un peu dans une sorte de labyrinthe du Destin.
À force de tourner toujours en rond, encore et encore, et de passer tout le temps par les mêmes endroits, ça devient de plus en plus dur à supporter, et tu finis par devenir un peu comme moi.
... Et si cela continue encore, tu verras qu'un jour, tu auras toi aussi une petite sœur. Peut-être même que ce monde finira par être plein à craquer avec toutes nos petites sœurs.
Et lorsque nous aurons créé des colonies entières ici,
et que nous aurons définitivement perdu tout intérêt à chercher la sortie du dédale, alors peut-être que réellement, nous autres Rika Furude, nous finirons par disparaître.
... Rika semble encore avoir des regrets et des remords qui l'attachent au monde labyrinthique.
Mais moi, cela fait bien longtemps que je ne m'y intéresse plus.
C'est d'ailleurs pour ça aussi que je suis bien contente que tu sois née, je vais avoir quelqu'un à qui parler.
Et donc, revenons à nos moutons : que fais-tu donc, depuis tout à l'heure ?
Aah, tu empiles les cubes de souvenirs ?
Il n'y en a plus que 5 ou 6 qui traînent, mais...
je suppose qu'il y a de quoi s'amuser avec, c'est vrai.
Tu sais, avant, il y en avait des tas et des tas.
... Et puis, petit à petit, ils ont fini par disparaître dans les ténèbres de l'oubli.
Je crois que ce sont les seuls qu'il reste, en tout cas les seuls à être encore aussi visibles.
Ahaha, non, ce n'est pas comme ça qu'il faut s'en servir, attends.
Regarde.
Voilà, c'est comme ça que ça marche. Et maintenant, porte-le en l'air et regarde par là.
Et tu vois,
chacun des cubes et des fragments que tu vois là représente une facette ou même carrément toute une vie de Rika Furude, sa vie quotidienne
et puis sa mort.
Celui-là, c'est...
Oooh !
Ça fait si longtemps, c'est comment déjà ?
C'est l'histoire du monde dans lequel Keiichi devient prisonnier de son esprit.
Je les considère un peu tous comme des livres, et je leur donne des noms. Celui-là, je l'ai appelé “Enlevés par les démons”.
Tu te souviens un peu de quelle histoire ça raconte, dans ce monde-là ?
... Exact.
Bon alors, j'ai pas besoin de te faire un dessin, du coup.
Dans le monde dépeint dans “Enlevés par les démons”, Keiichi Maebara succombe après que son esprit a été rendu fou par les forces obscures.
Aveuglé par la peur, il n'a pas su écouter ses amis ; c'est une histoire très triste dans laquelle il finira par tuer ses amis sans se rendre compte de leurs intentions.
Et puis après sa mort, nous aussi, nous nous faisons tuer.
Sans qu'il n'y ait réellement d'incidence entre son histoire et la nôtre.
Ce fragment-là, je l'ai appelé “La purification du coton”.
C'est Shion Sonozaki que tu vois enfermée là-dedans.
Obnubilée par la revanche, voulant venger la mort du garçon qu'elle aimait, elle finit par tuer un grand nombre d'innocents.
Rika fait d'ailleurs beaucoup d'efforts dans cette histoire.
Mais malheureusement, incapable de réduire l'écart de ses capacités physiques avec Shion du fait de son trop jeune âge, elle finit par mourir au terme d'une séance de torture particulièrement affreuse.
C'est pour ça que dans le fragment de “La détective”, qui raconte la même histoire, elle sait qu'elle va se faire torturer, alors elle préfère se suicider.
Celui-ci, c'est “Malédiction meurtrière”.
... Dans ce monde-ci, l'oncle de Satoko revient et l'emmène avec lui pour la retenir prisonnière.
Dans un sens, c'est un peu le monde dans lequel nous avons le plus de malchance.
Rika peut faire des pieds et des mains, elle n'arrive jamais à faire de différence dans ce monde-là. C'est vraiment une voie sans issue.
Grosso modo, si jamais tu vois l'oncle de Satoko arriver dans un monde, tu peux plier tes gaules, abandonner, et attendre le prochain monde.
Mais bon, heureusement, la probabilité de le voir sortir de nulle part est assez faible.
Celui-là, il s'appelle “Le purgatoire”.
C'est le monde duquel Rika vient de sortir.
Dans ce monde-ci, c'est Rena Ryûgû qui a succombé.
Toute la partie où elle prend son école en otage est assez intéressante, en fait.
Le plus énigmatique dans cette histoire, c'est que d'un seul coup, Keiichi Maebara s'est mis à voir des souvenirs des autres mondes, un peu comme nous.
Ce genre de prise de conscience soudaine est très rare, mais je pense que tout le monde a des souvenirs des autres mondes.
Souvent, les gens s'imaginent : “Aaah, si seulement j'avais fait ça et ça, ça se serait passé complètement autrement...”.
Ils parlent de mondes hypothétiques.
Ou bien alors, ils ont parfois un air de déjà-vu, alors qu'ils font quelque chose pour la première fois.
Tout le monde possède des souvenirs de tous ces mondes hypothétiques, mais personne ou presque n'en a conscience.
En même temps, c'est un peu normal.
Mais ça veut dire que rien que le fait que tu puisses voir plusieurs cubes de souvenirs signifie que tu n'es pas comme les autres.
Tu es vraiment spéciale.
Mais je suppose que tu dois bien avoir du mal à te rendre compte que tu es aussi spéciale.
Après tout, tu es née avec cette faculté ; tu as toujours appréhendé le monde de cette manière.
Pour ma part, je n'eus pas cette chance ; je suis née dans un monde simple, un monde normal.
Je n'ai su que très récemment que l'on pouvait jouer en prenant et en empilant des cubes et des fragments de souvenirs.
Il ne t'a fallu que l'inspiration du moment pour tendre la main et te saisir d'un fragment, mais pour moi, cet acte fut l'accomplissement final après une éternité passée à réfléchir.
Je... Je suis désolée.
Je suppose que j'aurai beau te parler de moi, tu ne comprendras pas grand'chose. Et puis, ça ne doit pas beaucoup t'intéresser, n'est-ce pas ?
Pardon ?
Mais, qu'est-ce que tu as ?
Qu'est-ce que tu trouves de si bizarre ?
…
Pourquoi les faits se déroulent différemment alors que les mondes sont les mêmes ?
Aaaah, oui, ahahahaha...
Oui, c'est vrai que c'est un aspect plutôt fascinant.
À ton avis, pourquoi ?
Nous allons y réfléchir toutes les deux, si tu veux bien.
Après tout, c'est ce premier pas de la réflexion qui amène le côté ludique de la chose.
Prenons par exemple le cas de Keiichi Maebara.
C'est l'un de nos amis, enfin, des amis de Rika Furude, mais il a une place un peu particulière.
Dans le tome “Enlevés par les démons”, il s'enferme dans la paranoïa et finit par frapper Rena Ryûgû et Mion Sonozaki jusqu'à provoquer leur mort.
Mais si c'était la fatalité, Keiichi Maebara devrait normalement frapper ses amies jusqu'à la mort dans chaque monde ; or, ce n'est pas le cas.
Ce qui veut dire que les actes de Keiichi Maebara décrits dans ce tome ne constituent pas la “fatalité prédestinée” de ce personnage.
Comment t'expliquer ce concept...
...
Ah, oui.
C'est un peu son rôle en tant que pièce sur l'échiquier.
Si Keiichi Maebara était un paranoïaque un peu fou dans sa tête, toujours à voir le monde comme dans un miroir déformant, alors dans tous les mondes -- dans chacun des fragments de souvenirs avec lesquels tu joues --
il devrait faire plus ou moins exactement les mêmes gestes et les mêmes actions.
Or, je le répète, ce n'est pas le cas.
Pour sûr, Keiichi Maebara semble être un garçon qui réagit instinctivement et qui a tendance à se tourner des films dans sa tête.
Mais le rôle qu'il joue dans le tome “Enlevés par les démons” ne correspond en rien aux rôles qu'il tient dans les autres tomes -- c'est un peu une exception à la règle, si l'on veut.
Ce qui signifie que des actes ou des faits qui pourraient passer pour inéluctables dans l'un des mondes peuvent s'avérer être le fruit du hasard --
mais pour le savoir, il faut absolument porter le regard sur tous les mondes pour avoir, en filigrane, matière à comparaison.
À l'inverse, on peut en déduire que les choses qui, réellement, sont l'œuvre inexorable de la fatalité seront, elles, présentes absolument partout, quel que soit le monde ou le tome choisi.
Et ça, c'est quelque chose de très important à savoir et à garder à l'esprit.
Cela signifie que seuls les faits visibles même en appliquant les filtres de plusieurs fragments de souvenirs font partie d'un ensemble que l'on pourra qualifier de Vérité Absolue.
Tu comprends ce que je veux dire ?
Ça rejoint ce que je te disais tout à l'heure : les faits et les événements qui changent dans chaque monde peuvent paraître inévitables à l'intérieur d'un même monde, mais vus par le prisme des autres fragments de souvenirs, ils peuvent s'avérer n'être que de simples hasards, caprices du destin.
... Je pense que ce sera plus facile à expliquer en parlant des jeux du club de l'école.
Si Mion Sonozaki avait vraiment une idée précise en tête lorsqu'elle décide des jeux, eh bien, on retrouverait les mêmes jeux dans chacun des différents mondes.
Mais si l'on y regarde de plus près, on s'aperçoit que les jeux changent quasiment à chaque fois.
Ce qui signifie que le contenu en lui-même des jeux de société n'est que le “caprice” de Mion Sonozaki, qu'elle en décide sur un coup de tête, au hasard.
C'est quelque chose que nous pouvons comprendre sans peine, car nous avons la faculté de regarder plusieurs mondes en même temps.
Mais d'autres humains, dont la conscience serait limitée à un seul et même monde, ne sauraient pas dire si les jeux du club sont dus au hasard ou à une décision planifiée, mûrement réfléchie.
Ce qui veut dire que même si une personne normale ne peut pas savoir ce qu'il passe par la tête de Mion Sonozaki dans un monde donné, nous, qui avons accès à plusieurs mondes, nous pouvons faire des conjectures à ce sujet.
En l'espèce, même si le contenu des jeux est plus ou moins laissé au hasard, nous savons qu'après la fin de l'école, à pratiquement chaque fois, Mion Sonozaki propose de faire un jeu.
Nous pouvons donc affirmer que la présence de ces jeux après l'école est le fait de sa “volonté”. Elle est vraiment “déterminée” à nous faire faire ces jeux.
Nous savons donc tous que Mion Sonozaki “veut absolument jouer après l'école”,
mais nous et nous seules pouvons aussi affirmer que “les jeux eux-mêmes sont décidés à l'improviste”.
Alors ?
Tu vois, il suffit de peu de choses. Rien qu'en jouant à empiler ces différents mondes, nous pouvons deviner les règles invisibles qui régissent les jeux du club de Mion Sonozaki.
Et ainsi, nous pouvons mettre à jour une partie du rôle qu'elle joue dans les plans du Destin.
Mais revenons maintenant un peu à Keiichi Maebara.
Pour les gens n'ayant accès qu'aux souvenirs d'un seul monde, l'histoire d'“Enlevés par les démons” n'est que celle d'un gamin qui tue ses amies à coups de batte de base-ball, le résultat de sa psychose paranoïde, laquelle n'a d'ailleurs aucune explication concrète.
Ils seraient bien en peine d'en tirer la moindre autre conclusion.
Mais nous, nous avons accès à plusieurs fragments. Nous pouvons voir des vérités que nous seules pouvons appréhender.
Et donc nous savons que les meurtres qu'il commet ne sont pas inéluctables.
J'en ai déjà parlé.
Dans les quelques mondes que nous avons à portée de main, il n'y en a qu'un seul dans lequel Keiichi Maebara tue ses amies.
Ce qui signifie, pour faire un raccourci,
que la probabilité que Keiichi Maebara déclenche la tragédie n'est que de moins de 20% -- c'est donc plus un caprice du hasard qu'autre chose.
Et a fortiori, le fait que Keiichi Maebara soit bien l'élément essentiel déclencheur de la tragédie devient rapidement anecdotique lorsque nous comparons plusieurs mondes.
Et donc. À ton avis, quel point commun cela nous amène-t-il à découvrir ?
Quoi, tu as déjà trouvé ?
... Eh bien, j'imagine que naître dans un monde à la croisée d'autres mondes te donne un sacré avantage.
Tu apprends très vite avec ces petits fragments.
Pour ma part, j'ai mis bien longtemps à m'en rendre compte.
... Étant moi-même issue d'un unique plan d'espace-temps, je n'avais pas accès au reste.
J'ai trop longtemps fait une fixation sur le rôle actif de Keiichi Maebara.
Oui, c'est ça.
C'est exactement cela.
Tu as remarqué ?
Il existe un point commun particulièrement évident entre
“Enlevés par les démons”,
“La purification du coton”,
“La détective”
et “Le purgatoire”.
Il y a toujours quelqu'un pour céder à la paranoïa ambiante et commettre tous ces crimes.
Et donc des pièces de l'échiquier apparemment sans rapport les unes aux autres,
dans notre cas Keiichi,
puis Shion Sonozaki,
puis Rena Ryûgû qui, à un moment, se laisse emporter par ses propres illusions et finit par tout déclencher.
Ces trois-là sont des amis plus ou moins proches, mais leur parcours, leur éducation, leur vie sont tous très différents.
... Ce sont trois pièces d'un même échiquier, celui du village de Hinamizawa. Mais leurs similitudes s'arrêtent ici.
Oui, tu as raison, je l'ai dit tout à l'heure.
En plaçant plusieurs mondes les uns près des autres et en les observant en prisme, nous pouvons séparer le bon grain de l'ivraie.
Les choses immuables sont des Vérités Absolues, le reste n'est pas même digne d'intérêt.
Ce qui signifie que les “meurtriers” qui ont changé et défilé jusqu'à présent n'ont peu ou prou aucune importance dans les plans du Destin.
J'irai même jusqu'à dire que les actes barbares en eux-mêmes n'ont pas d'importance significative.
Keiichi a frappé à mort deux de ses amies.
Shion a massacré les personnes appartenant aux clans fondateurs du village.
Rena a pris les élèves de l'école en otage.
Trois coupables, trois crimes différents.
Aucun point commun entre eux.
Par contre, le modus operandi de la tragédie est, lui, exactement le même :
une personne au hasard cède à la paranoïa avant de passer à l'acte.
Le criminel semble régi par le hasard, le crime aussi,
mais curieusement, le processus qui va mener au crime reste le même.
Je pense que c'est là l'une des Vérités Absolues que l'observation des mondes nous permet de découvrir.
C'est l'une des forces qui meuvent les univers parallèles se déroulant dans le plan infini de Hinamizawa.
Pour simplifier, on peut poser une loi mathématique X qui inciterait un personnage indéfini lambda à passer à l'acte, après une psychose paranoïde.
Keiichi Maebara,
Shion
et Rena,
ont chacun une certaine probabilité de se soumettre à cette loi.
Je ne sais pas quelle est la valeur de cette probabilité.
Qui sait ? Elle est peut-être elle-même régie par d'autres lois.
Par exemple, elle peut n'affecter peut-être obligatoirement que des personnes d'une certaine tranche d'âge.
Ou peut-être uniquement des habitants de Hinamizawa.
Mais nous ne sommes que Rika Furude.
Elle n'est qu'une simple petite fille. Un détective ou un policier pourrait mener une enquête, mais pas elle.
Et pourtant, je viens de démontrer l'existence d'une loi X un peu étrange qui exerce son influence sur Hinamizawa.
Et ça, c'est quelque chose que les êtres humains normaux ne pourraient jamais avoir découvert par eux-mêmes.
Je dois t'avouer ressentir une certaine satisfaction vaniteuse à l'idée d'en savoir plus que les autres mortels...
... mais pour toi, ce savoir tombe peut-être tellement sous le sens qu'il ne t'apporte rien.
Quoi ?
Attends, tu peux le redire ?
Oui, c'est ça,
plus les éléments sont communs aux différents mondes, et plus la volonté ou la détermination qui est à l'origine de ces éléments est forte.
Oh ?
Ahahahaha, oui, en effet, c'est un peu ce qui crève les yeux.
... Tu as raison, Jirô Tomitake et Miyo Takano se font tout le temps tuer, presque comme si c'était obligatoire.
Et d'ailleurs, leur mort est similiaire, si ce n'est quasi exactement la même dans tous les mondes.
Ce qui signifie qu'à la différence de la loi X, qui garde une part de hasard, leurs deux meurtres relèvent d'une volonté sans faille, qui veille à leur bon déroulement.
Je pense même pouvoir dire que leur mort fait partie d'une autre loi à part entière.
Après tout, leur mort survient exactement de la même manière, quelle que soit la personne qui obéisse à la loi X.
Nous allons donc appeler Y la loi qui indique que chaque année, le soir de la purification du coton, Jirô Tomitake et Miyo Takano se font assassiner.
Et c'est là qu'intervient le comique de la situation, je trouve.
Qu'en penses-tu ?
Tu as remarqué quand même que dans quasiment chaque tome, Jirô Tomitake et sa copine se faisaient tuer ?
Et à chaque fois, le héros du tome concerné se dit que le meurtre de Tomitake signifie que le ou les meurtriers en ont après lui.
Pourtant les lois X et Y n'ont rien en commun --
le meurtre de Tomitake n'a aucune influence directe sur la sécurité des narrateurs --
mais les narrateurs, eux, ne sont pas de cet avis. Ils essaient mordicus de relier ces deux éléments.
Bien sûr, on pourra toujours suggérer que c'est le processus de mise en place de la tragédie qui fait que les narrateurs deviennent tous paranoïaques et que du coup bla bla bla, et cætera.
As-tu remarqué qu'il y avait deux personnages qui se chargeaient d'aider le narrateur à relier le meurtre de Tomitake à sa propre sécurité ?
Oui.
Et ces deux-là rendent toujours les choses plus compliquées que nécessaire.
Enfin, moi en tout cas, j'en vois au minimum deux.
Tu vois de qui je veux parler ?
Exact.
Kuraudo Ôishi et Miyo Takano.
En ce qui concerne le premier, je pense que les différents mondes nous en donnent une image assez claire.
C'est un inspecteur très proche de la retraite, et il commence à avoir peur de ne pas réussir à résoudre l'énigme des meurtres en série de Hinamizawa avant la fin de son service.
Surtout qu'à cause de sa mère, il devra déménager loin d'ici.
C'est pour ça qu'il veut absolument résoudre cette affaire avant de partir à la retraite.
Pardon ? Pourquoi ces affaires l'obsèdent-il à ce point ?
Eh bien,
à cause du premier meurtre, le démembrement du chef de chantier.
Le chef de chantier était un très vieil ami de l'inspecteur Ôishi.
D'ailleurs, tu devrais le savoir, tu as regardé le fragment de “Pour tuer le temps”.
Et puis à l'époque, lorsque la guerre du barrage faisait encore rage, Ôishi était déjà là.
Il a pu observer comment le clan des Sonozaki menait l'association de défense à la baguette, et il est persuadé que le clan est derrière tout cela.
Dans son esprit, qu'il y ait des preuves ou non, il a l'intime conviction que les Sonozaki sont les coupables, depuis le début.
C'est un peu cette obsession maladive qui le pousse à mettre ses théories en avant, et comme il est policier, il peut leur donner un certain poids, une certaine autorité. C'est surtout cela qui, finalement, induit les narrateurs des différents tomes de l'histoire en erreur.
Résultat des courses, les “victimes” de la loi X perdent pied dans leur paranoïa et s'auto-persuadent que les Sonozaki sont responsables de leur peur diffuse, qu'ils sont à leurs trousses.
L'exemple le plus marquant est d'ailleurs probablement celui de Shion Sonozaki.
Je parie que si Ôishi intervenait moins dans l'histoire, les prisonniers de la loi X n'en arriveraient pas à ces extrémités.
On peut presque dire qu'il déclenche la tragédie à distance, comme un coureur de relais.
Ce qui tendrait à dire que finalement, son surnom auprès des habitants du village -- “l'émissaire de la déesse Yashiro” -- n'est pas si faux que ça.
Celui ou celle qui a trouvé l'expression peut s'en enorgueillir.
Quant à Miyo Takano, eh bien, c'est un peu la même chose.
Miyo Takano étudie pour s'amuser les anciennes légendes et les vieilles histoires qui se racontent à Hinamizawa. Et surtout, elle adore faire peur aux gens en les racontant à son tour à qui sera assez crédule pour l'écouter parler. C'est son rôle bien à elle, dans cette histoire.
Mais le problème est que son petit effet est amplifié par l'action de l'inspecteur Ôishi. Entre ces deux-là, les narrateurs n'ont aucune chance de rester sains d'esprit. Ils finissent tous par succomber au charme de la théorie du complot général ourdi par le village entier.
L'exemple où Miyo Takano a le plus interagi est celui de Rena Ryûgû.
Je suis persuadée que Miyo devait adorer le spectacle d'une Rena apeurée, happée par la paranoïa à cause de ses histoires à elle. Nul doute que Rena faisait une proie de choix.
Et puis en fin de compte, le Destin s'est mis en marche, et Miyo Takano est morte, assassinée.
Mais si jamais elle avait réussi à survivre, je suis sûre que le fait de voir Rena prendre en otage l'école entière lui aurait provoqué une crise de fou rire jubilatoire.
D'ailleurs, puisque nous y sommes, as-tu remarqué que toutes les pièces dont je viens de te parler obéissent elles-même à une loi qui les placent dans leurs rôles respectifs ?
Je veux parler de ce terrain propice aux ragots. Lorsque quelqu'un raconte une histoire, aussi insensée soit-elle, elle est gobée par quiconque l'écoute.
C'est peut-être la loi la plus comique dans le lot -- appelons-la la loi Z.
Normalement, les quelques fragments que tu as encore à portée de main devraient suffire à tout expliquer.
Nous savons que les Sonozaki ont toujours menti, faisant croire qu'ils tiraient les ficelles pour tout et n'importe quoi.
Depuis très longtemps, ils se servent de ce coup de bluff pour faire croire qu'ils sont les instigateurs de tout ce qu'il a jamais pu se passer de positif pour eux dans la région.
Alors forcément, les habitants du village ont fini par s'habituer au fait que probablement, dès qu'il y avait quelque chose de louche, les Sonozaki étaient responsables. Ils ont oublié que le doute faisait partie de la recherche de la vérité.
Et cette loi emprisonne à tout jamais les pensées de Kuraudo Ôishi et de Miyo Takano.
D'ailleurs, on peut même élargir ça à tout le village.
Alors au bout du compte, à force de remettre les éléments de l'histoire en doute...
... On finit par se demander si réellement, elle existe, cette “série de meurtres sordides à Hinamizawa”.
Ahahahahaha...
Allons, tu dois pourtant forcément comprendre ce que je veux dire ?
Hmmm... Nous n'avons plus que des fragments de souvenirs représentant l'an 58 de l'ère Shôwa, soit 1983.
Je serais bien en peine de t'en dire vraiment plus sur les meurtres des années 1979 à 1982.
Mais je pense que le fait de vouloir à tout prix interpréter ces meurtres comme étant “une série” est une erreur.
Après tout, la loi Z stipule que le clan des Sonozaki tire les ficelles dans l'ombre, et cette loi pousse les gens à voir dans ces différents incidents une série.
Si nous pouvions avoir plus de détails sur les différentes affaires, nous pourrions étayer cette thèse.
Mais avec les mondes à notre disposition, je pense que nous ne pourrons jamais connaître le fin de mot de ces histoires.
Pourtant, il me semble bien avoir entendu quelqu'un le dire, dans l'un des mondes.
“Les affaires du passé ont été réglées séparément”.
Je ne saurais dire si c'est la voix de la raison ou celle de la folie, mais qui sait ? C'est peut-être l'une des phrases les plus proches de la vérité.
D'ailleurs, maintenant que j'y pense, Shion a dit quelque chose de très intéressant dans “La détective”.
Elle a décrit une sorte de système mis en place pour exécuter la malédiction.
Ça te dit quelque chose ?
Pour faire simple, elle a posé la théorie qu'Oryô Sonozaki avait réussi à faire accepter l'idée que le soir de la purification du coton,
on avait le droit de tuer deux ennemis du village au nom de la déesse Yashiro sans être forcément puni.
Étant donné que, je le répète, les fragments à ta disposition concernent tous plus ou moins l'année 1983, nous ne pourrons rien trouver pour étayer sa thèse, mais je la trouve très pertinente.
Elle implique que le meurtrier n'est pas une personne qui planifie le tout, mais que c'est l'environnement qui crée l'incident,
un peu comme si le lieu en lui-même poussait au crime.
Dans un monde normal, lorsque par exemple il y a un braquage de banque, les gens cherchent à expliquer le geste en recréant le parcours du braqueur, pour trouver l'élément qui aurait pu le pousser à l'acte. Mais ici, c'est un peu différent encore.
C'est un peu comme si je disais que le responsable de tous les maux, c'est la ville dans laquelle la banque se trouve.
Nous pourrions donc dire que notre braqueur de banque, appelons-le A, a juste fait un braquage comme ça, sans raison particulière.
Mais par contre, la pauvreté ambiante de la ville a motivé B à braquer une banque,
et peut-être même aussi une personne C.
Dans les autres mondes, A était peut-être aussi braqueur de banque, mais peut-être pas ; nous ne le saurons jamais.
Mais cette hypothèse permet de dire que le vrai criminel dans l'affaire, ce n'est pas un individu A, B ou C, mais l'environnement pauvre dans lequel A, B et C ont vécu.
Ce n'est pas une théorie si compliquée que ça, finalement, même les gens vivant dans un monde unique peuvent l'appréhender,
mais comme nous vivons dans des sociétés où il nous faut toujours un responsable sur qui rejeter la faute, il arrive très souvent que le braqueur se prenne un lynchage moral par la collectivité, et que tout le monde fasse comme si d'un seul coup, on ne voyait plus les problèmes liés à l'environnement en lui-même.
Oh... Tu m'as l'air déroutée ? Je t'ai perdue dans mes explications ?
Désolée, je n'ai pas fait exprès.
Tu as peut-être plus de mal que moi à te représenter le cheminement intellectuel pour cette théorie.
Mais étant moi-même issue d'un monde sur un seul plan, c'est la manière de réfléchir qui me convient le mieux.
Je vais te la refaire en des termes que tu comprendras.
Le coupable des tragédies qui se déroulent dans les différents mondes, ce n'est ni Keiichi Maebara, ni Shion Sonozaki, ni même Rena Ryûgû, mais c'est l'environnement dans lequel ils vivent qui est le vrai responsable --
la fameuse loi X qui les pousse à la paranoïa.
Dans cette optique, finalement, même si tu ne sais pas exactement ce qui est à l'origine de la loi X, ça t'avance déjà bien.
Maintenant que tu as trois lois dont tu sais avec plus ou moins certitude qu'elles ont un rôle indéniable dans les événements de Hinamizawa...
... Eh bien ça devrait déjà aller mieux, non ?
Désormais, même si tu devais tomber dans un nouveau monde, pour la première fois, tu aurais quelques éléments pour décrypter la situation et ne pas te laisser berner par les apparences.
Alors ?
Il est quand même formidable, cet endroit, tu ne trouves pas ?
Avec un simple huis clos dans un village reclus et trois petites lois de rien du tout, tu obtiens toute une ribambelle de mondes différents, un peu comme un kaléidoscope.
Mais bon, j'imagine bien que c'est une situation assez rare.
Dans un autre lieu, à mon avis, même en essayant de refaire encore et encore le même parcours en dosant différemment l'influence des lois, il n'y aurait pas autant de résultats différents.
C'est d'ailleurs bien la seule raison pour laquelle je ne suis pas encore morte d'ennui. Il peut toujours s'avérer distrayant d'observer Hinamizawa.
... ... Bon, c'est pas le tout,
mais j'aimerais passer maintenant à un dernier aspect que l'on peut découvrir en observant tous les mondes l'un après l'autre.
Et je t'avouerai sans ambages que c'est pour moi, enfin, pour “nous autres Rika Furude”, l'aspect le plus effrayant et le plus préoccupant.
À chaque fois, nous nous faisons assassiner.
C'est un peu comme si le mois de juin de l'an 58 de l'ère Shôwa était une impasse.
C'est un élément qui ne se déclenche pas au hasard, il est absolument immuable.
Il est aussi prédestiné que les morts de Tomitake et de Takano.
Notre mort à nous fait aussi partie de la loi Y.
Jirô Tomitake et Miyo Takano meurent toujours, et je dis bien absolument toujours le soir de la purification du coton.
Quant à Rika Furude... c'est un peu moins strict. Il peut y avoir un flottement de quelques jours avec sa mort. Mais presque toujours, elle meurt en juin.
Puisque Tomitake et sa copine se font toujours attaquer sur le chemin du retour de la fête, je pense que la date de leur mort ne changera jamais.
Mais pour nous, c'est un peu différent.
Rika Furude ne mène pas toujours la même vie. Elle ne fait pas toujours les mêmes choses.
Et donc forcément, les événements qui mènent à sa mort ne sont pas toujours les mêmes.
Mais elle meurt toujours en juin, toujours assassinée.
Je pense que c'est là le signe d'une volonté particulièrement forte de lui nuire.
Et c'est cette raison qui me pousse à affirmer que la mort de Rika Furude est régie par la même loi que les morts de Tomitake et de Takano ; la loi Y.
D'où j'en déduis, a priori, que le meurtrier de ces deux-là est aussi celui qui nous assassine, nous...
Enfin, je ne suis pas sûre à 100% que c'est bien exactement le même meurtrier, mais en tout cas, il y a de fortes chances pour qu'il y ait un rapport.
Ce n'est peut-être pas exactement la même personne,
mais le même groupe de gens.
Ou peut-être dans le même but.
Ou à cause de la même idéologie.
Le plus important pour Rika, c'est de réussir à ne pas se faire tuer.
Mais attention, je ne dis pas qu'elle doit prendre la fuite !
Après tout, je veux vivre en paix au village, moi.
Et il faut aussi absolument que tous mes amis soient en vie.
C'est uniquement à ces conditions que Rika sera heureuse.
C'est le futur idéal qu'elle aimerait atteindre.
Et la grande tragédie de son existence, c'est que le Destin lui refuse même un monde simple où elle demande seulement à vivre entourée de ses amis.
Mais bon, en même temps, c'est bien parce que nous sommes conscientes de tous les mondes dans lesquels le Destin lui refuse son bonheur que nous pouvons parler de tragédie...
Et sur ces entrefaits, je tiens à te signaler un point particulièrement curieux.
Rika meurt assassinée selon la règle Y, en théorie, et c'est le cas la plupart du temps.
Mais dans certains des mondes que tu as sous la main, elle meurt à cause de la loi X, à bien y regarder.
Tout juste.
Je pense effectivement aux mondes de “La purification du coton” et de “La détective”.
Dans ces deux mondes, Rika Furude meurt parce que Shion, à cause de la loi X, devient folle et la tue -- même si quelque part, Rika l'avait un peu cherchée...
Mais il n'empêche que du point de vue de la loi Y,
ce n'était pas censé se passer comme ça.
La loi Y a été mise en place à dessein, il y a une volonté très forte et déterminée derrière.
Mais pour le coup, dans ces deux mondes, donc, Rika meurt un peu par malchance, parce qu'elle tombe sur Shion au moment où il ne fallait vraiment pas la faire chier.
Or, la mort de Rika doit avoir une raison, un but bien précis. Le ou les meurtriers ont très certainement un “mobile”.
Si le mobile de la loi Y, c'est simplement de tuer Rika, alors pas de problème de ce côté-là, elle est morte et donc tout le monde est content.
Mais si la mort de Rika devait servir à justifier autre chose par la suite ?
Si la mort de Rika n'était qu'une étape dans la loi Y ?
Il faudrait chercher un élément commun aux mondes de “La purification du coton” et de “La détective”
qui serait visiblement différent ou étrangement absent de tous les autres volumes.
Malheureusement, nous sommes Rika Furude, et donc lorsqu'elle meurt, nous perdons conscience et nous n'avons pas moyen de savoir ce qu'il se passe par la suite dans ces mondes.
...
...
...
...
... Enfin,
moi, je ne sais pas ce qu'il se passe après ma mort.
Mais pour toi, les choses sont peut-être différentes ?
Rika Furude, c'est moi. Je ne peux uniquement savoir que ce qu'il se passe de mon vivant.
Mais toi, tu es une entité supérieure, née dans un univers parallèle, à cheval sur tous les mondes dans lesquels j'ai vécu.
Est-ce que tu n'aurais pas une petite idée ? Tu ne vois rien ? Pas la moindre chose un peu spéciale qui se passerait après “ma” mort,
dans tous les mondes sauf dans “La purification du coton” et “La détective” ?
Je pense que cet élément serait une partie de la Vérité Absolue.
L'un des éléments-clef
de la loi Y.
Les quelques fragments dont tu disposes ici sont tous vus depuis la perspective des victimes de la loi X,
mais honnêtement, je suis sûre qu'entre elle, la loi Z qui a trait au village en lui-même,
et la loi Y qui a trait, si l'on peut dire, au “méchant” de l'histoire,
tu devrais pouvoir expliquer tous les événements étranges de Hinamizawa.
C'est bien pour ça que la marche à suivre pour Rika est un tel chemin de croix.
Si elle veut survivre, elle doit se battre contre la loi Y.
Tant qu'elle ne surmontera pas cette épreuve, Rika Furude ne verra jamais l'après juin 1983.
De plus, Rika ne peut pas simplement se contenter de survivre, elle doit aussi sauver tous ses amis de la loi X si elle veut vivre heureuse.
Parce que tant qu'elle n'aura pas triomphé de la loi X, elle courra le risque que l'un de ses amis devienne paranoïaque et déclenche la tragédie.
Et si cela devait arriver, eh bien, malgré la joie de survivre au mois de juin 1983, Rika ne serait pas satisfaite.
Et enfin, tout comme Shion Sonozaki a essayé dans le tome de “La détective”, Rika doit essayer de vaincre les forces qui ont mis en place la loi Z.
Parce qu'à cause de la loi Z, même en supposant que Rika évitât la catastrophe en juin 1983, celle-ci pourrait tout simplement avoir lieu en juin 1984, ou même plus tard.
... Très probablement, la loi Z sert de terreau pour nourrir la loi X.
C'est à cause d'elle qu'à Hinamizawa, systématiquement, les Sonozaki sont dans le coup, et que donc forcément, le moindre accident bizarre passe pour être la malédiction de la déesse Yashiro.
En fait, c'est la cause de tous les malentendus et de tout le reste.
C'est à cause d'elle que personne ne s'étonne outre mesure si quelqu'un se fait tuer pendant la nuit de la purification du coton.
Cette loi Z condamne Hinamizawa à tout jamais à nourrir l'imaginaire des gens, à les pousser à croire mordicus à la malédiction, et à préparer le terrain pour la tragédie.
Nous avons donc ces trois lois, X,
Y,
et Z.
Trois chaînes qui emprisonnent Rika Furude dans le mois de juin 1983, jusqu'à la fin des temps.
Trois forteresses quasiment imprenables.
D'ailleurs, c'est bien simple, pendant très longtemps, Rika ne s'est même jamais doutée de leur existence.
Tu as trouvé la solution ?
Si tu as trouvé, je te donnerai une bonne note et un bon point.
Jadis, j'ai tenté de résoudre ces énigmes, et chaque fois, je n'ai connu que la défaite.
Mais dans le tome “Le purgatoire”, un miracle se produisit.
Keiichi Maebara a, pour une raison qui m'échappe, pu accéder à des bribes de souvenirs des autres mondes, et ainsi vaincre la loi X.
... Bon, cela ne servit pas à grand'chose, puisque le soir-même, la loi Y se chargea de tuer Rika Furude, mais...
... Il n'empêche que l'une des chaînes put être brisée.
C'était un résultat inespéré, une joie immense ressentie pour la première fois.
Autrefois, Rika aussi s'était creusé la tête, elle avait aussi découvert l'existence de ces trois chaînes, mais malgré tous ses efforts, elle n'avait jamais réussi à en briser ne fût-ce qu'une seule.
Alors elle fut submergé par le désir d'abandonner, et graduellement, elle perdit tout intérêt pour le monde dans lequel elle vivait.
... Et c'est de ce sentiment qu'un beau jour, je naquis.
Mais Rika est désormais différente.
Elle a appris une chose en voyant Keiichi Maebara accéder aux souvenirs des autres mondes, malgré sa condition de simple mortel prisonnier d'un seul plan.
Elle a compris que tant qu'elle aurait en elle l'esprit vindicatif, elle finirait par réussir à briser ses chaînes.
Et que si jamais elle réussissait à briser les trois chaînes qui la retiennent prisonnière au mois de juin 1983,
alors elle serait libérée des geôles de son Destin.
Mais pour ce faire, il ne lui reste malheureusement plus beaucoup de temps.
Rika a voyagé un grand nombre de fois à travers tous ces mondes parallèles.
Mais si son corps redevenait plus jeune et ne vieillissait pas à chacun de ses passages successifs, son âme, elle, ne manqua pas de mûrir et de vieillir.
Et son âme a désormais un âge qu'il lui serait impossible d'atteindre dans un corps de chair et de sang.
Elle se transforme peu à peu en un être supérieur, appelé à vivre dans un autre plan d'existence.
Et bientôt, elle ne pourra même plus discerner le monde des simples mortels.
D'ailleurs, son esprit tend déjà à confondre la réalité des mortels et celle des plans de conscience supérieurs qu'elle visite entre chacune de ses réincarnations.
Elle finira sûrement par devenir folle
et par oublier volontairement tous les souvenirs de ses existences en tant que simple mortelle.
Et lorsque ce sera le cas, Rika Furude disparaîtra à tout jamais.
Et alors, nous serons toutes les deux, toi et moi, seules dans ce monde de désolation et de ténèbres.
Puis, progressivement, les fragments de souvenirs avec lesquels nous jouons disparaîtront eux aussi...
et nous finirons englouties dans un monde d'une noirceur absolue, oubliant jusqu'à l'existence l'une de l'autre, et nous finirons, après plusieurs éternités, par atteindre un stade de non-conscience, puis de non-existence.
Et je suis prête à parier que Rika Furude en est intuitivement consciente.
Elle sent que son âme va bientôt justement rendre l'âme, si tu me permets ce jeu de mots.
De plus, les pouvoirs de Hanyû s'essoufflent.
Elle est désormais bien incapable de remonter plusieurs années dans le Temps.
Graduellement, elle a fini par nous propulser de plus en plus prêt du tomber de rideau final. Cela fait maintenant plusieurs fois qu'elle ne nous renvoie qu'à peine un mois dans le passé.
Et encore, je dis un mois, mais j'exagère. Le résultat est plus proche de quelques semaines.
Je pense que cette fois-ci, elle ne nous laissera à peine que deux petites semaines.
Rika Furude n'a plus que deux semaines pour tenter de briser les trois chaînes qui la condamnent à un bien funeste Destin.
Et c'est cette histoire qu'il nous faut désormais vivre et conter...