.........

......

Miyuki

...Papa ? T'es réveillé, Papa ?

Akasaka

— ...Hein ? Oh...

Miyuki

— Ça va ?

Tu as fait un mauvais rêve ?

Miyuki était assise à côté de moi, je lui caressai la tête.

J'ai dû faire un cauchemar. J'étais trempé de sueur.

Akasaka

— … Non, tout va bien.

J'imagine qu'il fait un peu trop chaud… ahahah.

J'essayais d'essuyer la transpiration, aussi je me mis à la recherche d'une serviette.

Je sentis alors quelque chose de frais sur mon front.

Miyuki se retourna vers moi avec un grand sourire, puis m'essuya le visage avec la serviette qu'elle avait reçue à l'embarquement.

Akasaka

— … Merci, Miyuki.

Miyuki

— Bien sûr.

Éhéhé~

Grâce à elle, je pouvais désormais me concentrer sur autre chose, j'en profitais pour changer de siège et jeter un œil dehors.

J'enroulai mes bras autour de Miyuki sur le siège côté vitre. On voyait une terre se dessiner dans cette immense étendue d'eau.

Miyuki

— Waouh~, c'est Hokkaido.

Hokkaido c'est trop grand~♪

L'avion entamait son atterissage.

Arrivé dans le hall d'entrée, je me mis à chercher M. Ôishi des yeux,

et entendis soudain une voix rocailleuse qui me rappela de nombreux souvenirs.

Ôishi

— M. Akasaka !

Éhhéhhéhhé !

Ça fait combien d'années que je ne vous ai pas vu ?

Un sacré bail !

Akasaka

— M. Ôishi !

Oui, cela fait si longtemps...

Il me tapa sur l'épaule en signe de bienvenue, heureux de nos retrouvailles.

Ôishi

— Mais dites-moi, vous commencez à ressembler à quelque chose ?

Vous êtes devenu l'un des meilleurs enquêteurs sur le terrain, il paraît ? En tout cas vous avez la tête de l'emploi !

Akasaka

— Et vous, vous m'avez l'air un peu plus brillant.

Et vous vous tenez plus droit.

C'est grâce à vos cours de danse ?

Ôishi

— Éhhéhhéhhé !

Je vous assure, Akasaka, vous devriez prendre des cours de danse dès maintenant !

Vous verrez, emballer devient facile,

mais facile !

Ahahahaha !

Après sa retraite, l'inspecteur déménagea à Sapporo, dans le nord, puis, à la surprise générale, s'inscrivit pour des cours de danse.

Apparemment, ça lui plaisait beaucoup, et il comptait y consacrer le reste de sa deuxième vie.

Il avait pour but de devenir professeur de danse avant ses 80 ans.

Ôishi

— … Oh ?

Éhhéhhéhhé, mais qu'avons-nous là ?

Ôishi venait de remarquer Miyuki, qui se tenait à mes côtés. Il se baissa pour arriver à sa hauteur.

Ce qui l'effraya plus qu'autre chose. Heureusement, elle trouva vite refuge derrière mon dos…

Akasaka

— Allons, Miyuki.

Présentes toi correctement, s'il te plaît.

Miyuki

— ...Oh, uh... Umm…

Elle était en train de jauger Ôishi, tout en prennant soin de ne pas me lâcher.

Elle n'est pas aussi timide en général… Je me demande ce qui lui arrive.

Akasaka

— … Je suis désolé.

Ce n'est pas dans ses habitudes…

Ôishi

— Oh non, pas de problème…

C'est vrai qu'il fait un peu peur ce vieux bougre… Si ca ne te dérange pas, tu veux bien me donner ton prénom ?

Miyuki

— ...Umm, je m'appelle Miyuki Akasaka.

J'ai 7 ans.

E-Enchantée.

Ôishi

— Super, c'était une bonne présentation.

Je n'en attendais pas moins de la fille d'Akasaka… Ahahahah.

Ôishi lui caressa la tête gentillement et lui fit un grand sourire.

Voyant cela, Miyuki se mit à se détendre.

Un peu plus tard, Miyuki m'expliqua qu'elle ne faisait qu'appliquer mes enseignements : “Sois prudente avec les inconnus”.

Ôishi, qui avait entendu, se mit à rire de bon coeur tout en marchant.

Je montai dans sa voiture, et nous nous rendîmes dans un hôtel avec des bains thermaux.

Je pensais qu'il m'emmènerait chez lui,

mais il refusa catégoriquement, arguant du fait que sa modeste demeure n'était pas digne de me recevoir.

Une fois à l'hôtel, évidemment, nous prîmes un bon bain sans oublier un repas digne de ce nom. Miyuki était aux anges.

Après tout ça, se sentant fatiguée Miyuki alla dormir. Puis, avec Ôishi nous nous mîmes à discuter du bon vieux temps, et surtout de cette fameuse partie de mah jong.

L'inspecteur avait cherché des gens pour faire une partie,

mais apparemment, il n'avait trouvé personne de notre calibre, et avait fini par abandonner le projet.

Puis, l'alcool arrivé, nous bûmes quelques bières puis reparlèrent de nos aventures...

Akasaka

— Finalement, ces deux idiots, vous les avez eus ?

Ôishi

— Non, non.

Nous avons fait une battue dans la montagne, mais ils sont restés introuvables.

Je pense que les habitants les ont couverts un moment, puis les ont fait partir à l'étranger.

Akasaka

— Vous leur aviez pris une arme, non ?

Ça a donné quoi ?

Ôishi

— Bah, c'était un pistolet militaire de fabrication chinoise.

Je suppose qu'il faisait partie du stock d'armes volées en circulation dans la région du Kansaï.

J'ai cherché un peu, mais l'arme n'a pas servi dans d'autres crimes ou délits.

Ôishi

Et vous ?

Akasaka

— Hmmm, je me suis un peu éloigné du terrain pendant un moment après ça, alors je ne sais pas trop.

Apparemment, tout a été fait pour ne jamais faire la lumière sur l'affaire.

Ôishi

— Éhhéhhéhhéhhé...

Il n'y avait pas de quoi rire, mais l'inspecteur essaya quand même.

Ôishi

— ... Oui... Ça n'a pas dû être facile pour vous.

... Ça fait 7 ans cette année ?

Akasaka

— Oui.

L'autre jour, c'était le service anniversaire à sa mémoire.

Mon beau-père n'étant plus ce qu'il était, ce ne fut pas facile.

Ôishi

— Ahhahaha,

oui, je me doute...

Un employé de l'hôtel vint alors nous apporter à nouveau à boire -- nous en avions commandé encore pour quelques tournées.

Pendant que l'employé ramassait les bouteilles vides, nous restâmes perdus dans notre silence.

Non, comme il l'avait dit, ça n'avait pas été facile pour moi.

Cela faisait mal de s'en souvenir, mais le Temps avait déjà commencé à guérir cette blessure.

Le lendemain de mon escapade nocturne au sanctuaire...

J'avais téléphoné à l'inspecteur pour m'excuser.

Il m'avait passé l'un de mes collègues au téléphone.

Je me suis dit qu'il allait m'engueuler pour avoir disparu et n'avoir prévenu personne.

Mais il ne dit presque rien, en fait. Il m'enjoignit à me rendre au commissariat d'Okinomiya pour une affaire importante qui ne pouvait pas être dite au téléphone.

À ce moment-là, je me suis habillé en me disant qu'il devait vraiment être sacrément en colère.

À peine arrivé au commissariat, mon chef me dit juste une chose.

Responsable

— Il paraît que ta femme a eu un accident.

Complètement déboussolé, je téléphonai sur-le-champ à son hôpital.

... Après être passé de secrétariat en sous-chef, on me passa le Directeur,

qui, après avoir longuement tourné autour du pot,

finit par m'annoncer la nouvelle.

Homme

— Madame Yukie Akasaka…

est décédée des suites de son accident d'hier soir.

Je sentis ma conscience s'éloigner.

Yukie était morte, tout d'un coup,

sans prévenir.

Si elle était morte pendant l'accouchement, à la rigueur, j'aurais pu comprendre ; après tout, il devait y avoir une raison pour laquelle on mettait toute une équipe de médecins pour assister les futures mères.

Mais là... c'était différent.

En montant les escaliers pour se rendre sur le toit de l'hôpital,

elle avait glissé,

et elle était tombée.

Et le hasard avait voulu qu'elle tombât mal. Dans un angle dangereux. Avec force.

C'était la faute à pas de chance.

Je voulais accuser quelqu'un, n'importe qui, j'ai même pensé que c'était l'association de Hinamizawa qui avait fait le coup.

Mais en fait, une fois rentré à Tôkyô, la vérité fut encore plus déchirante.

Yukie avait pour habitude de sortir sur le toit de l'hôpital en fin d'après-midi.

Jusqu'au dernier étage, il y avait un ascenceur, mais celui-ci ne donnait pas sur le toit -- il fallait gravir une dernière volée de marches pour y avoir accès.

Yukie s'y rendait tous les soirs, malgré sa grossesse.

Son père lui avait dit de ne pas trop se fatiguer,

mais Yukie avait insisté pour qu'on la laissât faire ce qu'elle voulait jusqu'aux quelques jours avant son terme.

Je ne l'avais jamais vue monter sur le toit.

C'est seulement ce que m'ont dit les infirmières et son père.

Il faut dire que lorsque je luis rendais visite, elle restait avec moi.

Ce fut l'une des infirmières qui m'apprit pourquoi Yukie montait sur le toit.

Mon mari est souvent absent de la maison.

Les jours où il m'appelle au téléphone, je peux le réconforter, lui donner du courage,

mais parfois, il n'appelle pas.

Il fait toujours son loup solitaire, mais vous savez, il est comme un chien en manque d'affection, c'est vraiment trop chou.

Et moi, je suis pareille.

Lorsqu'il part et que je ne sais pas quand il rentrera, je deviens folle.

Quand je lui parle et je le réconforte au téléphone, en fait, c'est surtout pour moi que je le fais.

Alors, lorsqu'il travaille dur, loin de moi, et qu'il ne m'appelle pas...

Le soir, j'essaie de…

de rester un peu dehors et de penser fort à lui. Tant qu'il reste sur cette planète, nous sommes réunis sous les mêmes cieux, et... je m'imagine que peut-être, il le sent quand je pense fort à lui.

En entendant ça,

je me suis souvenu de ce que m'avait dit cette mystérieuse petite fille.

“Tu devrais repartir pour Tôkyô, et tout de suite.

Sinon, tu le regretteras toute ta vie...”

... Mais bien sûr...

C'est parce que je suis parti là-bas qu'elle s'est mise en tête de monter sur le toit.

Si j'avais délaissé l'enquête et que j'étais retourné à Tôkyô, comme la petite me l'avait dit...

Eh bien le jour de sa mort, Yukie aurait été avec moi,

et donc elle n'aurait pas voulu monter sur le toit, et elle ne serait pas morte.

Elle est morte le soir du troisième jour de mon enquête.

Oui,

exactement, elle est morte juste avant que je me mette en route pour chercher un téléphone et l'appeler.

La gamine m'a suivi et a coupé toutes les lignes des téléphones que j'ai touchés, pour m'empêcher de joindre l'hôpital.

Si elle ne l'avait pas fait...

J'aurais appris sa mort ce jour-là, et je ne sais pas comment j'aurais réagi.

Bien sûr, cela n'avait fait que repousser l'échéance d'un jour.

J'ai quand même appris sa mort le lendemain.

Mais une fois que tout fut fini, j'y ai repensé des tas de fois, et je me suis rendu compte que c'était la seule chose qu'elle avait pu faire pour essayer d'amoindrir le choc. Elle avait fait ça dans mon propre intérêt.

Ôishi

— ... Je ne savais pas, c'est la première fois que j'entends cela.

Akasaka

— Ce qui ne me surprends guère,

puisque c'est la première fois que j'en parle à quelqu'un.

Ôishi

— Ahahahahaha !

... C'est un hasard, non ?

Elle n'avait pas de pouvoirs surnaturels, cette gamine.

Akasaka

— ... C'est vous qui m'en aviez parlé ?

On m'a dit qu'elle était la réincarnation de la déesse Yashiro.

Ôishi

— Oui, oui.

Enfin bon, vous savez, les vieux du villages étaient un peu séniles, ils croyaient qu'elle avait le don de voir dans l'avenir.

Akasaka

— ... Un don de double-vue ?

Me voyant le prendre au sérieux, l'inspecteur baissa les épaules.

Ôishi

— Je sais pas si c'est vrai ou pas,

Ôishi

mais il paraît qu'elle avait prédit des trucs qui sont réellement arrivés. Elle parlait aussi de choses qu'elles ne pouvaient pas connaître.

Ôishi

Les vieux juraient qu'elle voyait jusqu'à mille lieues, que c'était un signe de son essence divine.

Ôishi

Enfin bon,

évidemment, ils n'ont jamais pu le prouver !

Éhhéhhéhhé...

Akasaka

— ... Elle avait prédit l'accident de ma femme.

Ôishi n'osa pas rire ouvertement, peut-être par respect pour ma défunte femme.

Ôishi

— Hmmm, et donc le meilleur agent de la DST croit aux dons divins et aux malédictions ?

Je ne sus pas quoi lui répondre.

Je n'étais pas du genre à croire à ce genre de fadaises.

Mais il ne connaissait pas cette gamine.

C'est parce que j'avais rencontré cette... Rika Furude,

que je ne pouvais plus nier l'existence de choses qui dépassaient le cadre normal de notre monde.

Akasaka

— ... Et si ce n'étaient pas des prédictions, mais des annonces ?

Il y a une grosse différence entre l'un et l'autre.

Si cette petite fille m'avait annoncé la mort prochaine de ma femme, alors c'était plus facile à comprendre.

Cela voulait dire que c'était une menace, et que ma femme avait été assassinée car je n'avais pas pris cette menace au sérieux.

Ôishi

— ... ... Vous avez trouvé des choses louches dans l'enquête sur l'accident de votre femme ?

Akasaka

— Oh, j'ai eu des soupçons, oui.

J'ai lu tout le dossier, encore et encore, j'ai même mené ma propre enquête.

Personne n'a assisté à l'accident.

Il était tout à fait possible que quelqu'un l'avait attendue sur le toit et l'avait poussée en arrière dans les escaliers.

Mais le toit servait aussi à étendre le linge, et donc les allées et venues étaient fréquentes, et chaque étage était sous vidéo-surveillance.

Les escaliers n'avaient pas été sabotés, je n'ai rien trouvé en ce sens.

Akasaka

— En fin de compte, même après avoir mené mon enquête à fond, je n'ai pu que conclure qu'elle avait glissé et que c'était un accident.

Ôishi

— ... ... ...

Akasaka

— Oh, je sais bien,

Akasaka

les malfaiteurs ont pu enlever le petit-fils du ministre en pleine rue, en plein jour, en plein Tôkyô,

Akasaka

alors tuer une femme enceinte à l'abri des regards indiscrets, cela devait sûrement être dans leurs cordes...

L'inspecteur avait désaoûlé.

Ôishi

— ... Votre femme...

s'est

fait assassiner ?

C'est ce que j'avais cru aussi à l'époque.

Enfin bon, je voulais rendre quelqu'un responsable, alors j'avais accusé le premier qui venait.

Mais sans preuve, je ne pouvais pas m'acharner sur eux, et le Temps avait commencé à résorber ma douleur et ma colère.

Akasaka

— Je ne sais pas si elle m'a menacé en m'annonçant la mort prochaine de ma femme

ou si elle a prédit sa mort en m'indiquant la seule manière de la sauver...

Akasaka

... Mais quitte à choisir, je préfère que ce soit la deuxième solution.

Ôishi

— ... ... ... Ahahahaha, oh wow...

L'inspecteur se mit à rire, se servant une part généreuse de saké.

Ôishi

— OK, d'accord,

admettons que Rika Furude savait lire dans l'avenir.

Alors pourquoi n'a-t-elle pas prédit la catastrophe naturelle ?

Ôishi

Si elle savait, pourquoi n'a-t-elle rien dit ?

Si elle avait parlé seulement quelques heures avant la catastrophe,

Ôishi

il y aurait eu des centaines de vies de sauvées.

C'est vrai que... en juin de l'an 58 de l'ère Shôwa, il y avait eu cette catastrophe.

Du sulfure d'hydrogène s'était formé en dessous du marais du village, et le gaz mortel s'était répandu dans le village pendant la nuit.

Tous les habitants étaient morts.

Une vague de panique sans précédent s'est déclenchée dans le pays.

Il me semble que l'armée a interdit l'accès à toute la zone, et que cette interdiction n'a finalement jamais été levée.

Akasaka

— ... Eh bien...

Hmm...

Je ne sus franchement pas quoi lui dire.

Ôishi

— Enfin,

c'est vrai que j'ai entendu certaines personnes raconter que c'était une punition divine pour avoir osé tuer la réincarnation de la déesse.

Ôishi

Les gens qui connaissaient bien Hinamizawa racontent parfois de sacrées sornettes...

Akasaka

— Inspecteur, je m'excuse de vous interrompre, mais...

Vous avez dit que Rika Furude a été tuée ?

Ôishi

— Hein ?

... Euh…

... Oh, je suppose que je peux bien vous en parler, à vous...

Je m'étais souvenu d'elle en apprenant la nouvelle de la catastrophe dans les journaux.

Et j'avais remarqué son nom dans la liste des victimes.

Mais à cette époque, j'avais cru que c'était de ça dont elle avait parlé en m'annonçant sa propre mort.

Par la suite, j'avais un peu cherché dans de vieux journaux et j'avais entendu parler de cette fameuse “malédiction” qui avait frappé le village plusieurs années de suite.

Et en m'informant dessus, je m'étais rendu compte qu'elle avait vu juste. Elle m'avait donné toutes les morts, exactement avec l'ordre et la manière. J'avais toujours voulu en parler à l'inspecteur.

C'est vrai.

C'était d'ailleurs précisément pourquoi nous nous retrouvions aujourd'hui...

Mais à l'instant, l'inspecteur m'avait annoncé qu'elle avait été tuée.

Elle n'est donc pas morte à cause du gaz ?

Mais assassinée ?!

Akasaka

— ... Est-ce que vous pourriez me parler un peu de la dernière malédiction ?

Ôishi

— Hmmm.... j'ai pris ma retraite, mais je suis encore tenu au secret, vous savez ?

Éhhéhhéhhé !

Akasaka

— Ah, patron !

Ramenez-nous une bouteille fraîche, un saké du coin, un peu fort, si vous avez !

Je vous laisse choisir.

Ôishi

— Ahahahahaha !

Mais non voyons, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire !

Il éclata de rire, sans toutefois me faire annuler cette commande. Il décida quand même de prendre un saké pas forcément cher.

Akasaka

— Je suis juste au courant de ce qu'il s'est passé les années avant,

mais pas pour la dernière.

Ôishi

— Il faut dire que la région a été mise en quarantaine par l'armée.

Ôishi

Nous n'avons pas pu faire d'enquête sur la dernière “malédiction”.

Ôishi

Et puis, comme la plupart des habitants étaient morts, il n'y avait aucune chance de retrouver des témoins.

Ôishi

On n'a jamais rien pu découvrir dessus.

Il leva les yeux au plafond, puis se mit à plisser les yeux, cherchant dans ses souvenirs.

Puis, d'une voix sobre et ferme, il se mit à parler.

Ôishi

— ... Dans la plupart des journaux, cette catastrophe naturelle est considérée comme étant la malédiction de la cinquième année, mais en fait...

Ôishi

La malédiction a bien eu lieu le soir de la purification du coton.

La victime était un photographe itinérant,

un certain Jirô Tomitake.

Il me raconta comment cet homme s'était suicidé en s'ouvrant la gorge avec ses propres ongles.

Ôishi

— Et la petite amie de ce mec, une certaine Miyo Takano, a été retrouvée dans les montagnes de Gifu, juste à côté, brûlée vive dans un vieux baril de pétrole.

Ôishi

J'en sais pas beaucoup plus, parce que les collègues de Gifu n'ont pas été très coopératifs.

Akasaka

— Et donc il y aurait eu deux victimes en une seule nuit ?

Ôishi

— Eh bien...

Pas que deux, en fait.

Le lendemain,

mon collègue Kumadani a disparu pendant son enquête sur le terrain.

C'était le nom du jeune policier qui faisait équipe avec Ôishi d'habitude. Il avait commencé sa carrière un an après notre rencontre, je ne le connaissais pas.

Ôishi

— Il arpentait le village pour enquêter sur le meurtre de Tomitake.

Je pense qu'il s'est fait prendre à partie à cause de ça.

Si j'avais été avec lui ce jour-là, il serait peut-être encore vivant.

Ôishi

Mais j'avais la chiasse, je n'ai pas voulu aller avec lui.

Je m'en voudrai toute ma vie...

Akasaka

— Vous croyez qu'on l'a supprimé car il en savait trop ?

Ôishi

— ... ... Oui.

Nounours -- Kumadani était assez jeune et il n'avait pas des masses d'expérience du terrain,

et surtout des situations tendues.

L'inspecteur avait l'air de beaucoup s'en vouloir.

Ôishi

— Et encore le lendemain, c'est --

ah, mais vous l'avez connu !

Le docteur Irie !

Vous vous souvenez ?

Akasaka

— Oui, c'était le jeune médecin à la clinique, hein ?

Je vois à peu près qui c'était.

Ôishi

— Eh bien, lui... il s'est suicidé en avalant des cachetons, on ne sait pas trop pourquoi.

Pas de testament, pas de lettre d'adieu.

L'autopsie a simplement confirmé la présence anormale de barbituriques.

C'est tout.

Akasaka

— ... Ce n'est pas bien dur de maquiller un meurtre en suicide.

Vous ne croyez pas ?

Ôishi

— Il était célibataire, et pas divorcé.

On ne lui connaissait aucune compagne.

Ôishi

Il s'occupait un peu de l'équipe de baseball de l'école du village, il rendait service dans le village, tout le monde le respectait.

Aucun ennemi connu.

Ôishi

Enfin bon, avec la catastrophe,

je n'ai pas pu approfondir l'enquête...

Akasaka

— …

... Et donc ? Rika Furude est morte quand ?

Ôishi

— Le même jour.

Vers midi, un villageois s'est rendu au sanctuaire

et a trouvé son corps sans vie près du coffre aux offrandes.

Akasaka

— Un meurtre ?

Ôishi

— ... Il vaudrait mieux manger ces morceaux de pieuvre séchés avant que je vous en parle.

Akasaka

— ... ... C'était pas joli-joli ?

Ôishi ne répondit rien, mais son regard en dit long...

Ôishi

— Comme je vous le disais, on a retrouvé le corps à côté du coffre aux offrandes, devant l'autel du temple.

Elle a été enlevée ailleurs, par contre.

Ôishi

Entièrement nue.

La sole de ses pieds était propre.

Akasaka

— ... Une agression sexuelle ?

Ôishi

— L'autopsie dit que non.

Ôishi

La seule chose qui est sûre, c'est qu'on l'a d'abord rendue inconsciente, puis transportée là. Puis on lui a ouvert l'abdomen, et écarté la chair.

Ôishi

Les organes internes ont été sectionnés et retirés, l'un après l'autre, et placés à ses côtés, un peu partout.

Akasaka

— ... Elle était inconsciente ?

Donc elle était encore vivante pendant tout ça ?

Ôishi

— ... ...

Akasaka

— ... Oh putain...

quelle cruauté...

Elle avait vu juste.

Elle m'avait un peu décrit ce qu'elle savait des différentes morts.

Elle avait d'ailleurs dit que la victime de la quatrième année aurait le crâne défoncé, ce qui était vrai.

Mais alors... elle avait aussi su qu'elle mourrait dans ces conditions ?

Elle devait pourtant parfois avoir des doutes sur ses prédictions, de temps en temps.

Mais chaque année, les morts lui avaient donné raison.

Lors de la dernière année, elle avait dû savoir que tout se déroulerait comme elle l'avait prédit. Et elle n'avait rien pu faire pour s'en protéger.

Et elle était morte…

de cette manière si horrible.

J'eus une peine immense en l'imaginant voir venir la mort sans rien pouvoir faire contre.

Ôishi

— À vrai dire, cette mise à mort n'est pas un bête acte de barbarie.

Je ne sais pas si je vous en ai parlé à l'époque, je vous ai dit que les gens croyaient que des démons vivaient à Hinamizawa ?

Akasaka

— Hmmm... oui, je crois.

Ôishi

— En fait, la fête de la purification du coton, ça vient d'un rituel ancestral pratiqué dans le village, mais c'était pas du coton qu'ils jetaient dans la rivière, vous voyez ce que je veux dire ? Aujourd'hui, quand on dit wata on pense à l'idéogramme du coton, mais il semblerait que jadis, c'était plutôt les entrailles qui étaient désignées par ce mot.

Ôishi

Et donc, les démons mangeurs d'hommes, en fait, le soir de la fête, ils découpaient leurs victimes en morceaux et ils jetaient ses entrailles dans la rivière. Vous voyez ?

Akasaka

— ... Donc en gros, à Hinamizawa, le fait de découper les entrailles d'un être humain avait une signification religieuse ?

Ôishi

— ... Si l'on peut dire, oui.

Ôishi

Et en fait, la déesse Yashiro serait apparue pour que les démons cessent de manger les humains. C'était un peu une sorte d'arbitre ou plutôt de policier. C'est de là qu'on dit qu'elle est apparue à Hinamizawa, et c'est pour cela qu'on lui vouait un culte.

Akasaka

— Mais... Rika Furude était soi-disant la réincarnation de cette déesse, non ?

Ôishi

— Oui.

Donc le fait de tuer la gamine de cette manière, c'était la pire des insultes possibles et imaginables envers la déesse Yashiro.

Akasaka

— ... Ce serait un crime d'hérésie ?

Un affront fait directement aux dieux eux-mêmes ?

Ôishi

— La suite, vous la connaissez.

L'épanchement de gaz mortel s'est produit le soir-là.

Akasaka

— La catastrophe naturelle de Hinamizawa...

D'après les rapports officiels, du sulfure d'hydrogène se serait formé en dessous du marais et se serait répandu partout, tuant toute forme de vie sur son passage.

Ôishi

— Le marais s'appelait “les abysses des démons”.

C'était aussi l'ancien nom de Hinamizawa, d'ailleurs.

Ôishi

D'après les légendes, il était relié au royaume des morts. C'est en passant par ce marais que les démons seraient arrivés chez nous.

Akasaka

— ... C'est un peu gros, quand même.

Ôishi

— Ah oui mais non, attendez, c'est pas fini !

Ôishi

Il y a encore mieux ! Dans les légendes du village, on dit que lorsque la déesse Yashiro se met en colère, elle ouvre les portes du royaume des morts et laisse les miasmes des enfers s'abattre sur le village.

Akasaka

— Et comme les gens du village pensent que le royaume des morts est au fond du marais...

cela veut dire que les miasmes mortels viennent obligatoirement de ce marais-là ?

Ôishi

— Exactement.

Et donc, quand la réincarnation de la déesse, la petite Furude, se fait tuer de cette manière si dégradante, alors la déesse se met vraiment en colère, et anéantit le village avec ce gaz mortel.

Ôishi

... Et les gens de là-bas sont persuadés que c'est la vérité, hein !

Akasaka

— ... Vous croyez que cette catastrophe pourrait être déclenchée par des humains !?

Ôishi

— Hmmmm.... disons que, c'est quand même tellement gros...

Si on considère que ça peut pas être le fruit du hasard, et que les malédictions n'existent pas, alors forcément, c'est un humain qui a fait le coup, mais...

Il n'avait pas l'air emballé par ma théorie, mais il souriait quand même, un petit peu... gêné ?

Mais alors... Il y avait pensé aussi ?

Akasaka

— Imaginons qu'il y ait dans le village une bande de fous furieux, de fanatiques religieux,

Akasaka

qui auraient tout fait pour réunir les conditions dans lesquelles la déesse Yashiro “se mettrait en colère”, et qui auraient réellement fait survenir cette catastrophe, par leurs propres moyens...

Ôishi

— ... Je ne me moquerai pas de vous, Akasaka,

j'y ai moi-même pensé, à cette possibilité, il y a bien longtemps...

Ôishi

Mais même pour un petit village comme Hinamizawa, c'est trop.

Il aurait fallu avoir les moyens de tuer plus de mille personnes en quelques heures, au plus profond de la nuit. C'est pas réaliste.

On pense que le gaz s'est répandu vers 2h du matin.

Il ne reste que quelques heures avant le lever du soleil.

Comment faire pour tuer autant de monde en faisant croire qu'ils sont morts à cause du gaz, en si peu de temps ? Non, effectivement, ça paraît inconcevable.

Akasaka

— ... Le marais aussi avait une signification religieuse.

Akasaka

On peut penser qu'ils avaient mis un mécanisme spécial qui leur aurait permis de déclencher l'épanchement de gaz à tout moment...

Ôishi

— Les forces de défense du territoire disent effectivement que la source du gaz se trouvait dans le marais.

Ils ont dû mener l'enquête avant de faire leur rapport, je pense qu'on peut leur faire confiance.

Ôishi

Si jamais il y avait eu ce genre de mécanisme, ils l'auraient signalé.

Akasaka

— Oh, mais le mécanisme n'était pas obligatoirement dans le marais.

Vous ne connaissez pas l'histoire ?

Vous n'avez jamais entendu l'histoire de la source lointaine qui assèche le puits du village ?

Ôishi

— C'est quoi vot' truc, là ?

Akasaka

— Eh bien, les sources d'eau potable sont souvent reliées entre elles par des canaux souterrains.

Les sources, les étangs, les marais, ce ne sont que les parties visibles de certains cours d'eau.

Ôishi

— Aaaah, hmmm, éhhéhhéhhé, ok.

Vous voulez dire que le mécanisme aurait été placé dans un autre marais qui serait relié à celui des abysses des démons, c'est ça ?

Ôishi

Et que donc en modifiant la pression de l'eau ou je ne sais quoi, on pourrait déclencher le gaz à distance ?

C'est ça ?

L'inspecteur partit alors d'un grand éclat de rire, partant sur un éloge de la jeunesse et son imagination si fertile.

Mais il était aussi un policier. Il savait que cette imagination fertile était nécessaire pour les enquêtes, et qu'il devait y réfléchir sérieusement avant de se prononcer sur sa crédibilité ou non.

Ôishi

— ... C'est une théorie intéressante.

Si nous arrivions à le prouver... ce serait une première dans l'histoire du crime japonais.

Akasaka

— Lorsque l'armée aura levé l'embargo sur la région, j'aimerais beaucoup m'y rendre avec vous pour y enquêter.

Vous avez encore des contacts au commissariat central ?

Ôishi

— Oh, quelques uns.

Je suis leur instructeur spécial de judo. C'est moi qui entraîne certaines recrues spéciales pendant l'été.

Akasaka

— ... ... Je ne sais pas quand l'armée se décidera à nous redonner accès à la région, mais il faudrait leur en toucher un mot.

Ôishi

— ... ... D'accord.

Akasaka

— ... Finalement, inspecteur, d'après vous, c'était quoi, cette “malédiction” ? Vous devez bien avoir votre petite idée ?

Ôishi

— Vous savez, à l'époque, le village mettait la pression sur ma hiérarchie.

Elle n'admettait pas l'existence des meurtres en série,

se bornant à les considérer comme des événements séparés sans rapport les uns aux autres.

Akasaka

— ... Mais voyons, c'est ridicule.

C'est pourtant clair que ces meurtres furent perpétrés en se basant sur les croyances locales ?

Ôishi

— Akasaka, vous oubliez que nous avons l'avantage du Temps. Aujourd'hui, plusieurs mois et plusieurs années après les faits, leur rapport nous paraît évident, mais à l'époque ?

Ôishi

Ces choses se passaient toutes, comme par hasard, le soir de la cérémonie de la purification du coton.

Ôishi

Les gens disaient toujours “pourvu que cette année, il n'y ait rien”, mais sans plus.

Akasaka

— Le hasard ? Elle est bien bonne, celle-là.

... La gamine m'avait annoncé tous les meurtres.

Ôishi

— ... La gamine ?

Akasaka

— Oui, Rika Furude.

Elle m'a annoncé tous ces meurtres, et ils ont tous eu lieu comme elle me l'avait dit.

Ôishi

— ... Akasaka...

Vous êtes sérieux ?

Akasaka

— Oui, bien sûr.

Elle me l'a dit.

L'année prochaine, le chef de chantier sera découpé en morceaux, qu'elle m'a dit.

Et pas seulement celui-là, elle m'a donné les morts des années suivantes aussi.

Ôishi

— Akasaka, quand vous a-t-elle raconté tout ça ?!

Akasaka

— Eh bien, quand je l'ai rencontrée cette fois-là, pendant mon enquête sur l'enlèvement du petit-fils du ministre. En juin de l'an 53, en 1978.

Ôishi

— ... Un an avant le premier meurtre...

L'inspecteur ferma les yeux. Il fronçait les sourcils, apparemment en train de réfléchir à toute vitesse...

Ôishi

— Akasaka.

Si l'on considère que Rika Furude n'avait pas le don de voir dans l'avenir... et vu que voir dans l'avenir, ça n'existe pas... ce que vous êtes en train de me dire est très grave. Vous en êtes bien conscient ?

Akasaka

— ... Oui.

Ôishi

— ... Si vous me dites par la suite que c'était une blague et que vous vouliez rire à mes dépens, tout vieux que je suis, je me lève et je vous éclate la gueule, c'est compris ?

Akasaka

— Je ne permettrais jamais. Je vous raconte la stricte vérité.

Akasaka

... ... Et donc un an avant le premier de cette série de meurtres, tout était décidé et planifié.

Akasaka

Et comme elle l'avait annoncé, Rika Furude s'est fait tuer.

J'ai toujours cru qu'elle était morte pendant la catastrophe naturelle, aussi je n'avais jamais vraiment réfléchi plus loin que cela.

Akasaka

Mais maintenant que je sais qu'elle a été tuée…

... Vous savez, elle m'a dit qu'elle serait asassinée.

Akasaka

Elle savait déjà, à l'époque, dans les moindres détails, comment les meurtres seraient perpétrés et comment elle-même serait tuée.

Ôishi

— ... Mais alors, pourquoi n'a-t-elle pas pris la fuite ?

Akasaka

— ... ...

Ôishi

— Admettons, tous les meurtres étaient planifiés.

Elle était au courant, elle avait plusieurs années pour faire quelque chose contre tout ça, quand même ?

Ôishi

Elle aurait pu faire une fugue, ou en parler à la police.

Pourquoi n'avoir rien fait ?

Akasaka

— ... Je n'en sais rien.

Ôishi

— ... La jeune Rika Furude était adulée par les anciens du village,

Ôishi

mais après la mort de ses parents, elle s'est retrouvée seule au monde. Elle vivait avec une amie, en se serrant les coudes, mais c'est tout.

Ôishi

Elle n'avait personne dans son entourage sur qui compter en cas de problème, ni la force de les régler soi-même...

Akasaka

— ... ... Elle n'a pas demandé d'aide ? Même de manière détournée ?

Ôishi

— Vous savez aussi bien que moi que le village et la police n'étaient pas en bons termes.

En tout cas, autant que je sache, je n'ai jamais entendu dire qu'elle aurait demandé à être protégée.

Akasaka

— ... Hmmmm...

Ôishi

— Peut-être qu'elle s'était résignée à être sacrifiée dans un rituel religieux ?

Qui sait...

Akasaka

— Non, ça, c'est impossible.

J'en étais sûr et certain.

Elle m'en avait parlé à l'époque.

Tout ce qu'elle voulait, c'était vivre heureuse. Elle voulait simplement vivre, entourée de ses amis.

Elle n'avait pas abandonné. Elle voulait vivre plus longtemps que...

Oh putain...

Je restai sans voix.

Ôishi

— ... Quoi ?

Akasaka, qu'est-ce qu'il y a ?

Akasaka

— Je... Non... rien...

Je gardai le silence.

L'inspecteur croisa les bras en maugréant, mais il ne dit rien.

Après quelques minutes, il se leva et partit dans les couloirs de l'hôtel pour demander des feuilles et de quoi écrire.

Une fois l'inspecteur parti, la salle fut très silencieuse.

Je me levai et remarquai alors que j'étais saoûl au point de ne plus tenir debout.

J'ouvris la fenêtre en papier de riz et levai les yeux vers la lune, brillante, mais floue, dans le ciel.

Aujourd'hui, enfin, je réalisai une chose.

Rika Furude n'avait jamais accepté sa mort prochaine.

Elle avait eu envie de vivre, tout simplement.

Le plus longtemps possible. Et devenir heureuse, aussi.

Elle me l'avait dit sans détour.

Mais j'avais été stupide.

Je ne lui avais pas posé plus de question. Je n'avais rien remarqué.

Elle m'avait pourtant dit qu'elle ne voulait pas mourir.

Elle avait voulu de l'aide.

Oh, bien sûr, elle ne m'a dit “aidez-moi, je vous en supplie”.

Mais c'était tout comme, et j'aurais dû le remarquer.

Elle ne pouvait faire confiance ni à sa famille, ni à la police, ni aux habitants du village. Elle avait attendu sur quelqu'un d'étranger, sur moi, pour tout me dire.

C'est comme si elle m'avait appelé au secours.

Elle avait fait tout le village en coupant les fils du téléphone par-ci par-là.

Si j'avais pu appeler, j'aurais su pour ma femme. J'aurais perdu la tête.

Je n'aurais pas écouté ce qu'elle avait à me dire.

C'est pour ça…

qu'elle a coupé les fils.

Elle voulait avoir suffisamment de temps pour me parler des sinistres malheurs qui allaient s'abattre sur le village et sur elle-même.

Ôishi regrettait de ne pas avoir accompagné son collègue, et il s'en voulait car à cause de cela, ce collègue était mort.

Je ressentais désormais la même chose, mais pour cette petite fille.

... Si

j'étais retourné dans ce village cette année-là...

Je suis sûr que j'aurais pu la protéger.

Cinq années séparent ma rencontre avec cette enfant et l'année de sa mort.

Pendant ces cinq années, j'en ai vu des vertes et des pas mûres. Yukie m'a laissé une fille, que j'ai élevée comme j'ai pu, et j'ai investi toute ma jeunesse et toute ma passion dans mon métier.

Je ne risquais plus de faire les mêmes erreurs qu'autrefois.

En combat un contre un, je saurais maîtriser mon adversaire, et je me suis déjà retrouvé plusieurs fois face à des balles de pistolets, et même de fusils mitrailleurs de la mafia chinoise.

J'étais devenu beaucoup plus fort et efficace pendant ces cinq années.

C'est pourquoi…

Si j'avais pu être à ses côtés, j'aurais pu la protéger.

J'aurais pu la sortir des griffes de ses agresseurs !

Elle n'avait rien dit, mais en fait, elle m'avait demandé de l'aide.

Et je n'avais rien remarqué. Je n'avais rien remarqué !

Elle m'avait prévenu pour ma femme, à demi-mots, mais j'avais été trop stupide pour m'en rendre compte. Et c'était pareil pour son cri de détresse !

J'avais envie de hurler.

Si je l'avais prise au sérieux, je serais rentré à Tôkyô et j'aurais pu empêcher l'accident de ma femme.

Et je serais reparti pour tenter de la sauver, pour lui rendre l'ascenceur.

Je suis sûr que c'était ce qu'elle avait espéré !

J'ai appris pour la catastrophe à Hinamizawa comme tout le monde, assis devant mon poste de télévision.

J'avais oublié ce village jusqu'à ce soir.

Cela faisait partie de ma thérapie pour me remettre du choc de la mort de ma femme : j'avais rayé ce village de ma mémoire.

Quelle ingratitude de ma part !

Elle m'avait offert de sauver la vie de ma femme en échange d'un coup de main pour sauver la sienne.

Mais pendant toutes ces années, je n'avais pas eu la moindre once de reconnaissance envers elle...

Cette gamine n'est pas morte dans son sommeil, emportée par le gaz.

Mais disséquée vivante, dépecée, humiliée.

Je parie qu'elle savait pertinemment de quelle manière atroce elle allait être mise à mort.

Mais elle n'était qu'une petite fille, et elle était seule.

Elle n'avait personne sur qui compter, personne à qui demander de l'aide.

Elle n'avait pu que voir la mort venir.

Mais elle voulait vivre.

Elle voulait vivre heureuse.

Tout simplement.

Ce n'était pas excessif, pourtant !

En tant qu'être humain, c'était le minimum !

Elle n'avait pas envie d'être riche ou d'être, je sais pas, moi, au-dessus des autres, non !

Qu'avait-elle dit d'autre encore ?

“Si tous les meurtres sont prévus, alors ma mort aussi est déjà planifiée.”

Je ne veux pas croire qu'elle ait été emportée par son destin sans s'y être opposé.

Je parie qu'elle a fait ce qu'elle a pu,

mais que c'était tellement peu que cela n'y a rien changé.

Et parmi ce qu'elle avait tenté de faire, elle avait très certainement essayé de me demander de l'aide !

Akasaka

— Merde ! Merde ! MEEEERDE !

Je me mis à hurler.

À taper du pied.

Pourquoi est-ce que j'étais devenu flic ?

J'étais même pas capable de sauver une gamine qui m'avait prévenu du danger ! Comment pouvais-je encore oser me prétendre un bon flic ?!

J'avais peut-être trop à faire en même temps à l'époque ?

Oui, c'est vrai, c'était exactement ça ! À l'époque, j'étais un bleu-bite, j'arrivais pas à gérer !

Si ça s'était passé cette année, ç'aurait été une toute autre chanson !

Mais maintenant, tout est fini, il est trop tard.

Même s'il me prenait l'envie de venger sa mort, la région de Hinamizawa est inaccessible, l'armée a bouclé le périmètre.

La plupart des gens concernés par cette affaire sont morts, et les rares survivants ont été recueillis dans leurs familles, aux quatre coins du Japon.

Impossible de visiter la scène du crime.

L'enquête piétine, et les sables du Temps menacent de recouvrir les événements à tout jamais.

Si l'inspecteur ne m'en avait pas parlé, je n'aurais d'ailleurs jamais rien su !

Ôishi

— ... Akasaka ?

Vous êtes sûr que ça va ?

Il était revenu, je ne sais quand, avec un cahier de brouillon.

Ce fut lorsque je vis son visage brouillé que je réalisai que j'étais en train de pleurer.

Akasaka

— Je n'ai... rien remarqué, rien du tout !

Je n'ai pas compris qu'elle m'appelait au secours !

Ôishi

— ... ... Akasaka,

calmez-vous.

Akasaka

— Il est trop tard maintenant !

Elle s'est fait tuer !

D'une manière horrible !

Et je n'ai rien fait pour elle !

J'aurais pu, j'aurais dû, et je n'ai rien FAIT !

Ôishi

— ... Et moi, alors ? Je suis tout aussi fautif que vous. J'ai vécu plus de 60 ans dans la région, et je n'ai même pas été capable de gagner la confiance des villageois.

Ôishi

Ni même seulement la sienne. Si elle m'en avait parlé, j'aurais peut être pu l'aider.

Ôishi

Mais je n'ai pas su gagner sa confiance.

C'est vraiment trop bête...

La confiance ?

Oui... la confiance !

Elle m'avait fait confiance.

Elle avait compté sur moi.

Elle avait pensé que moi, probablement, je réussirais à écarter le danger qui allait lui fondre dessus !

Elle avait cet espoir !

Je tombai à genoux, pleurant à chaudes larmes, sans retenue. Tapant des poings sur le tatami. Encore et encore.

.. ... Après quelques instants, l'inspecteur Ôishi prit la parole.

Ôishi

— Akasaka.

... Est-ce que vous vous en voulez ?

Akasaka

— Et comment !

Ôishi

— Alors…

nous n'avons qu'un seul moyen pour tenter de la venger.

Akasaka

— Ah oui ?

C'est possible, vraiment ?

L'inspecteur me montra son cahier de brouillon et les stylos.

Ôishi

— ... Il nous faut découvrir la vérité, à nous deux.

Akasaka

— ... ... La vérité...

Ôishi

— Oui. Il ne s'agit pas que d'elle, vous savez. Rika Furude est morte, c'est vrai,

mais beaucoup d'autres aussi sont morts dans cette histoire.

Leurs lamentations doivent être inimaginables.

Ôishi

Et toutes ces morts paraissent banales et inintéressantes, à cause de la catastrophe naturelle de la dernière année, qui a anéanti tout le village. Les gens ne se souviennent plus des détails, maintenant.

Tant sont morts !

Ôishi

Et que dire du vieux chef de chantier ? Et Nounours, alors ? Vous croyez qu'il a demandé à mourir ? Et les autres ?

Ôishi

Mais la police ne fait rien !

Ôishi

Qui reste-t-il pour venger leur mort ?

Ôishi

Il ne reste que nous !

Ôishi

Que vous et moi, Akasaka !

Akasaka

— ... Alors c'est à nous de découvrir la vérité ?

Ôishi

— Oui !

Et nous y arriverons !

Ôishi

J'ai enquêté sur tous ces meurtres, j'ai vu les corps et les indices sur le terrain ! Quant à vous, vous saviez grâce à la petite qui étaient les cibles et quelles étaient les mises à mort prévues !

Akasaka

— Oui, mais... mais ils sont tous morts, maintenant...

Ôishi

— Oui, ils sont morts.

Rika Furude est morte.

À cause de vous, parce que vous étiez un jeune connard de bleu !

Akasaka

— JE NE VOUS PERMETS PAS ! Espèce de FUMIER !

L'inspecteur, sans se démonter, me chopa par le col de la chemise et me porta à bout de bras.

Ôishi

— SI, c'est de votre faute,

Ôishi

et c'est exactement pour ça que c'est à vous et à moi de faire la lumière sur ces meurtres !

Ôishi

Si vous dites vrai, alors tous ces meurtres étaient prémédités de longue date !

Ôishi

Ce qui veut dire que les enquêtes vont partir sur des directions complètement différentes !

Ôishi

... J'y passerai toute la nuit s'il le faut, mais je vais vous donner un maximum de détails, sur tout ce que je sais. Nous mettrons ça en forme et demain, j'irais voir mes anciens collègues et nous verrons ce qu'ils diront.

Ôishi

On ne peut pas rester sans rien faire !

Ôishi

Il faut découvrir ce meurtrier !

Akasaka

— Je le trouverai...

Je le trouverai !

Ôishi

— Oui.

De longues années se sont écoulées depuis les faits, mais il n'y a pas prescription.

Les enquêtes sont suspendues, mais pas classées !

Ce n'est pas fini.

Et on va tout faire pour relancer l'enquête !!

Akasaka

— Oui… Vous avez raison !

Faisons-le, Ôishi !

Je ne laisserai pas ce dossier se finir comme ça !!

J'en suis certain… nous découvrirons la vérité !

Sans aucun doute possible !!!

J'affichais ma résolution en criant ses mots.

Et puis…

Miyuki

— … Papa ?

La porte coulissa derrière moi… Miyuki se tenait là encore somnolente. Mes cris ont sûrement dû la réveiller. Puis elle fonça vers moi.

Miyuki

— Qu'est ce que tu as, Papa ?

Papa, pourquoi tu pleures ?

Akasaka

— Ah... Oh.

Ce n'est rien Miyuki. Ce n'est rien…

Je tentais tant bien que mal de sourire tout en essuyant mes larmes. Miyuki donnait l'impression qu'elle allait se mettre à pleurer d'un instant à l'autre. Elle rapprocha sa petite main de moi.

Miyuki

— Ça va ?

.. Tu as encore fait un mauvais rêve ?

Ne pleure pas, Papa…

Akasaka

— …

Et quand elle fit ce geste… Je vis alors une autre petite fille se superposer sur Miyuki.

Son expression si innocente me rendit si nostalgique qu'un torrent de remords m'emporta aussitôt.

Une petite fille qui ne pouvait pas être là.

Elle avait emprunté le corps de ma fille pour me réconforter…

Rika

— … Akasaka.

Ne pleurez pas.

C'était peut être une hallucination.

Juste une matérialisation de mes rêves égoïstes.

Cependant.

C'était bien sa voix… j'en suis certain.

Plutôt que de m'accabler pour mes erreurs, elle était compatissante.

Akasaka

(… Ahh… Mais pourquoi je pleure ?

Après tout, j'ai une chose de bien plus importante à faire !!)

Akasaka

— … Miyuki.

Avant ta naissance… J'ai rencontré une fille à Hinamizawa, on aurait dit un ange.

Miyuki

— Un ange ? C'est vrai ?!

Akasaka

— Oui… Elle était mignonne et très gentille…

J'aurais voulu qu'elle te connaisse, Miyuki.

C'est désormais impossible.

Ce futur est déjà inatteignable.

Miyuki

— Hee~!

Je veux être amie avec cette fille !

Akasaka

— Hein ?...

Miyuki

— Éhhéhé… Je suis impatiente !

La prochaine, emmène moi avec toi !

À Hinamizawa !

Quand bien même… je peux toujours me battre !

Akasaka

— …

Bien sûr.

On ira la voir ensemble, un jour.

J'en suis sûr.

Miyuki

— Yep♪.

Un jour, c'est certain.

Nous la reverrons.

Cet été,

les pleurs des cigales ont résonné…

dans tout Hinamizawa…

Ôishi m'aida à me relever, et nous nous jurâmes solennellement de réussir notre tâche.

Même si nous étions déjà deux ans trop tard.

Par la suite, je me suis mis à chercher la tombe de Rika, pour pouvoir m'y recueillir et lui demander pardon.

Après l'autopsie, l'office mortuaire avait diligenté un représentant légal des Furude pour prendre soin de sa dépouille.

Il attendait la levée de l'embargo de l'armée pour placer les cendres de la petite fille dans le caveau ancestral du clan, à Hinamizawa.

Mais il me fut impossible de savoir qui était ce représentant, et donc, même aujourd'hui, je n'ai toujours pas pu lui présenter mes excuses.

Il ne me reste qu'à attendre que l'armée veuille bien réautoriser l'accès à cette région.

Ce représentant en profitera sûrement pour accompagner la jeune fille dans son dernier voyage.

Mais désormais, j'ai autre chose à faire que de me répandre en excuses.

J'ai jusqu'à la levée de l'embargo sur la région pour mener mon enquête et découvrir la vérité.

Malheureusement, il semblerait qu'il y ait encore quelques épanchements erratiques de sulfure d'hydrogène, chaque année, et l'armée ne considère pas la levée de l'embargo comme étant réalisable dans un avenir proche.

... Peut-être bien que la jeune fille ne veut pas me voir devant sa tombe avant que je n'aie découvert la vérité.

C'est peut-être pour ça que l'armée ne bouge pas, qui sait ?

Mais un jour, je découvrirai qui c'était.

Un an après notre résolution.

Ôishi et moi-même fîmes paraître un livre dans lequel nous avions relaté les événements, incluant tous les meurtres et se concluant par la catastrophe naturelle.

C'est moi qui en ai décidé le titre.

Le sanglot des cigales

J'ai choisi ce titre parce que tout s'était passé lors de la saison du chant des cigales ; c'était d'ailleurs le son qui m'avait le plus marqué en me promenant dans le village.

En lisant ce livre, peut-être que certaines personnes impliquées dans ces histoires se rappelleraient des détails. Et peut-être que ces détails me mèneraient à la solution ; je l'espérais en tout cas de toutes mes forces.

Et surtout, j'espérais aussi que certains lecteurs s'intéresseraient à nouveau à cette enquête, et que les faits ne tomberaient pas à tout jamais dans l'oubli.

Voici ce que nous écrivîmes dans la postface du livre.

Cette année encore, l'Armée a refusé de lever l'embargo sur Hinamizawa.