Teppei n'était revenu à Hinamizawa que pour attendre que tout se tasse.
Il pensait rester ici tout l'été, éventuellement jusqu'à la fin de l'année.
Pour lui qui vivait d'alcool et de tripots, Hinamizawa était comme un monastère.
Sa maîtresse, Rina, avait disparu sans laisser de traces.
La seule rumeur qui courait sur elle disait qu'elle avait fait des conneries.
... Enfin, une autre rumeur disait qu'elle s'était déjà fait tuer.
Et tout le monde dans le métier savait qu'elle et lui étaient macqués.
C'est pourquoi tout le monde croyait qu'il était au courant de ce qu'elle avait fait.
Les gens pensaient qu'il avait réussi à lui tirer un bon pactole, qu'il était entouré de gens dangereux.
Okinomiya était devenu assez irrespirable pour lui.
Surtout que si les rumeurs disaient vrai, cela signifiait forcément qu'elle avait tout comploté dans son dos, avec un autre, et ça, sa fierté ne le supportait pas.
Et donc, il avait décidé de revenir à Hinamizawa.
La maison dans laquelle il avait vécu avec sa femme jadis n'était plus habitée depuis des années. Il ne pouvait pas vivre dans une baraque à l'abandon !
... Et puis d'abord, il n'avait même pas la clef.
Mais la maison de Satoko serait parfaite, vu que la gamine vivrait certainement dedans -- et puis, il pourrait lui ordonner de faire le ménage et la cuisine.
Parce que lui, il ne savait rien faire, et il n'avait absolument pas la moindre envie d'apprendre.
Rina gueulait parfois un peu avec lui, alors il voulait vivre avec une nana qui ne serait pas trop forte ni courageuse, un bon animal de compagnie, une bête de somme, quoi.
Et Satoko remplissait presque toutes les conditions.
Elle était malheureusement trop jeune pour lui permettre de dégorger le poireau, mais elle finirait bien par grandir.
Et puis, sa mère avait été une très belle femme, si sa mémoire ne lui faisait pas défaut.
Avec un peu de chance, d'ici 4 ou 5 ans, la génisse serait bonarde lorsqu'elle réclamerait le taureau.
C'est dans cet état d'esprit qu'il rentra au bercail.
Sauf que la maison était fermée à clef -- elle faisait sûrement les courses --
alors il alla zoner dans la rue commerçante où il finit par la trouver et la ramener de force avec lui.
Mais lorsqu'il entra, la maison était pleine de poussière.
La garce avait eu l'audace d'aller vivre depuis un an avec l'une de ses amies, sans même revenir entretenir la maison !
Alors bien sûr, il s'est mis en colère.
Il l'a engueulée, c'était son devoir de veiller sur cette maison !
Il l'a frappa, lui mit des coups de pieds, la battit au sol.
Et puis, très vite, l'expression de la gamine est redevenue celle qu'il lui connaissait, celle de 1982.
Et lorsqu'enfin elle fut très obéissante, il commença par lui ordonner de faire le ménage.
Il avait une nouvelle vie, une nouvelle maison, une nouvelle femme.
Sa petite retraite paisible ne s'annonçait pas si mauvaise que ça, finalement.
Bien content de lui, il voulut se vanter, alors il appela quelques amis, pour faire un mah jong.
Il se laissa apporter de l'alcool, des petits salés, puis présenta fièrement son nouvel animal.
Alors oui, lorsqu'il lui ordonna de marcher à quatre pattes, elle n'a pas voulu.
Mais une paire de baffes et un poing menaçant suffirent à la convaincre.
Alors tout le monde se mit à rire, et tous lui dirent comme ils étaient jaloux.
C'était vraiment sympathique.
Sauf que la bonne humeur de Teppei ne dura pas bien longtemps.
— Je suis la maîtresse de l'école de Hinamizawa, je m'appelle Lumiko Cie.
Est-ce que Satoko Hôjô est là ?
Il pensait d'abord que c'était l'une de ces sales putes qui vous vendent des assurances à la con, mais en fait non, c'était pire.
La femme était jeune et bien foutue, mais c'était -- d'après ce qu'elle racontait -- la maîtresse de l'école.
— Gné ?
C'est quoi le problème ?
Qu'ess'tu lui veux à Satoko, pourquoi tu veux la voir ?
— Elle n'est pas venue à l'école aujourd'hui, et personne ne nous a prévenus de son absence. Je suis juste venue voir s'il ne lui était rien arrivé.
— Hein ?
L'école ?
— Oui, l'école.
Satoko n'est pas là ?
Je voudrais lui dire deux mots.
— Ben, elle a attrapé froid, hein. Ouais, c'est ça, froid.
Et donc, euh, elle a... de la fièvre ?
— J'ai juste à lui donner quelques photocopies, je ne pourrais pas lui parler une minute ?
— Mais t'es conne, en fait ?
T'écoutes pas c'que j'te dis ou quoi ?
Elle a attrapé froid
et elle a de la fièvre !
Tu crois quand même pas que j'vais t'laisser entrer ?
En son for intérieur, par contre, il savait qu'il était dans la merde.
Pour lui, si Satoko était un animal pratique à garder sous la main, il n'avait jamais même pensé qu'elle irait à l'école.
Et en plus, l'école avait réagit dès le premier jour d'absence.
C'était vraiment la merde.
Teppei n'avait jamais aimé l'école, ni les professeurs, ni les gens intelligents en règle générale.
— Je vois...
Et demain, vous pensez qu'elle sera suffisamment rétablie pour venir ?
— S'tu veux qu'j'en sache, moi ?
On verra demain !
Viens pas faire chier, maintenant, pauv' conne !
— ... ... ... Je vois.
Très bien, j'ai compris.
Eh bien, passez-lui le bonjour de ma part et dites-lui que je lui souhaite de guérir vite.
Sur ce, je vous laisse. Je m'excuse de vous avoir dérangé.
Il avait réussi à la renvoyer, mais il savait bien que si la gamine ne retournait pas à l'école, il n'aurait jamais la paix.
Et comme il voulait vivre ici un peu plus longtemps, il lui fallait avoir le moins de problèmes possible.
Ce qui voulait dire que désormais, il ne pourrait plus la frapper.
Sauf que frapper, c'était toute sa vie, c'était sa langue étrangère préférée, à Teppei.
Et il n'était pas content de ne plus pouvoir laisser parler ses poings.
Il aurait bien voulu se défouler sur la gamine, mais les coups seraient très voyants.
Et si les bleus se voyaient, alors la gamine ne pourrait pas aller à l'école.
Et si elle n'allait pas à l'école, l'autre de l'école reviendrait.
... Non, c'était vraiment la merde.
Mais en plus, le soir-même, un type des enfants battus a pointé sa tronche de cake.
Ce qui voulait dire que la jeune maîtresse les avait dénoncés.
La petite salope, s'il la coinçait, celle-là, elle prendrait cher. Et il la frapperait tellement fort que même ses parents ne la reconnaîtraient plus...
Heureusement, la gamine devait avoir vraiment peur de lui, car malgré sa piètre performance, elle mentit juste comme il fallait, affirmant qu'elle était vraiment malade et qu'elle adorait vraiment son oncle.
C'était bizarre de la voir aussi obéissante en si peu de temps.
À la fois, Teppei fut très content de voir qu'il avait fait un excellent choix,
et très énervé d'avoir les services de l'enfance sur le dos et de ne pas pouvoir pleinement en profiter...
— Rah, putain, mais j'ai vraiment pas de bol, moi, merde !