Au début, je jouais la comédie.

Je faisais juste semblant d'être folle pour ne pas être interrogée par la Police.

Mais la folie, même feinte, ça vous gâte le cerveau.

Et le mien était irrémédiablement amoché.

La fameuse présence dont Rena Ryûgû m'avait parlé l'année dernière était là, juste derrière moi.

Ce n'était pas Satoshi, mais ce n'était pas mon imagination non plus :

elle avait pris la forme de Shion pour me hanter.

Shion n'était pas allée au paradis.

Elle était restée tout le temps avec moi.

Elle ne pouvait pas supporter l'idée de me voir essayer de survivre par tous les moyens possibles et imaginables, alors qu'elle était déjà morte depuis un moment.

Elle avait l'intention de rester avec moi, jusqu'à ma mort.

Et puis, très gentiment, elle me rappelait tous les jours et tous les soirs que je devais me dépêcher de mourir, d'une voix douce, dans le creux de l'oreille.

Je sais,

je sais…

Mais oui, c'est bon, je mourrai déjà, t'inquiète ! Rah, putain...

Il m'est arrivé de me retourner et de lui gueuler dessus.

Shion m'a même possédée une paire de fois pour pouvoir me répondre insulte sur insulte.

Je parie que les gens qui nous ont vues ou entendues se sont dit que j'étais complètement barjot.

T'as pas le droit, grande sœur, tu triches ! Tu comptes vivre encore combien de temps comme ça ?

Allez, meurs ! Crève ! Plus vite que ça !

T'avais dit que tu mourrais et que tu me rejoindrais tout de suite !

Je t'attends, moi, je t'attendrai toujours...

Il fait si sombre au fond du puits…

il fait si froid…

j'ai mal…

j'ai mal…

j'ai tellement mal...

Rah, putain, ouais, c'est bon, merde !

Mais ferme-la, putain !

Comment ça, “c'est bon”, tu te fous de ma gueule ou quoi ? La mort que tu mérites ne viendra pas à toi toute seule !

Tu as l'intention de fuir, grande sœur, encore et encore, tu l'as déjà prouvé !

Tes fautes ne disparaîtront jamais, tu m'entends ? Tu seras maudite à tout jamais !

Alors meurs, meurs par la malédiction !!

Shion

— Putain, Shion, FERME TA GUEULE !

Tu n'es qu'un misérable fantôme, alors boucle-la, t'as compris ?

BOUCLE-LA !

Mion

— Grande sœur !

Shion

— Mais putain, salope de merde !

Shion

DÉGAGE !

Mion

— Non, Mion, tu triches, nous étions toujours ensemble, alors nous devons mourir ensemble, c'est la règle !

Je suis venue te chercher, Mion ! Il est temps pour toi de me rejoindre !

TOMM TOMM TOMM ! PAMM ! PAMM ! PAMM !

Shion frappait violemment sur la porte.

PAMM PAMM PAMM PAMM PAMM !

J'ai bien cru que ma tête allait exploser tellement le bruit était fort.

Salope, elle a l'intention de défoncer la porte ou quoi ?

OK, tu veux faire la maligne ? Très bien !

Tu penses donc que c'est toi qui dois me tuer ?

Ça me va, mais ce ne sera pas comme tu l'auras prévu...

Hahahaha !

Je ne serai pas la seule à mourir, il reste encore quelqu'un de vivant, quelqu'un que tu as aimé ! C'est pas juste, ça, c'est pas juste !

Ahahahahahahahahaha !

Je savais qu'elle était de l'autre côté de la porte, alors pour l'éviter, je suis passée par le balcon.

Si j'arrive à contourner la barrière du balcon pour aller chez les voisins, je pourrai utiliser les escaliers de secours.

Héhéhéhéhé, hahHAHAHAHAHAHA !

Bien fait pour ta gueule, connasse !

Je montai sur la barrière, puis sautai avec agilité sur le balcon d'à côté.

De là, sur la pointe des pieds, comme un chat, je descendis les escaliers de secours à toute vitesse.

L'autre conne ne se doute sûrement pas que je suis en train de la prendre à revers ! Hahahahahaha !

En moto, je serai chez Keiichi en un clin d'œil.

Quelle idiote, elle s'imagine que je suis encore dans l'appartement, elle ne se rend compte de rien !

Ahaha, hahahaHAAaa, haha !

Regarde, regarde bien, j'y suis ! Voilà la villa Maebara.

Shion m'en a parlé souvent, c'est la première fois que je la vois en vrai, mais je m'en souviens très bien !

Keiichi a sa chambre à l'étage, à l'étage !

Allez, on va le réveiller, quelques cailloux devraient faire l'affaire !

Après quelques petits cailloux sur sa fenêtre, la lumière s'alluma et il ouvrit sa fenêtre.

C'était bel et bien Keiichi.

Lorsque je le vis,

la démence qui s'était emparée de mon esprit disparut un bref instant.

Même d'ici, je savais qu'il devait descendre les escaliers quatre à quatre.

Il est arrivé tout de suite.

Il avait une poupée dans les mains.

... À la vue de celle-ci, la déception m'assaillit.

Cette poupée, c'était celle qu'il n'avait pas donnée à Shion ce fameux jour.

... C'est pas du jeu, c'est toujours tout pour Shion !

T'es gentil, mon cœur, t'as de la chance, t'assures.

Moi aussi j'aurais voulu recevoir un cadeau de Satoshi !

Keiichi

— Haaa,

ouf…

Mion !

Shion

— Ahahahaha ! Salut, ça fait un bail !

Et alors ?

Ça gaze ?

Dans mon âme, c'était un boxon monstre, mais pourtant, rien de tout cela ne transparut lorsque je me mis à lui parler.

... En même temps, c'est normal.

Mon corps était possédé par le démon,

sinon, je ne serais même pas ici, vue l'heure qu'il est…

éhhéhhéhhé, HAHAHAHAHA !

Keiichi

— Mais…

t'es sûre que c'est bien prudent de rôder par ici ?

Shion

— ... Hmm, non, effectivement, je pense pas.

Éhéhéhéhé !

Keiichi

— Mais dis-moi,

qu'est-ce que tu me veux à cette heure-ci ?

Shion

— Je voulais te parler une dernière fois.

Je fus soudain accablée par la fatigue.

Ce n'était pas comme l'arrivée du marchand de sable, c'était plus comme un évanouissement...

Ce fut la dernière émotion qui traversa mon âme avant de se faire entièrement évincer par la folie...

Shion

— Je…

éhéhéhéhé,

je ne peux plus...

Je ne peux plus rester ici.

Keiichi

— Eh, tu vas bien ?

Tu te sens mal, ou quoi ?

Shion

— Je... j'ai tenu le coup jusqu'à aujourd'hui, mais…

Ahahaha...

je ne suis pas dupe.

Je suis au bout du rouleau.

Elle…

On longe la barrière…

La mort est toute proche. Je sais qu'elle vient me chercher.

Ahahaha...

Je n'avais plus le temps de choisir ma mort.

Shion ne me laissait pas ce luxe.

En même temps, je l'avais poussée dans le puits, donc elle-même n'avait pas eu le choix non plus.

Elle n'était pas la seule d'ailleurs, tous ceux que j'ai tués n'ont pas eu leur mot à dire.

Les morts doivent sûrement en vouloir aux gens qui ne savent pas comment mourir !

Shion

— Ahaha...

Ahahaha…

haaa…

haaaa…

haaaa !

Héhéhéhé,

haaaa,

aha...

Keiichi

— Tu ne vas pas bien !

Ne te force pas, voyons !

Keiichi

Ah, j'y pense.

J'ai un truc à te donner...

Je vais le crever, j'vais l'crever !

Je prendrai ma revanche, Satoshi ne sera pas mort en vain !

Shion l'aime, lui et pas un autre, mais moi je déteste Shion, alors je vais le crever, et on verra la tête qu'elle va tirer !

Bien fait pour ta gueule, salope...

…ghh !

…!!

Tout tournait autour de moi.

Je réussis tout de même à planter mon couteau de toutes mes forces dans son ventre.

Shion

— Haha,

ahahahaha…

HAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !

…!

Je l'ai eu !

J'ai réussi, juste à temps !

HAHAHAHAHAHAHAHAHAHA !

Héhéhéhéééé !

J'y suis arrivée, juste à temps, je lui ai montré ! J'ai réussi mon coup avant elle !

Alors, Shion, j'espère que t'as compris ta leçon ? Ahahahahaha, aHAHAHAHAHA !

Keiichi était recroquevillé au sol, comme une chenille, tremblant de tout son corps en se tenant le ventre.

Shion

— HahahaHAHAHA, hahahaaa, HahahaHAHAHAHAHAHAHA !

J'ai réussi, j'ai réussi !

J'ai enfin tué tous ceux que je voulais tuer... Tous ! Crevés comme des porcs !

HahahaHAHAHAHAHAHAHA !

J'ai réussi, j'ai tout réussi !

Je me suis vengée de tout le monde, Satoshi est vengé maintenant, ahHAHAHAHahahaha !

Allez, Satoshi, félicite-moi, dis-moi que j'ai bien agi, récompense-moi ! Caresse-moi la tête !

AhHAHAHAHahahaha !

Oui.

Tout ça n'était qu'un mauvais rêve.

Je suis tout le temps cloîtrée dans ma chambre, à devoir supporter les reproches de Shion.

Mais alors dans ce cas...

où est-ce que je suis ?

Je me suis réveillée sur les escaliers de secours.

... Je me souviens de mon dernier rêve.

Ah, bien sûr, je suis sortie par le balcon.

La porte d'entrée est fermée à clef, donc je n'ai pas le choix, je dois repasser par là-bas.

Allez…

On saute…

...

Oh !

Mon pied glissa, et je me sentis flotter.

Puis une douleur atroce assaillit ma tête.

J'avais tellement mal que mon mauvais rêve commença à s'estomper...

J'avais glissé après mon saut vers le balcon de mon appartement.

J'étais désormais deux ou trois étages plus bas, sur la cage d'ascenseur.

Je vis au 7ème étage.

Je ne pensais pas pouvoir me rattraper à un endroit pareil.

J'ai dû me cogner la tête contre une arête en béton. J'ai super mal et je saigne.

... Bizarrement, j'étais très rassurée.

Il n'y avait plus ni démon, ni fantôme, ni Shion, ni haine, ni Satoshi, il n'y avait plus rien.

Je me sentais comme un bébé qui vient de naître,

qui est très calme, car il n'y a encore rien dans son monde.

Après ma naissance, on m'a donné le nom de Mion. Peu à peu, les souvenirs revinrent à la vie dans ma mémoire...

Lorsque je me souvins de ma rencontre avec Satoshi, les larmes se mirent à me couler des yeux, toutes seules.

Où est-ce que je me suis trompée ?

Où est-ce que j'ai fait le mauvais choix qui a complètement foiré ma vie ?

Aaah, je sais. Grâce à Satoshi, je le sais...

— « Je...

...

Prends soin de Satoko, d'accord ? »

« D'accord.

Je sais que tu reviendras.

Alors j'attendrai.

Je t'attendrai, toute ma vie si nécessaire.

Je m'occuperai d'elle et nous t'attendrons toutes les deux. »

Satoshi m'avait confié sa sœur. Elle comptait plus que tout pour lui, et c'était à moi qu'il l'avait confiée.

À l'époque, je n'avais pas compris ce que ça voulait dire.

Bien, très bien, je le saurai pour la prochaine fois.

Satoshi…

Je t'aime.

Satoko, je...

Pardonne-moi.

Je vous demande pardon, à tous.

Surtout à toi, Shion.

... Je me demande si cette mort est suffisamment cruelle pour un peu payer ma dette envers vous.

Non, je crois pas, c'est pas assez, hein ?

Je veux que Satoshi me caresse une dernière fois.

Je veux l'entendre tout gêné, dire “mhhm”, une dernière fois.

Je sais, j'abuse, ouais.

Je n'ai aucun regret sur cette terre.

De toute façon, m'excuser plus encore ne m'avancera à rien.

Je me tournai du côté et tentai de rejoindre le sol en contrebas.

En veillant à tomber bien la tête la première.

Allez, j'espère que mon crâne va bien exploser.

Et ensuite, je passe me faire une éternité ou deux en enfer.

Je n'étais qu'un simple démon.

Après tout, le royaume des morts, c'était mon domaine.

Je me demande pourquoi est-ce que je suis née, tiens.

Pourquoi m'avoir donné la vie ?

Je n'aurais jamais dû naître.

Si je n'étais pas née, tout ceci ne serait jamais arrivé.

Ma vie n'a eu aucun sens, qui a bien pu la désirer, à quoi a-t-elle bien pu servir ?

Si je n'étais pas née, personne n'aurait eu à en souffrir.

Vous m'avez toujours traitée avec gentillesse.

Merci à tous.

Vous m'avez même appris ce qu'était l'Amour.

Merci pour ça aussi, du fond du cœur.

Vous avez fait tant de choses pour moi…

que je ne méritais pas...

...

Je vous demande pardon, à tous.

Vraiment, je suis désolée.

Pardon.

Si jamais, si jamais j'avais encore une fois une chance de renconter Satoshi dans ma vie...

Je vous jure que je saurai faire le bon choix.

Promis-juré.

Ah,

le sol approche.

Bon, ben, salut, alors.

Je t'aime.

... Mhhm...

Hein ? Satos--